Le chef d’état-major de la marine allemande démissionne après des propos polémiques sur la Russie

En raison, notamment, du gazoduc Nord Stream 2, dans lequel l’un des anciens chefs de gouvernement – Gerhard Schröder – est par ailleurs fortement impliqué, l’Allemagne adopte une attitude prudente à l’égard de Moscou. Certes, le chancelier Olaf Scholz a promis à la Russie un « coût élevé » si jamais celle-ci s’en prenait de nouveau à l’Ukraine, comme le suggère les manoeuvres de ses troupes observées depuis maintenant plusieurs mois.

Récemment, M. Scholz qualifiait encore Nord Stream 2 de « projet économique privé », laissant ainsi entendre qu’il ne serait pas affecté par d’éventuelles sanctions contre la Russie… Mais il a changé de ton, la semaine passée, en affirmant qu’il serait « remis en cause » en cas d’intervention militaire russe en Ukraine, tout en disant attendre une « réduction des troupes russes à la frontière ukrainienne ». Seulement, pour qu’il y ait une amorce de « désescalade », Moscou veut obtenir des garanties sur sa sécurité auprès des États-Unis et de l’Otan. Et ses revendications sont jugées « inacceptables ».

De son côté, lors d’un déplacement à Moscou, la cheffe de la diplomatie allemande, l’écologiste Annalena Baerbock, opposée à Nord Stream 2, a prévenu son homologue russe, Sergueï Lavrov, que Berlin ne restera pas sans réaction en cas d’agression de l’Ukraine. « Plus de 100’000 soldats, équipements et chars déployés près de l’Ukraine… Difficile de ne pas interpréter cela comme une menace », a-t-elle relevé.

Pour autant, l’Allemagne se refuse à livrer des armes à l’Ukraine, contrairement au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cela « ne contribuerait pas actuellement » à désamorcer la crise, a expliqué Christine Lambrecht, la ministre allemande de la Défense, dans un entretien publié par le quotidien Die Welt, le 22 janvier. En revanche, a-t-elle indiqué, Berlin fournira un « hôpital de campagne » aux forces ukrainiennes…

Évidemment, la position allemande n’est pas appréciée à Kiev. « Les partenaires allemands doivent cesser de miner l’unité avec de telles paroles et actions et d’encourager Vladimir Poutine à lancer une nouvelle attaque contre l’Ukraine », a déclaré Dmytro Kouleba, le ministre ukranien des Affaires étrangères. L’Ukraine est « reconnaissante » à l’Allemagne pour le soutien qu’elle a apporté mais ses « déclarations actuelles sont décevantes », a-t-il ajouté.

Et parmi les déclarations évoquées par M. Kouleba, il y a celle faite par l’amiral Kay-Achim Schönbach, chef d’état-major de la marine allemande [Deutsche Marine] depuis mars 2021, lors d’une conférence organisée par l’Institut Manohar Parrikar pour les études et analyses de la défense [MP-IDSA] à New Delhi, le 21 janvier. La vidéo de son intervention a été diffusée sur les réseaux sociaux, alors que la réunion était censée se dérouler à huis clos.

« La Russie veut-elle vraiment intégrer une petite partie du territoire ukrainien au sien? Non. C’est un non-sens. Je pense que [Vladimir] Poutine exerce probablement une pression parce qu’il peut le faire. Et il sait qu’il divise l’Union européenne. Mais ce qu’il veut vraiment, c’est le respect. Il veut être traité en égal. Et, mon Dieu, montrer du respect à quelqu’un coûte peu, ne coûte rien. […] Il est même facile de lui accorder le respect qu’il exige – et qu’il mérite probablement », a affirmé l’amiral Schönbach. Et d’expliquer que l’Allemagne et l’Inde ont « besoin de la Russie contre la Chine ».

Par ailleurs, ayant qualifié « d’ineptie » l’hypothèse d’une invasion du territoire ukrainien par la Russie, l’amiral Schönbach a aussi déclaré que la Crimée, annexée en 2014 par Moscou, ne reviendrait jamais dans le giron de Kiev. « C’est un fait », a-t-il dit, avant d’estimer que l’Ukraine « ne peut pas devenir un membre de l’Otan car elle ne remplit pas les conditions » pour cela.

Par ses déclarations, le chef d’état-major de la Deutsche Marine s’est donc retrouvé au centre d’une vive polémique… Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur d’Allemagne en poste à Kiev pour avoir des explications…

À Berlin, un porte-parole du ministère de la Défense a allumé un contre-feu, affirmant que les propos de l’amiral Schönbach « ne correspondent en rien à la position » de l’Allemagne et qu’il « devra s’en expliquer auprès de son supérieur, le général Eberhard Zorn », le chef d’état-major de la Bundeswehr.

Quoi qu’il en soit, le sort de l’amiral Schönbach a été rapidement réglé. Dans la soirée du 22 janvier, il a annoncé avoir remis sa démission. « Je viens de demander à la ministre de la Défense de me libérer de mes fonctions […] avec effet immédiat. Pour éviter d’autres dommages à la Deutsche Marine et à la Bundeswehr, mais surtout à la République fédérale d’Allemagne, j’estime que cette mesure est nécessaire », a-t-il expliqué, admettant avoir fait des « déclarations irréfléchies sur la sécurité et la politique militaire » lors de cette réunion en Inde.

Pour la présidente de la commission de la défense du Bundestag [chambre basse du Parlement allemand], Marie-Agnes Strack-Zimmermann, la démission de l’amiral Schönbach est « logique » car, « avec ses déclarations, il a remis en cause structure de sécurité européenne et le droit international ».

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