Munitions de petit calibre : Le ministère des Armées se dit « ouvert à tout examen de projets industriels »

Depuis la fin des années 1990 et la fermeture de l’établissement de Giat Industries du Mans, la France n’a plus la capacité produire les munitions de petit calibre utilisées par ses forces armées, ce qui l’oblige à s’approvisionner auprès de fournisseurs étrangers, ce qui, par le passé, a parfois posé des problèmes, notamment au niveau de la qualité des cartouches livrées.

Cela étant, la Direction générale de l’armement [DGA] a régulièrement soutenu que relocaliser une capacité de production de telles munitions ne serait guère viable économiquement alors qu’il n’y a aucune difficulté à s’approvisionner à l’étranger.

Mais, en 2015, un rapport publié par les députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq contesta cette vision en posant la question de savoir si la France serait toujours d’être certaine d’être apprivisionnée en munitions de petit calibre « en cas de conflit majeur ». En outre, selon les deux parlementaire, réinstaller en France une filière industrielle exigerait 100 millions d’investissement, avec une rentabilité assurée « à partir d’une production annuelle de 60 millions de cartouches sous réserve qu’un niveau de commandes constant soit assuré durant les cinq premières années. »

Dans le sillage de ce rapport, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, décida de restaurer une capacité de production française de munitions de petit calibre en s’appuyant sur l’entreprise NobelSport, spécialiste des cartouches pour la chasse et le tir sportif, ainsi que TDA Armement, filiale de Thales, et la société Manurhin. Et de parler d’un « acte de souveraineté nationale », après la signature d’un protocole d’accord avec les acteurs impliqués dans ce dossier.

Seulement, la Revue stratégique de 2017 eut raison de cet élan, estimant que la production de munitions de petit calibre n’était pas stratégique. Depuis, le Délégué général pour l’armement [DGA], Joël Barre, reprend les arguments qui avaient jusqu’alors avancés contre la relocalisation d’une telle capacité de production. En outre, de telles munitions n’étant pas considérées comme stratégiques au regard du droit européen, il aurait été juridiquement compliqué de justifier une non-mise en concurrence au niveau européen afin de privilégier une filière française.

Cependant, les parlementaires ne sont pas tous convaincus, loin de là… D’autant plus que rien ne dit que l’approvisionnement en munitions de petit calibre ne connaîtra jamais les difficultés constatées pour celui des masques lors de la pandémie de covid-19…

« Les produire chez nous [les munitions de petit calibre] est très confortable à la condition de maîtriser les coûts, les produire entre alliés est une solution médiane acceptable, moyennant une certaine vigilance. Mais s’il faut aller les acheter à l’autre bout du monde, ce n’est probablement pas raisonnable : nous offrons à nos adversaires des vulnérabilités ce qui réduit notre capacité de dissuasion », a ainsi fait remarquer le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], lors d’une audition parlementaire, au printemps 2020.

« Le marché français des munitions de petit calibre est négligeable par rapport au marché mondial : si nous voulions être indépendants, cela nous coûterait très cher » et la « crise actuelle ne remet pas en cause l’analyse de la filière que nous avions menée en 2018 mais il faut se reposer la question de la souveraineté en des termes plus larges », répondra le DGA.

Pour autant, députés et sénateurs ne désarment pas. En septembre, un rapport concernant « la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en ‘petits’ équipements » et adopté à l’unanimité par les députés de la commission de la Défense, a remis la question sur le tapis.

« L’analogie avec les masques est frappante : dans les deux cas, l’État a pu considérer qu’il s’agissait de matériels à faible valeur ajoutée, pour lesquels on pourrait toujours s’approvisionner à l’étranger, logique qui a montré ses limites lorsqu’elle est mise en œuvre à flux plus ou moins tendus », ont ainsi fait valoir ses auteurs, les députes André Chassaigne [PCF] et Jean-Pierre Cubertafon [Modem], soulignant que s’agissant en outre des munitions, les « importations ne sont possibles qu’en l’absence d’embargo. »

Quant à l’argument économique, les deux parlementaires ont mis dans la balance les 100 milliards du plan de relance et les 20% de PIB de dette en plus pour demander si l’État était vraiment à 70 ou 100 millions près pour relocaliser une telle filière.

Au Sénat, certains s’interrogent sur la reconstitution d’une capacité française de munitions de petit calibre. Tel est le cas de la sénatrice Hélène Conway-Mouret [PS], qui a interpellé le Premier ministre, Jean Castex, via une question écrite, dans lequelle elle fait valoir que « la résilience de nos armées paraît plus sûrement garantie quand l’usine n’est pas bien loin du régiment ».

Aussi, pour la parlementaire, « il semble aujourd’hui essentiel de reconsidérer » relocalisation d’une telle filière car cela « permettrait de préparer notre base industrielle et technologique de défense en cas d’évolutions du marché liées au développement potentiel de nouveaux calibres [6,8mm] par les États-Unis » et « contribuerait à assurer notre autonomie stratégique en sécurisant nos approvisionnements en cas de crise majeure entraînant une hausse des besoins, à laquelle il n’est pas garanti que nos fournisseurs pourront répondre. » Enfin, une telle initiative, susceptible de profiter du plan de relance, aurait également le « bénéfice de recréer un bassin d’emplois, et ainsi des savoir-faire et des compétences dans un domaine sensible. »

Ce n’est pas le Premier ministre qui a répondu à cette question écrite… mais le ministère des Armées. Ainsi, après avoir rappelé que les armes légères [fusils d’assault, pistolets et fusils de précision] étaient en cours de renouvellement, il a indiqué que la « sécurisation de la disponibilité des munitions pour les besoins des forces est assurée notamment par la constitution de stocks. »

Quant au projet qui avait été mis sur les rails en 2017 par M. Le Drian, le ministère a expliqué que « l’analyse alors menée » par ses services « a conclu qu’il ne serait pas compétitif au niveau mondial, malgré un important investissement initial de l’État, et qu’il serait difficile de gagner des marchés à l’exportation. » Et d’ajouter que la « sécurisation juridique des commandes à passer pour permettre le démarrage d’un tel projet n’était pas assurée. »

Toutefois, la messe n’est pas encore dite. « Le ministère des armées reste vigilant sur ce sujet et ouvert à tout examen de projets portés par des industriels dans cette filière, afin d’examiner les différents soutiens permettant d’en faciliter l’émergence », a-t-il Mme Parly. En clair, il faudrait donc un projet de relocalisation nécessitant un investissement moindre que les 100 millions d’euros jusqu’alors avancés…

Quoi qu’il en soit, si l’approvisionnement en munitions de petit calibre est un sujet pouvant de susciter de l’inquiétude, celui en matériaux critiques, comme le tantale [pour les condensateurs], le tungstène [moteurs du Rafale, obus flèche], le gallium [optronique, radars] ou encore les métaux rares, est sans doute encore plus délicat.

« Le monopole chinois sur les terres rares [la Chine assure entre 85 % et 95 % de la production mondiale de ce groupe de métaux] n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg. À l’exception des métaux de ‘base’ [cuivre, fer, aluminium…], l’UE dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs pour un groupe de 27 matières premières qu’elle a identifiées et qualifiées de critiques. Force est de constater que la Chine produit plus de 50 % de 16 d’entre elles », soulignait une récente note de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM].

Photo : armée de Terre

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