Les groupes jihadistes étendent leur influence et leurs opérations dans le nord du Nigéria

Il y a six ans, alors que le groupe jihadiste Boko Haram semait la terreur et la désolation non seulement dans le nord du Nigéria mais aussi dans le sud du Niger et du Tchad ainsi que dans l’extrême-nord du Cameroun. Pour contrer cette expansion, une Force multinationale mixte [FMM] fut mise sur pied sous l’égide de l’Union africaine, avec le concours des armées des pays concernés. En outre, Abuja fit appel à des sociétés militaires privées, alors que, grâce à ses revenus pétroliers, ses forces armées passaient pour être les mieux équipées de la région.

Cette réaction – ou du moins l’action vigoureuse de l’armée tchadienne – permit de faire reculer Boko Haram jusqu’à son fief de la forêt de Sambisa. Et son chef, Abubakar Shekau, fut donné plusieurs fois pour mort par les autorités nigérianes… Qui plus est, le groupe jihadiste, traversé par des dissensions, se scinda en deux factions distinctes, dont l’une, dirigée par Abu Musab al-Barnaw, obtint la reconnaissance de l’État islamique.

En janvier 2018, et alors que des signaux montrait que les jihadistes nigérians commençait à relever la tête, les opérations menées contre eux s’étant délitées, le président nigérian, Muhammadu Buhari, assura que son pays en avait « fini avec Boko Haram ». En réalité, il n’en était rien.

Durant les mois qui suivirent, la faction de Boko Haram liée à l’EI, appelée ISWAP [Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest], multiplia les assauts contre les bases militaires implantées dans l’État de Borno, accumulant ainsi matériels, armes et munitions. Ce qui donna lieu à des mouvements d’humeur au sein des troupes nigérianes.

Depuis, l’ISWAP a resserré ses liens avec l’État islamique au grand Sahara [EIGS] et compterait entre 3.000 et 5.000 combattants. Sa direction a par ailleurs changé, avec la nomination à sa tête d’un certain Ba Lawan, qui passe pour être encore plus « brutal » que ses prédécesseurs. Ce qui expliquerait certaines exactions attribuées à l’organisation qu’il commande depuis février 2020.

Quant à la branche « historique » de Boko Haram, pourtant décrite comme étant en perte de vitesse, elle est toujours restée active et commis des exactions contre les civils. Mais, depuis quelques mois, la fréquence de ces dernières tend à augmenter… Et, a priori, elle n’a aucune difficulté à recruter de nouveaux combattants pour compenser les pertes qui lui sont régulièrement infligées, comme ce fut le cas en mars dernier, lors de l’opération tchadienne « Colère de Bohoma ».

Le 2 décembre, Boko Haram a revendiqué le massacre d’au moins 76 paysans, commis quatre jours plus tôt dans une rizière située près du village de Zabarmari, à une quinzaine de kilomètres de Maiduguri [capitale de l’État de Borno]. Motif : ces villageois auraient remis un jihadiste aux autorités nigérianes.

Dix jours plus tard, le groupe a été accusé d’avoir attaqué la localité nigérienne de Toumour. « Ils [les assaillants] ont fait irruption vers 19 heures en grand nombre en criant Allah akbar [Dieu est le plus grand], en tirant et en mettant le feu aux habitations », a témoigné un habitant sur les réseaux sociaux. Près d’un millier de maisons ont été incendiées, de même que le marché central de la ville.

Dans le même temps, et comme il le fit en 2014 à Chibok avec le rapt de 276 lycéennes, pour la plupart chrétiennes, Abubakar Shekau a revendiqué en personne, ce 15 décembre, l’enlèvement de plusieurs centaines d’élèves l’école secondaire scientifique gouvernementale de Kankara, dans l’État de Katsina. Les assaillants seraient arrivés à moto en tirant en l’air, afin de mettre en fuite la population. Le nombre d’élèves portés disparus n’est pas encore stabilisé : les autorités locales avancent celui de 333 alors 638 seraient toujours portés manquants.

« Je suis Abubakar Shekau et nos frères sont derrière l’enlèvement à Katsina. Ce qu’il s’est passé a pour but de décourager les pratiques anti-musulmanes comme l’éducation occidentale qui n’est pas ce que permet Allah et son Prophète », a lancé le chef de Boko Haram, trois jours après les faits.

Seulement, l’État de Katsina n’est pas la zone d’opération habituelle de Boko Haram, ce qui ne manque pas d’interroger. Aussi, trois hypothèses peuvent être avancées.

La première est que Shekau revendique une action pour laquelle son organisation n’y est pour rien, ce qu’accréditerait le fait qu’il n’a précisé ni le mode opératoire, ni le nombre d’élèves qui seraient entre ses mains. La seconde est qu’il a sous-traité cette action à un groupe criminel, comme cela s’est déjà produit avec d’autres organisations jihadistes. Enfin, la dernière est sans aucun doute la plus inquiétante puisqu’elle voudrait dire que Boko Haram étend son influence dans le nord du Nigéria, en s’appuyant justement avec des « bandits ».

C’est d’ailleurs ce craignent de nombreux observateurs de la région. « Il y a eu des informations selon lesquelles des anciens combattants qui ont quitté Boko Haram ou ISWAP ont désormais rejoint les rangs des bandits dans le nord-ouest. D’autre part, nous avons vu certains groupes prêter allégeance à Shekau ces derniers mois « , a ainsi expliqué Idayat Hassan, du Centre pour la Démocratie et le Développement [CDD-West Africa], à l’AFP.

Situé plus à l’ouest que celui de Katsina, l’État de Zamfara fait déjà l’objet d’infiltrations de l’ISWAP, avec l’objectif d’étendre son influence dans le sud-ouest du Niger ainsi que dans le nord du Bénin. De son côté, l’EIGS cherche à en faire de même en tentant de se ménager un corridor allant du nord du Mali au nord-ouest du Nigéria, en passant par la localité nigérienne de Dogondoutchi.

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