Le maintien en condition opérationnelle des navires de la Marine dégradé par la crise sanitaire
Le premier confinement, décidé en mars pour freiner la pandémie de covid-19, a évidemment des effets sur la livraison et le maintien en condition opérationnelle [MCO] des équipements mis en oeuvre par les armées. À l’Assemblée nationale, le 15 octobre, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées [CEMA], a ainsi indiqué que l’arrêt dans les entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] avait conduit à ne pas dépenser 1,1 milliard d’euros de crédits.
Quoi qu’il en soit, s’agissant du MCO pour les matériels terrestres, aériens et navals, des retards se sont accumulés, formant ainsi ce que l’on appelle une « dette de maintenance ». Dette qu’il faudra bien réduire le plus tôt possible.
Pour la Marine nationale, la situation aurait été différente par rapport aux autres armées. Ainsi, rapporte le ministère des Armées, le directeur du Service de Soutien de la Flotte [SSF], l’ingénieur général de l’armement hors classe [IGAHC] de Garidel-Thoron a expliqué que, à l’annonce du confinement, « beaucoup de bâtiments étaient en mer et, conjoncturellement, assez peu en arrêt technique. » En outre, des mesures ont été immédiatement prises pour « adapter les chantiers d’entretien aux nécessaires règles de distanciation sociale et de protection des personnels. »
Cela étant, dans son rapport pour avis sur les crédits alloués à la Marine nationale dans le projet de budget 2021, le député Yves Le Gac souligne que le premier confinement a eu deux effets majeurs sur le MCO naval. Et de parler d’une « maintien en condition opérationelle dégradé ».
« Première conséquence de la crise, des retards dans la réalisation des travaux ont été observés, avec une dissymétrie entre Brest et Toulon. Alors qu’à Brest les industriels et les moyens étatiques se sont rapidement organisés pour continuer à assurer le MCO tout en renforçant les mesures sanitaires et organisationnelles sur les chantiers, à Toulon, certains industriels ont dû arrêter leurs opérations de réalisation de MCO », relève ainsi le député.
À Toulon, poursuit-il, Naval Group a eu des difficultés à reprendre le travail, après avoir arrêté ses chantiers en cours. « Un retard général du planning d’entretien des SNA [sous-marins nucléaires d’attaque] a donc été accumulé, et est désormais en cours de recalage », écrit M. Le Gac.
Effectivement, la presse locale s’était fait l’écho de la réticence de salariés de Naval Group, via leurs syndicats, a reprendre le travail malgré les règles sanitaires. « Comme espace confiné, on ne fait pas mieux. Travailler à bord d’un SNA, c’est un peu comme si vous invitiez une soixantaine de personnes dans votre salon. Il est impossible de respecter le mètre minimum entre deux personnes. Si un gars est malade, toute l’équipe tombe malade », fit valoir l’un d’eux. Qui plus est, pour la CGT, il n’y avait pas urgence. « Trois SNA [sur six] sont actuellement disponibles », avait-elle avancé.
Mais outre les SNA à l’arrêt [dont la « Perle », qui sera victime d’un incendie en juin], certains bâtiments de surface étaient aussi concernés.
En revanche, souligne M. Le Gac, « d’autres maîtres d’œuvre travaillant ainsi que leurs sous-traitants locaux, ont continué leurs chantiers, tout en respectant les règles sanitaires. Ces petites structures se sont montrées réactives pour assurer la continuité du MCO. »
« Certains industriels titulaires de marchés de MCO, ou qui avaient en leurs mains des pièces critiques en cours de réparation dont nous avions besoin, avaient décidé d’arrêter leur activité au début du confinement. Après les avoir contactés, la plupart ont repris, en adaptant leur fonctionnement, ce qui a permis de faire redémarrer très vite la plupart des chantiers », a indiqué l’IGAHC de Garidel-Thoron.
Par ailleurs, d’autres difficultés sont apparues pour l’entretien des navires outre-Mer, « en raison de l’interruption des liaisons aériennes et de mesures strictes de quatorzaine [parfois étendues localement à 21 jours comme en Nouvelle Calédonie] », explique le député.
Qui plus est, ajoute-t-il, « les arrêts techniques délocalisés par manque de moyens industriels localement ont été fortement impactés pour les bâtiments basés en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion. » Ainsi, l’arrêt technique que le patrouilleur Le Malin devait faire dans un chantier naval de l’Île Maurice a été reprogrammé et la frégate de surveillance Vendémiaire, qui était au bassin en Nouvelle-Zélande, a dû reprendre la mer « avant la fin complète des travaux. »
En outre, des opérations de maintenance ont été décalées en raison de l’activité opérationnelle. Tel a été le cas du porte-hélicoptères amphibie [PHA] Tonnerre, sollicité pour les opérations Résilience et Amitié.
L’expérience du premier confinement devrait permettre de limiter les effets du second… En tout cas, le SSF en a tiré les enseignements, via des approvisionnement supplémentaires et en analysant sa dépendance en pièces détachées par rapport aux fournisseurs étrangers. « Si notre réactivité logistique est le fruit de la dualité de nos approvisionnements [État et industriels], notre résilience à ce type de crise réside dans la qualité et la quantité de nos stocks », a fait valoir son directeur.
Photo : Frégate Courbet © Marine nationale