Libye : Le Conseil de sécurité de l’ONU échoue à condamner unanimement l’attaque d’un centre pour migrants

Pour les ONG, les autorités de Tripoli seraient loin de traiter avec humanité les migrants interceptés en Méditerranée et placés dans des centres de détention. Ce qui vaut d’ailleurs de vives critiques à l’endroit de l’Union européenne, qui apporte un appui aux gardes-côtes relevant du Gouvernement d’unité nationale [GNA], formé en 2016 sous l’égide des Nations unies.

« Toute la panoplie des mauvais traitements, de la sous-nutrition aux exécutions sommaires, en passant par les tortures, les viols et l’esclavage, y est commise », a ainsi récemment confié Jean-François Dubost, le secrétaire général de la Cimade, au quotidien La Croix. « Sous couvert d’aider à la structuration d’un État en Libye et au contrôle des flux migratoires, l’Europe consolide des acteurs qui commettent des violations des droits humains très très graves », a-t-il accusé.

Cela étant, quand l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, laquelle relève du gouvernement rival de Tobrouk, qui tient sa légitimité des élections législatives de juin 2014, a lancé une offensive en direction de Tripoli, le GNA a prévenu qu’il ne serait sans doute plus en mesure d’empêcher les départs de migrants vers l’Europe, voire de maintenir en détention 400 jihadistes de l’État islamique [EI].

« Ces prisonniers sont des terroristes et nous travaillions de concert avec la communauté internationale pour les garder et les détenir. En même temps, nous voyons certains partenaires internationaux soutenir l’attaque et soutenir Haftar », a ainsi affirmé Ahmed Meitig, le vice-Premier ministre du GNA, en avril. De quoi mettre la pression sur les pays européens accusés par les autorités de Tripoli de faire preuve de complaisance à l’égard de l’homme fort de l’est libyen…

Évidemment, l’offensive de l’ANL contre les milices pro-GNA qui tiennent Tripoli a accentué l’inquiétude des ONG au sujet du sort des migrants placés dans les centres de rétention libyens. Selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations [OIM], ils seraient 5.200 à être dans une telle situation. Du moins officiellement car leur nombre serait nettement plus important si l’on tient compte des centre illégaux contrôlés par les trafiquants.

La Mission des Nations unies en Libye [MANUL] a ainsi fait part, à plusieurs reprises, de ses préoccupations au sujet du sort de ces migrants « en danger dans des centres de détention situés près de zones d’affrontements. »

Le 23 avril, le centre de rétention de Tajoura, situé dans la banlieue de Tripoli, à proximité d’un camp militaire tenu par les milices pro-GNA, a été attaqué une première fois. Et il l’a été de nouveau dans la soirée du 2 juillet. Selon l’ONU, le bilan de cette seconde attaque est de 44 tués et de 130 blessés parmi les migrants, principalement originaires d’Érythrée et du Soudan.

A priori, au moins deux munitions [bombe? missile? obus?] se seraient abattues sur le centre. Un de ses bâtiment a visiblement été entièrement détruit et un autre a été endommagé. L »analyse des fragments des munitions utilisées permettra d’en savoir plus. À condition d’en trouver…

La veille, et après avoir subi un important revers en perdant le contrôle de la ville stratégique de Gharyan, située à une centaine de kilomètres au sud de Tripoli, les forces du maréchal Haftar avaient prévenu qu’elles allaient intensifier leurs frappes aériennes contre des objectifs de la capitale libyenne. Et cela, sans doute avec l’appui de leurs alliés émiratis et égyptiens, lesquels leurs fournissent des moyens aériens, notamment des drones MALE [Moyen Altitude Longue Endurance] de facture chinoise.

Peu après l’attaque du centre de Tajoura, le GNA a immédiatement dénoncé un « crime odieux » et accusé les forces pro-Haftar d’avoir « prémédité » une telle frappe.

De son côté, l’Armée nationale libyenne a nié toute responsabilité dans ce drame. Et son porte-parole, Ahmad al-Mesmari, a en retour accusé le GNA d’avoir « fomenté un complot » pour lui faire porter la responsabilité de ce carnage, par ailleurs condamné par le Qatar, la Turquie [alliés du GNA, ndlr] et l’Italie [très impliquée en Libye, notamment auprès du GNA, ndlr] ainsi que par la France, l’Union européenne, l’Union africaine et les États-Unis.

Justement, au Conseil de sécurité des Nations unies, et bien qu’ayant parlé d’une attaque « abjecte », la diplomatie américaine a empêché l’adoption d’une résolution condamnant, d’une façon unanime, le raid contre le centre de Tajoura. Et cela, pour une raison qui n’a pas encore été précisée.

Cependant, il est à noter que les communiqués publiés par plusieurs pays pour condamner l’attaque de Tajoura se gardent d’accuser l’une ou l’autre partie.

Plus tôt, s’exprimant au sujet de l’attaque de Tajoura, l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, avait parlé d’un « attentat » qui « pourrait clairement constituer un crime de guerre, frappant des innocents […] contraints d’échouer dans cet abri par des conditions de vie épouvantables. » Et d’en appeler justement la communauté internationale « à condamner ce crime et à imposer les sanctions appropriées à ceux qui ont mené cette opération en violation flagrante du droit international humanitaire. »

Quoi qu’il en soit, estimant que ce « drame souligne l’urgence de fournir des abris sûrs à tous les réfugiés et migrants jusqu’à ce que leurs demandes d’asile soient satisfaites ou qu’ils soient rapatriés en sécurité » dans leur pays d’origine, Stéphane Dujarric, le porte-parole d’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a rappelé que « l’ONU avait fourni la localisation exacte du centre de détention aux parties » afin d’éviter qu’il ne soit visé. Aussi, a-t-il demandé une « enquête indépendante » pour identifier les responsables de l’attaque.

En attendant, dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian, l’ONG Exodus a mis dos à dos les forces du GNA et celles du maréchal Haftar.

« Le bombardement, aussi criminel soit-il, est dû à la pratique également criminelle mise en œuvre par les forces de la GNA de Fayez al-Sarraj d’utiliser les migrants comme bouclier humain, cachant les milices et les armements dans des centres de détention remplis de migrants », a estimé cette ONG

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