L’Otan envisage de renforcer sa présence navale en mer Noire
En novembre 2018, après l’arraisonnement de trois navires militaires ukrainiens par la garde-côtière russe en mer d’Azov, dont l’accès, via le détroit de Kertch, est totalement contrôlé par la Russie depuis l’annexion de la Crimée, Kiev avait appelé les Occidentaux, et en particulier l’Otan, à « former une coalition claire pour résister aux actes d’agression » de Moscou.
En contrôlant le détroit de Kertch, la Russie peut en effet entraver le trafic maritime commercial en direction des ports ukrainiens [dont celui de Marioupol] donnant sur le littoral de la mer d’Azov. Et ce dernier, redoute Kiev, pourrait faire l’objet d’un coup de force qui permettrait à la Russie de disposer d’une continuité territoriale entre la Crimée et le Donbass, où elle soutient les mouvements séparatistes.
De son côté, l’Otan a renforcé ses activités dans la région de la mer Noire, via une « présence avancée adaptée » [c’est à dire une brigade multinationale établie à Craiova] et des patrouilles navales plus fréquentes. Ainsi, en 2018, l’activité des groupes maritimes de l’Otan [Standing NATO Maritime Group] a augmenté assez significativement, avec 120 jours de présence au total, contre 80 un an plus tôt.
Cela « contribue à renforcer la posture de dissuasion et de défense de l’Alliance et à améliorer la connaissance de la situation, l’interopérabilité et la réactivité », explique l’Otan. Et il est question pour cette dernière d’aller encore plus loin. Mais la situation urkrainienne n’est pas la seule explication.
En effet, il s’agit de garantir la stabilité de plusieurs membres [Roumanie, Bulgarie, Turquie] et partenaires [Géorgie, Ukraine et, dans une moindre mesure, la Moldavie] de l’Otan dans une région qui est un carrefour essentiel pour le transit des ressources énegétiques [et donc pour la sécurité des approvisionnements] ainsi pour les échanges commerciaux entre les Balkans orientaux et le sud du Caucase [voire entre l’Europe et le Moyen-Orient].
Par ailleurs, cette région est minée par la persistance de conflits « gelés » apparus après l’effondrement de l’URSS. Ce qui donne lieu à des « zones grises » où prolifèrent les trafics en tout genre, comme, par exemple, en Transnistrie. Or, estime Pavel Anastasov, ancien vice-ministre bulgare de la Défense qui travaille désormais à la Division « Affaires politiques et politique de sécurité » de l’Otan, il « n’est pas difficile de voir que la Russie exploite tous ces conflits pour exercer une intimidation politique sur les États qui ont pris leur indépendance après la chute de l’Union soviétique. »
Et le renforcement des capacités militaires russes, en particulier celles dites d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD], notamment depuis l’annexion de la Crimée, est une autre raison pouvant expliquer l’intention de l’Otan de muscler son dispositif en mer Noire.
« Le gain de la Crimée, région fréquemment comparée depuis la Seconde Guerre Mondiale à un porte-avions permettant de contrôler tout le bassin pontique, est de nature à accroître très sensiblement les capacités navales en mer Noire, et donc, dans une certaine mesure, en Méditerranée », expliquait une note de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées.
D’où la proposition américaine de renforcer la présence l’Otan dans la région de la mer Noire.
« Une partie de nos efforts consistera certainement à chercher des moyens pour renforcer la défense dans la région de la mer Noire, en raison de l’agression russe de l’Ukraine. Ils [les Russes] continuent d’essayer de déstabiliser l’Ukraine. Ils continuent de militariser la Crimée. Et tout récemment, ils ont capturé des navires dans le détroit de Kertch et emprisonné des marins ukrainiens à Moscou, ce qui est inacceptable. […] Nous ferons donc plus de surveillance, il y aura plus de navires de l’Otan en mer Noire », a en effet indiqué Kay Bailey Hutchison, l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’Alliance, le 1er avril. Et d’insister : « Nous allons nous assurer que nous avons les capacités de dissuader une Russie très agressive. »
Ce renforcement de la présence de l’Otan vise aussi, a précisé Hutchison « à assurer qu’il existe un passage en sécurité des navires ukrainiens par le détroit de Kertch. »
Évidemment, Moscou n’a pas manqué de réagir aux propos de la diplomate américaine. « Nous ne comprenons pas ce qu’il veulent dire par là. La situation dans le détroit de Kertch et de la navigation là-bas est bien connue », a ainsi commenté Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, pour qui la proposition américaine est vue d’une manière négative. »
Cela étant, pour envoyer des navires militaires en mer Noire, il faut demander l’autorisation à la Turquie pour franchir les détroits qui y mènent, conformément à la Convention de Montreux. C’est d’ailleurs l’une des raison de l’adhésion d’Ankara à l’Otan, en 1952.
Or, les relations entre les États-Unis et la Turquie sont actuellement très fraîches, en raison, notamment, de la décision d’Ankara de se procurer le système de défense aérienne russe S-400, ce qui a provoqué la suspension des livraisons d’avions F-35A aux forces turques.