Syrie : L’utilisation de chars allemands Leopard 2A4 par la Turquie contre les miliciens kurdes fait débat à Berlin

Alors que, du bout des lèvres, son parti, le SPD vient de donner son accord pour participer à une coalition gouvernementale avec la CDU/CSU, dont est issue la chancelière Angela Merkel, le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a été obligé de donner des explications sur les échanges qu’il a eus, il y a deux semaines, avec Mevlut Cavusoglu, son homologue turc.

Lors de leur recontre, il a été convenu d’améliorer les relations entre Berlin et Ankara, passablement dégradées depuis plusieurs mois. Le cas de Deniz Yücel, un journaliste germano-turc du quotidien Die Welt, emprisonné en Turquie depuis près d’un an sans aucune charge retenue contre lui, a été évoqué par les deux hommes.

Et, raconte Der Spiegel, M. Cavusoglu aurait mis dans la balance une « liste de voeux », dont un portant sur la modernisation des chars Leopard 2A4 des forces turques. Ces améliorations demandées par Ankara visent à augmenter la protection de ces derniers afin de remédier à des lacunes constatées lors de la bataille d’al-Bab, menée contre l’État islamique (EI ou Daesh) dans le nord de la Syrie, en février 2017.

Pour cette modenisation des Leopard 2A4, qui présentent des vulnérabilités aux mines, notamment au niveau des flancs et à l’arrière de la tourelle, Ankara a sollicité l’industriel allemand Rheinmetall. Mais sans licence d’exportation accordée par Berlin, un tel contrat n’a aucune chance d’être conclu. En septembre, M. Gabriel avait était clair en affirmant que « les demandes les plus importantes de la Turquie » avaient été « mises en attente ».

Mais M. Gabriel a-t-il lâché du lest en échange de la libération de Deniz Yücel lors de son tête-à-tête avec M. Cavusoglu? L’intéressé s’en défend. Toutefois, selon la presse d’outre-Rhin, il voudrait que le gouvernement allemand discute d’une possible autorisation portant sur la livraison d’équipements de protection contre les mines aux forces turques qui « combattent l’État islamique ».

« Le fait est qu’il y avait des chars turcs [des Leopard 2A4, ndlr] dans le combat contre l’EI et un nombre assez important de mines qui ont tué des soldats turcs », aurait justifié M. Gabriel, avant d’affirmer qu’il ne voyait « pas de raisonnement juste » pour refuser une mise à niveau de ces chars à « un partenaire de l’Otan » comme la Turquie.

Seulement, dans le cadre de l’opération « Rameau d’olivier », lancée par la Turquie contre les miliciens kurdes syriens (YPG) à Afrin, dans le nord de la Syrie, des Leopard 2A4 ont, semble-t-il, été utilisés. D’où un émoi certain parmi la classe politique allemande.

Cela étant, entre 2006 et 2011, et en vertu d’une commande signée à l’époque où Gerhard Schröder était encore chancelier, l’Allemagne a livré 354 chars Leopard 2A4 à la Turquie. Aucune restriction sur leur utilisation ne fut définie dans le contrat, lequel interdisait seulement à Ankara de les revendre sans le consentement de Berlin.

Reste que l’ambassadeur d’Allemagne en Turquie, Martin Erdmann; voit s’entretenir avec le ministre turc de la Défense, Nurettin Canikli, au sujet de l’opération « Rameau d’olivier » et du possible emploi de Leopard 2A4 contre les milices kurdes syriennes, lesquelles ont tenu un rôle de premier plan dans les revers infligés à l’EI au cours de ces dernières années.

Quoi qu’il en soit, la modernisation des Leopard 2A4 turcs paraît désormais définitivement compromise. « Il est totalement exclu que l’Allemagne continue à augmenter la puissance de combat des chars Leopard en Turquie si le gouvernement turc s’en prend aux Kurdes » en Syrie, a ainsi réagi, auprès du quotidien Tagesspiegel, Norbert Röttgen, proche de la chancelière Merkel et président de la commission des Affaires étrangères au Bundestag.

La fourniture d’armes à la Turquie devrait être « interdite en raison de la situation des droits de l’homme et du démantèlement de l’état de droit dans ce pays », a encore insisté M. Röttgen.

La spécialiste des questions de défense au sein du parti « Die Grünen » (écologiste), Agnieszka Brugger a déclaré que « l’arrêt immédiat de toutes les exportations d’armes vers la Turquie est attendu depuis longtemps ». Les derniers développements sont « un exemple effrayant de la souffrance et des dommages causés par les armes allemandes », a-t-elle ajouté.

Chez les sociaux-démocrates, Rainer Arnold, expert des affaires militaires, est plus mesuré. « La Turquie est un partenaire de l’Otan et un allié contre Daesh : cela rend la décision plus difficile. Cependant, si Ankara doit mener une guerre en-dehors de l’Otan, comme c’est actuellement le cas, une politique restrictive en matière d’exportation d’armes serait nécessaire. »

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