Vers le champ de bataille 3.0 ou comment le progrès technologique changera la façon de faire la guerre
Pour la première fois, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) s’est livré à un exercice de prospective en examinant l’impact des principales transformations et ruptures technologiques sur l’environnement stratégique à l’horizon 2030 [.pdf].
À la lecture de ce document, l’on ne sait si l’on doit s’enthousiasmer pour les évolutions qu’autoriseront ces progrès scientifiques et technologiques ou s’il faut au contraire s’en inquiéter au regard des nombreuses questions éthiques et morales qu’ils sont susceptibles de poser. Qui plus est, certaines technologies nouvelles sont de nature à poser de gros problèmes dans la mesure où elles peuvent être accessibles à des groupes d’individus et non plus aux seuls États.
« La diffusion rapide de nombreuses technologies, souvent issues de marchés civils comme l’impression additive ou la biologie de synthèse, permet désormais à des individus isolés ou des groupes de développer des capacités potentiellement nuisibles dans de nombreux domaines jusqu’ici réservés au pouvoir régalien », souligne en effet le rapport.
« En facilitant l’accès de tous à des moyens jusque-là étroitement contrôlés par l’Etat ou la communauté internationale (dans les domaines nucléaire, bactériologique, chimique ou des armements), la technologie multiplie ainsi les risques d’usage et a pour corollaire une individualisation de la menace » et « offre aussi de nouveaux instruments et de nouvelles possibilités de trafics aux réseaux de criminalité organisée, dont l’activité se joue des réglementations
nationales et dont l’influence dans certaines régions risque de mettre à mal l’autorité des États les plus fragiles », insistent ses auteurs.
Par ailleurs, d’autres avancées technologiques, qui resteront inaccessibles à des groupes non-étatiques, feront l’objet d’une compétition entre les puissances capables de se les approprier. C’est notamment le cas du domaine spatiale, dans lequel, en 2030, selon le SGDSN, « les États-Unis, la Chine et la Russie » y « entretiendront un rapport de force et devraient ainsi mettre en oeuvre une politique spatiale militaires incluant un volet offensif et un volet dissuasif ».
On retrouve ces mêmes acteurs dans le domaine des missiles et vecteurs « hypervéloces », au sujet desquels le rapport se demain s’ils sont de « nouveaux déterminants des puissances ». Sur un plan militaire, ces engins capables d’évoluer à la vitesse minimale de Mach 5, marqueront « une rupture » étant donné qu’il sera très difficile de les intercepter et qu’ils offriront une « capacité de frappe extrêmement réactive à des portées très supérieures à celles des systèmes actuel. » Ces armements, souligne le rapport, « peuvent faire peser à tout moment et à toute distance une menace instantanée de frappe conventionnelle, voire nucléaire. » Voilà tout l’intérêt de développer l’ASN4G, le successeur hypersonique du missile ASMP-A, qui équipe actuellement les Forces aériennes stratégiques (FAS).
Mais d’une manière générale, les avancées scientifiques et technologiques qui changeront la manière de conduire les opérations militaires, au point que le SGDSN parle de « champ de bataille 3.0 », sont nombreuses. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, on n’imagine mal les applications potentielles des neurosciences, une discipline qui fait l’objet d’investissements relativements importants dans un but initial de soigner les maladies cérébrales.
Les évolutions en la matière, dont certaines, il est vrai, relèvent encore de l’hypothèse, permettront un meilleur suivi médical des combattants en mesurant leur degré de vigilance et de stress au combat ou encore d’améliorer leur prise en charge médico-psychologique « avec notamment la possibilité de restaurer une fonction après une atteinte à l’intégrité physique, voire psychique
(commande de dispositif prothétique, perception de sensations recréées, restauration des souvenirs, etc.). »
Il est aussi question, énumère le rapport du SGDSN, d’applications qui amélioreront la formation et l’entraînement et les performances physiques et sensorielles des combattants ainsi que la « performance cognitive » de ces derniers dans un environnement complexe. Et l’on peut encore imaginer le guidage à distance des robots et des drones par une interface cerveau-machine, la mise en réseau de capacités cérébrales afin de pouvoir combiner des compétences individuelles ». Enfin, les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelles permettront de déterminer si un individu soumis à un interrogatoire dit la vérité ou non…
Outre les neurosciences, la robotisation du champ de bataille, qui a déjà commencé, sera évidemment renforcée en 2030. « Les robots et systèmes autonomes seront devenus des acteurs ordinaires dans le domaine des opérations militaires. Télé-opérés ou entièrement autonomes, ils agiront dans les champs d’affrontement physiques et le cyberespace. toutes les configurations seront possibles : seuls, en groupes homogènes ou au sein d’unités mixtes humains-robots », lit-on dans le rapport du SGDSN.
Les nanotechnologies – secteur où la France est en pointe – constituent un « enjeu majeur » pour la Défense. Il est en effet estimé que 25% des investissements qui leur sont dédiés servent à développer des applications militaires. Et ces dernières sont nombreuses comme l’amélioration des performances des armes, des munitions ou encores des capteurs, mise au point de nouveaux blindages, à la fois plus légers et plus résistants, ainsi que de revêtements « furtifs ». Et sans oublier les micro-drones tactiques, lesquels préfigurent « un changement significatif de la vision du champ de bataille et partant des modes opératoires des petites unités terrestres combattantes. » Pour le SGDSN, ces nanotechnologies seront un « multiplicateur de forces ».
Enfin, les armes dites « à énergie dirigée » pourrait bien être « l’amorce de la prochaine révolution militaire », au même titre que l’apparition de la poudre au Moyen-Âge. Et cela, dans la mesure où, rappelle le SGDSN, la « fulgurance de leur tir permet de multiples engagements dans des séquences très brèves », elles peuvent produire « une large gamme d’effets létaux ou non » et la « directivité de leur faisceau leur assure une très grande précision ». Qui plus est, leur usage est peu coûteux. Dans ce domaine, « la Chine et les Etats-unis apparaissent les plus en pointe », note le rapport.
Le SGDSN a également cité les armes à micro-ondes, développées par les États-Unis (et sans doute aussi par la Chine). Fonctionnant en émettant un faisceau, ou de courtes impulsions, d’ondes à hautes fréquences, ces dernières ont pour particularité de détruire des équipements élecroniques, ce qui « offre l’avantage d’une grande efficacité sur les infrastructures
modernes » qui en « sont de plus en plus dépendantes, tout en ne provoquant aucune victime, du moins par effet direct. »