La coalition anti-jihadiste a salué le rôle des milices chiites dans la bataille de Mossoul. Une erreur?

Le 19 février, les forces irakiennes ont lancé une nouvelle phase de leur offensive visant à chasser l’État islamique (EI ou Daesh) de Mossoul en donnant l’assaut vers la partie occidentale de la ville. Dans un premier temps, l’objectif est de s’emparer de l’aéroport, situé au sud-ouest de la ville, afin d’en faire une base de départ pour la poursuite des opérations.

L’affaire s’annonce tout aussi compliquée, si ce n’est plus, que la première phase, qui a permis de libérer, au prix de grandes difficultés, la partie orientale de Mossoul. En outre, environ 700.000 civils y sont susceptibles d’être utilisés comme boucliers humains par les jihadistes.

Le jour-même, le général Stephen Townsend, qui commande l’opération Inherent Resolve [nom de la coalition internationale anti-jihadiste dirigée par les États-Unis, ndlr] a fait diffuser un message dans lequel il soutient les forces impliquées dans cette nouvelle phase de la reconquête de la ville. Mais quelques mots ont retenus particulièrement l’attention.

L’offensive de « Mossoul est un rude combat pour toute armée quelle qu’elle soit, et les forces irakiennes sont à la hauteur du défi », a affirmé le général Townsend. « Elles ont affronté l’ennemi et sacrifié leur sang pour le peuple irakien et le reste du monde », a-t-il estimé. Et d’ajouter : « La coalition tout entière salue et prie Dieu d’accorder sa bénédiction aux braves soldats, policiers et milices d’Irak qui aujourd’hui combattent pour libérer leur pays et avoir une région et un monde plus sûrs. »

Or, la référence aux milices irakiennes des Forces de mobilisation populaire [Hachd al-Chaabi, ndlr], lesquelles comptent des formations chiites soutenues par l’Iran, n’est pas passée inaperçue. Et elle marque une inflexion dans l’attitude observée jusqu’alors à leur endroit par la coalition internationale.

Cette mention des milices chiites peut d’autant plus sembler surprenante qu’elles ne sont pas connues pour leur modération à l’égard des populations sunnites. Fin janvier, le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a ainsi demandé une enquête sur des exactions qui auraient été commises à Mossoul par ces dernières. En outre, Amnesty International les avaient accusées, quelques jours plus tôt, de s’être livrées à des actes de torture et à des exécutions extrajudiciaires au sein de la communauté sunnite.

Ces milices, qui ont joué un rôle  dans plusieurs opérations importantes, comme à Tikrit ou Falloujah, devaient d’ailleurs rester à l’écart de l’offensive lancée par les forces irakiennes et les combattants kurdes pour reconquérir Mossoul. Une position saluée par Alaeddin Boroujerdi, président de la commission des affaires étrangères et de la sécurité nationale du Parlement iranien.

« C’est très sage. La majorité de la population de la région est sunnite, il ne faut pas y accroître les tensions sans raison ni alimenter la propagande contre la Mobilisation populaire, qui compte pourtant des volontaires sunnites. L’axe principal de l’attaque doit être entre les mains de l’armée et des tribus sunnites de la région. S’il y a un manque d’hommes, en revanche, les forces de la Mobilisation populaire seront là pour le combler », a-t-il expliqué au quotidien Le Monde, en octobre 2016.

Et, finalement, elles prennent quand même part à la libération de Mossoul, en progressant dans le secteur de Tal Afar, à l’ouest de la ville.

En mars 2015, quand il était question d’un possible soutien aérien de la coalition aux milices chiites engagées dans la reconquête de Ramadi, certaines voix, dont celle du général américain David Petraeus, avait prévenu : « Cette éventualité [ndlr, de donner un appui aérien] soulève de considérables réserves, dans la mesure où elle nous ferait passer, aux yeux des sunnites de la région, pour le sotutien aérien rapproché de la Force al-Qods et des milices chiites » irakiennes.

La question de la présence de ces milices chiites est sensible étant donné que Mossoul est particulièrement sensible aux tensions religieuses. C’est d’ailleurs ce qui explique, en partie, la facilité avec laquelle l’EI s’en était emparé en 2014. Qui plus est est, à l’époque, les sunnites se sentaient marginalisés par le précédent gouvernement irakien, dirigé par le chiite Nouri al-Maliki.

L’un des enjeux est de ne pas réintroduire dans l’équation les facteurs qui ont conduit à l’émergence de l’EI. D’où l’importance que doit accorder Bagade à la reconstruction de Mossoul ainsi qu’aux conditions de vie de ses habitants.

Dans un récent reportage diffusé par l’agence Reuters, un des habitants d’un quartier libéré a prévenu. « Si la vie ne s’améliore pas, nous ne l’accepterons pas et il y aura une révolte contre le gouvernement. Si les choses ne changent pas, l’État islamique reviendra. Les habitants de Mossoul soutiendront ceux qui peuvent les aider », a-t-il dit.

D’autant plus que le menace jihadiste ne disparaîtra pas avec la fin du « califat » proclamé par le chef de l’EI. L’hypothèse la plus probable est que le groupe terroriste se livrera à des actions de guérilla, en comptant sur le soutien d’une partie des sunnites. « Avons-nous été vaincus quand nous avons perdu les villes en Irak et étions dans le désert? Et seriez-vous victorieux si nous perdions Mossoul ou Syrte ou Raqqa et toutes les autres villes, et que nous devions revenir à notre condition initiale? Certainement pas! », avait d’ailleurs lancé Abou Mohammed al-Adnani, le porte-parole et le chef des opérations extérieures, de l’EI, avant d’être tué par une frappe aérienne.

Spécialiste des mouvements djihadistes à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Dominique Thomas explique, à l’AFP : Les jihadistes « misent sur la défaite de la gouvernance post-reconquête. Ils ne se font pas d’illusions sur le côté inclusif que souhaitent apporter les autorités de Bagdad aux villes qu’ils vont reprendre. Ils se disent: ‘Ils vont refaire les mêmes erreurs. Les milices chiites vont commettre des exactions’. Tout cela va leur apporter du grain à moudre pour continuer un niveau de guérilla qui sera au début assez faible, mais avec une perspective de rebond. C’est la politique du chaos, qui leur permettra à terme de reprendre le dessus. »

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