L’A400-M, un programme à la dérive
Initialement, les premiers exemplaires de l’avion de transport européen A400-M construit par Aibus Military, une filiale de l’avionneur EADS, auraient dû être livrés à l’armée de l’Air en 2009 afin de remplacer la flotte vieillissante de Transall et de C-130 Hercules. Seulement, les retards accumulés par le programme font que l’appareil n’a toujours pas effectué son premier vol d’essai.
Le mois dernier, EADS a prévenu que les livraisons de cet avion ne pourraient commencer qu’à compter de 3 années après son vol inaugural, soit en 2012. Or, selon le Figaro du 10 février, la date du premier vol d’essai ne serait prévu qu’en 2010, si l’on en croit une note confidentielle adressée par Airbus Military à l’Occar, une agence européenne créée en 1998 par entre autres la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni afin de gérer les programmes d’armement européens.
Conséquence de ce nouveau retard : les 7 clients de l’A400-M devront patienter jusqu’en 2014, même si Airbus Military a assuré pouvoir assurer une première livraison à la fin de 2012 et une seconde en 2013. Selon les commandes enregistrées par l’avionneur, 180 appareils doivent être conçus pour un montant de 20 milliards d’euros.
Seulement, les retards accumulés du programme vont coûter cher aux industriels impliqués. Ainsi, EADS a d’ores et déjà provisionné 1,76 milliards d’euros dans cette perspective, tout comme les motoristes Rolls Royce, Safran et MTU (124,4 millions) ainsi que l’électronicien Thales (60 millions). Et ce n’est peut-être pas fini étant donné que les clients de l’appareil risquent de faire payer au constructeur européen les retards auxquels certains d’entre eux ont contribué.
En effet, ce sont les clients à l’origine du projet, qui ont imposé des contraintes techniques à EADS dans un jeu où chacun a cherché à défendre coûte que coûte ses intérêts. Un des principaux problèmes rencontrés dans le développement de l’A400-M concerne ses moteurs. Ces derniers sont complexes, à l’image du logiciel qui doit les faire tourner. Sauf que la solution de propulser l’avion avec des moteurs fabriqués par Pratt&Whitney n’a pas été retenue par l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui ont exigé que leurs spécialistes nationaux aient leur part du gâteau sous peine de se retirer du programme.
De plus, chaque armée ayant des besoins différents, le constructeur a dû se plier aux exigences des états-majors des pays clients, ce qui a compliqué davantage un programme qui n’en avait pas besoin.
Mais EADS n’est pas exempt de tout reproche non plus. Son organisation pour la production de l’A400-M n’a pas été des plus pertinentes, ce qui a conduit le constructeur à la revoir récemment. L’appareil devait être initialement construit par l’usine espagnole d’Airbus Military. Or cette dernière n’était manifestement pas de taille à gérer un tel programme.
L’autre erreur d’EADS est d’avoir négocié un prix fixe pour les 180 avions commandés. En clair, l’avionneur n’a pas pris en compte les spécificités d’un programme militaire, sujet à des augmentations de coûts en fonction des évolutions technologiques. Et comme l’A400 M doit être un avion résolument très moderne, il ne pouvait pas échapper à cette règle.
Enfin, l’idée de développer un appareil aussi complexe en moins de 6 ans – le projet a réellement commencé en 2003 – n’était pas réalisable. La preuve en est avec les retards annoncés par EADS, qui n’existeraient pas si, à l’origine, le délai avait été fixé à 10 ans, comme c’est le cas, au minimum, pour les grands projets de ce type. La faute en incombe, en partie, aux clients : bien que le projet « d’avion de transport futur » était dans les cartons depuis plusieurs années, il aurait simplement fallu moins tergiverser pour se décider à le lancer.
Cela étant, Boeing peut se frotter les mains. Le constructeur américain n’a pas fait mystère de son intention de profiter des déboires de son concurrent européen en proposant, à titre de solution provisoire, ses C-17 Globemaster III aux clients de l’A400-M qui montreraient trop d’impatience, comme les Britanniques et les Allemands. Les exemples de solutions provisoires qui finissent par durer ne manquent pas.