Le plumet et le casque à pointe
Il n’y pas encore si longtemps encore, on parlait de l’alliance « du sabre et du goupillon » pour désigner la droite française. Il se dit même que les militaires – ou du moins une grande majorité d’entre eux – sont proches de la « droite ». Cela n’a pas été toujours le cas sur un plan historique : pour ne prendre qu’un seul exemple, l’armée française a été bonapartiste – donc de gauche – au début du XIXe siècle et sans elle, l’empereur Napoléon Ier, alors exilé sur l’Ile d’Elbe, n’aurait pas pu reprendre le pouvoir au roi Louis XVIII le 20 mars 1815, et le conserver pendant la période dite des « cent jours », jusqu’à la défaite de Waterloo. C’est d’ailleurs grâce au Premier Consul Napoléon Bonaparte que la prestigieuse Ecole spéciale miliaire de Saint-Cyr a vu le jour, par la loi du 11 Floréal an X (1er mai 1802).
Bien évidemment, les lignes ont bougé au fil du temps, notamment avec l’émergence de courants de pensée inspirés par le marxisme, le communisme, l’anarchisme ou encore le pacifisme. Cela dit, les régimes marxistes ne sont pas fondamentalement antimilitaristes étant donné qu’ils ont toujours entretenu une armée puissante associée à un Etat policier. L’exemple de l’Union soviétique suffit à lui seul pour le démontrer.
Quoi qu’il en soit, depuis le XXe siècle, les militaires passent donc pour être favorables à la droite, l’Affaire Dreyfus étant passée par là. Et puis il ne faut pas oublier « l’affaire des fiches » où il était question de classer les officiers en fonction de leurs convictions religieuses. L’instigateur de cette pratique était le général André, ministre de la Guerre du gouvernement Combes, arrivé au pouvoir après la victoire du « Bloc des gauches » de 1902. Cette histoire s’était muée en scandale, des fiches ayant transité par des loges du Grand Orient.
Toujours est-il que bon nombre de militaires se sont, au cours des années passées, retrouvés en phase avec les valeurs et le discours portés par une partie de la droite, c’est à dire celle incarnée par le général de Gaulle, pour qui « la France n’était pas la France sans la grandeur » et qui avait su redonner au pays le rang qu’il n’aurait jamais dû perdre dans le monde.
Issu de la petite bourgeoisie de province (comme d’ailleurs bon nombre d’officiers encore de nos jours), l’homme du 18 juin mettait l’intérêt national – donc général – avant les intérêts particuliers. « La politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (ndlr : à la Bourse) » avait-il affirmé. Par ailleurs, le général n’était pas bien vu par la « haute bourgeoisie » française, qui, selon lui, « avait perdu tout sentiment de fierté nationale » et qui « accepterait n’importe quel abaissement de la nation pour pouvoir continuer à diner en ville. » (*)
Le courant dominant de la droite actuelle n’est plus inspiré par le gaullisme. Ceux qui revendiquent son héritage – ou du moins une filiation, tels que Jacques Chirac ou Dominique de Villepin – ne sont plus au pouvoir. Avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, c’est en quelque sorte un courant de la droite plus porté sur les affaires économiques qui en est sorti renforcé. Pour faire un parallèle avec l’histoire, ce sont les orléanistes qui ont pris le pas sur les bonapartistes, si l’on se référe à la grille de lecture proposée par le politologue et historien René Rémond.
Or, les valeurs du courant « orléaniste » ne sont plus en phase avec celles auxquelles adhèrent les militaires, ou du moins les cadres, qu’ils soient officiers ou sous-officiers. Les tensions qui existent entre le chef de l’Etat et les armées reflétent cet état de fait. Pour certains milieux, il est indéniable qu’il vaut mieux entrer à HEC que de sortir major de promotion de Saint-Cyr. On y juge les gens non pas sur leurs qualités et sur ce qu’ils ont pu faire mais sur leur réussite matérielle. L’être compte moins que le paraître et une médaille gagnée en opérations brillera toujours moins qu’une Rolex.
C’est ainsi que, depuis quelques semaines, certains dénoncent un « antimilitarisme de droite ». D’habitude, on trouve les antimilitaristes chez les amis d’Olivier Besancenot ou dans les milieux anarchistes. Mais ce que l’on pourrait prendre pour un oxymore existe bel et bien. Une preuve en a été donnée par le journaliste Philippe Tesson, que l’on ne peut guère suspecter d’intelligence avec l’extrême gauche.
Le fondateur du « Quotidien de Paris », aujourd’hui disparu des kiosques, s’est exprimé sur les ondes d’Europe 1, le mercredi 2 juillet, au sujet des tensions entre le président Sarkozy et les militaires et il s’est montré très ironique à l’égard de ces derniers.
« Saint-cyrien! Mon Dieu Saint-cyrien! Le plumet, quelle merveille ! » a raillé Philippe Tesson, à propos des officiers généraux qui se sont sentis offensés par les propos du chef de l’Etat et en réponse à son contradicteur du jour, Simon Marty, de l’hebdomadaire Marianne, pour qui on ne peut pas accuser d’amateurisme des officiers « ayant fait Saint-Cyr. »
« Pourquoi ne pas dire que les militaires sont des amateurs? » a-t-il interrogé, ayant déjà oublié sans doute la récente affaire du Ponant. « Dans ces conceptions, elle pourrait quand même penser aussi à son propre problème, à ses propres missions, à s’adapter au monde moderne. Elle en est encore à des conceptions traditionnelles héritée du XIXe siècle qui a quand même donné Sedan et le défaite de 1940 », a-t-il ajouté en parlant de l’armée.
A en croire Philippe Tesson, nos militaires en seraient encore aux bandes molletières. Ce qu’il vise par ses propos, ce sont les traditions qui sont pourtant essentielles à la cohésion de l’armée française, parce que cette dernière n’a pas attendu M. Tesson pour épouser son époque. Il y a quelques années, une publicité pour le recrutement de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr avait pour slogan « la tradition dans la modernité ».
Or, c’est dans le souvenir de ceux qui ont payé le prix du sang, dans son passé et dans ses riches traditions que l’armée française a aujourd’hui une identité forte qui fait qu’elle est respectée dans le monde, même si le niveau de ses équipements n’est pas toujours à la hauteur des missions qui lui sont confiées. Et ce ne sont pas seulement des « conceptions traditionnelles » qui ont abouti aux désastres de Sedan et de mai-juin 1940. Le pouvoir politique y a sa part, de même que l’attitude de généraux carrièristes qui n’avaient pour seule ambition que de plaire en haut lieu pour ne pas perdre leur place.
« Refuser le Livre blanc est le signe d’une pesanteur et d’un conservatisme absolument extraordinaire » a poursuivi Philippe Tesson. Afin d’avoir un avis sur ce fameux Livre blanc, encore faut-il l’avoir lu. Sans doute l’a-t-il fait, entre deux chroniques sur le théâtre et trois passages à la radio ou à la télévision. Les généraux et les officiers supérieurs qui ont pris la peine de prendre leur plus belle plume pour exprimer anonymement leurs doutes sur cet ouvrage l’ont certainement étudié avec minutie.
Et le Livre blanc n’est pas une parole d’Evangile. S’il ne fait pas l’unanimité parmi les militaires, il suscite aussi des interrogations chez les parlementaires, notamment les gaullistes de l’UMP, pour qui le retour de la France au sein du commandement intégré de l’Otan est une pilule dure à avaler. Ce n’est pas parce qu’un projet de loi contient le mot « réforme » qu’il est par ailleurs pertinent. Il n’est pas certain que Philippe Tesson ait accueilli avec le même enthousiasme la réforme du temps de travail portée par la gauche en 1997.
Le journaliste a ensuite ironisé sur les journées « portes ouvertes » organisées par les régiments, qui « font amateur » selon lui. On peut penser ce que l’on veut de ce genre de manifestations. Leur but n’est pas de se substituer aux fêtes paroissiales mais de susciter des vocations et de contribuer au renforcement du lien « armée-nation ». Avec la professionnalisation des armées, le recrutement est en effet devenu un enjeu majeur. L’armée de Terre s’est d’ailleurs inspirée des aviateurs avec leurs meetings aériens – qui n’ont rien à voir avec les missions de défense aérienne ou d’attaque au sol.
Philippe Tesson s’en est également pris au général Cuche, démissionnaire de son poste de chef d’état-major de l’armée de Terre, officiellement à cause de la bavure de Carcassonne, et officieusement, pour les propos jugés insultants du chef de l’Etat à l’encontre des militaires, en ironisant sur son sens de l’honneur, qui fait très « plumet et casque à pointe ». Démissionner à « deux mois de la retraite, ça corrige le réflexe d’admiration que l’on a pour ce glorieux guerrier », a-t-il affirmé avec une pointe de mépris. Une précision toutefois : le « plumet » des Saint-cyriens s’appelle un casoar et le casque à pointe était règlementaire chez les Prussiens.
A propos des Saint-cyriens justement, voici ce que déclarait le président Chirac à l’occasion du bicentenaire de l’école, en 2002 : » Saint-Cyr, dans l’imaginaire populaire des Français, c’est d’abord un style, celui du panache, du Serment de Quatorze, des officiers montant à l’assaut en casoar et en gants blancs, dans la plus pure tradition de l’héroïsme guerrier. (…) Saint-Cyr, c’est aussi une continuité de courage et de dévouement, de la Grande armée aux opérations des Balkans, en passant par Verdun ou Bir-Hakeim. Les rues de nos villes et de nos villages sont marquées par les noms de ces batailles et les noms de ceux de vos prédécesseurs qui les ont livrées. »
Enfin, on passera sur la sortie de Philippe Tesson concernant le sergent fautif de la fusillade, traité de « connard qui a tiré dans le tas avec de vraies balles »…
(*) Propos rapporté par Alain Peyreffite, « C’était de Gaulle » (Quarto, Gallimard)