Le rapporteur spécial pour le budget de la Défense met en garde contre le « décrochage » de la Marine nationale

Rapporteur spécial pour les crédits de la mission Défense au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le député François Cornut-Gentille [LR] ne cache pas son inquiétude pour la suite de l’exécution de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25, la trajectoire financière de cette dernière prévoyant des hausses de 3 milliards d’euros pour les deux dernières annuités.

Lors de l’examen du budget de la Défense, dans l’Hémicycle, le 26 octobre, le député a admis que le projet de loi de finances 2022 « repecte […] la trajectoire initialement prévue », avec une hausse de +4,3% des ressources financières allouées aux armées [pour un montant total de 40,9 milliards d’euros, hors pensions, ndlr].

Cependant, a-t-il estimé, les « difficultés sont devant nous ». D’autant plus, avec le « nouveau contexte économique post-Covid », l’ambition d’augmenter le budget de la Défense de 3 milliards en 2023 « apparaît de moins en moins tenable ». Un constat partagé par la députée Michèle Tabarot [LR], pour qui le « plus dur reste à faire pour garantir le respect de la LPM ». Et de déplorer « le choix assumé de reporter l’essentiel de l’effort au prochain quinquennat ».

Dans le rapport pour avis qu’il a remis au nom de la commission des Finances, M. Cornut-Gentille a donné les raisons de ses inquiétudes. « Le cadre très favorable dans lequel évolue actuellement le budget de la défense ne sera pas éternel », écrit-il.

Ainsi, « l’inflation repart – et à ce stade, on ignore encore si le phénomène est conjoncturel ou s’il sera durable. À moyen terme, la situation va nécessairement se normaliser. Le risque d’une remontée plus ou moins rapide des taux d’intérêt et donc de la charge de la dette de l’État n’est pas négligeable. Ce retournement de la conjoncture s’accompagnera immanquablement d’une forte pression sur le budget des armées », craint-il.

En outre, ce même budget aura « à financer des dépenses supplémentaires et des réorganisations opérationnelles au sein du ministère qui n’étaient pas prévues dans la programmation initiale, afin d’acquérir des capacités de défense résilientes et complètes dans les nouveaux domaines de conflictualité » comme « la cyberdéfense, le numérique, l’espace », observe le député, qui appelle donc à « réagir dès maintenant » et à se poser les bonnes questions.

« Comment maintenir un effort de défense suffisant pour garantir un système de défense efficace, complet et équilibré? Quelles doivent être les priorités ? Quelles sont les marges de manœuvre existantes dans la trajectoire prévue aujourd’hui? Quel est le niveau d’un budget soutenable et que permet-il de réaliser? », demande, entre autres, M. Cornut-Gentille.

D’éventuelles complications budgétaires ne pourraient que remettre en cause la remontée en puissance des armées initiée depuis… l’actualisation de la LPM 2014-19 et amplifiée par celle qui a été promulguée en juillet 2018. Et pour le député, « les risques d’un déficit capacitaire et d’un décrochage de nos armées ne doivent pas être écartés d’un revers de main ».

Cela étant, le risque de décrochage est sans doute encore plus grand pour la Marine nationale, laquelle fait l’objet d’une attention particulière dans le rapport de M. Cornut-Gentille. D’ailleurs, ce risque est déjà une réalité…

« Le rapporteur tient à alerter sur le risque de décrochage de la marine française dans un contexte de réarmement naval généralisé. D’une part, les objectifs fixés dans la LPM – 15 frégates de premier rang en 2030, au lieu des 17 ou 18 initialement demandées par la marine -paraissent relativement modestes en comparaison des efforts entrepris par nos voisins proches et plus encore par les pays asiatiques », souligne ainsi le parlementaire.

Et de faire quelques comparaisons : « Le Royaume-Uni projette de passer de 18 frégates actuellement à 24 bâtiments d’ici 2030 [*]. Sur la même période, le tonnage de la flotte espagnole augmentera de 21 %, celui de la flotte italienne de 36 %, celui de la flotte turque de 32 %, celui de la flotte algérienne de 120 % et celui de la flotte égyptienne de 170 %. La Chine, quant à elle, disposera de 79 frégates en 2030 [contre 44 actuellement] ».

D’ailleurs, s’agissant du développement de la flotte chinoise, M. Cornut-Gentille estime qu’il n’est « pas sans lien avec l’annulation du contrat de sous-marins franco-australien dans le cadre du nouvel accord de partenariat AUKUS » [Australie, Royaume-Uni, États-Unis].

En outre, pour le rapporteur, la Marine nationale aurait sans doute besoin d’un porte-hélicoptères aamphibie supplémentaire. « La France n’est certes pas absente de la scène mondiale, mais apparaît sous-équipée au regard de l’étendue de ses intérêts maritimes », fait-il en effet valoir sur ce point.

Mais, dans le même temps, il ne cache pas son scepticisme sur l’utilisé du porte-avions de nouvelle génération [PANG], alors que la Royal Navy fait grand cas du déploiement du HMS Queen Elizabeth dans la région Indo-Pacifique. Mais la marine britannique dispose de deux navires de ce type [avec le HMS Prince of Wales]… Ce qui ne sera pas le cas de son homologue française. D’où, sans doute, les réserves du député.

« Si l’utilité opérationnelle mais aussi politique et diplomatique d’un porte-avions a pu être démontrée par moments, un porte-avions demeure nécessairement un outil à éclipse, dont l’usage est non seulement ponctuel, mais aussi hypothétique, car soumis à l’environnement géopolitique et à la volonté du politique de s’en saisir. Pour ces raisons, le rapport coût-efficacité du porte-avions de nouvelle génération est plus que discutable », avance M. Cornut-Gentille… avant de faire part de ses préoccupations relatives à la « fragilité du format de la sous-marinade française, composée exclusivement de sous-marins nucléaires, dont six SNA et quatre SNLE ».

« La Turquie, pour ne citer qu’elle, prévoit de porter sa flotte de sous-marins de 12 à 14 d’ici 2030 », souligne le rapporteur. Qui plus est, le format de six SNA est taillé au plus juste, comme l’a montré l’incendie de la Perle, en juin 2020. Incendie qui « a montré qu’un volume aussi faible, pour une marine disposant d’une composante de la dissuasion et d’un groupe aéronaval, ne permet aucun incident ».

« Étant entendu que le sous-marin Le Saphir a été désarmé en 2019 dans l’attente du Suffren, qu’un sous-marin est dédié à la protection de la composante océanique de la dissuasion, qu’un autre opère au profit du groupe aéronaval et qu’un autre est en maintenance lourde, la marine nationale ne dispose en définitive que d’un seul SNA pour mener d’autres missions [renseignement, projection de commando, surveillance maritime] », souligne ainsi M. Cornut-Gentille.

Enfin, le député s’est également interrogé sur le nombre de patrouilleurs – notamment outre-Mer [classe Félix Eboué, ndlr] – devant entrer en service prochainement.  »

« D’ici 2025, six nouveaux patrouilleurs outre-mer doivent être livrés à la marine pour un coût total de plus de 300 millions d’euros. Ils sont destinés aux zones Pacifique et Sud-Indien. Pour la zone Antilles-Guyane, trois patrouilleurs ont été livrés, le dernier exemplaire en décembre 2019 », rappelle M. Cornut-Gentille.

Or, poursuit-il, si ces « six bâtiments sont attendus avec impatience au regard de l’état de la flotte actuelle », on peut s’interroger sur « leur nombre au regard des étendues maritimes à surveiller et de la nécessité d’affirmer une permanence en mer », comme par exemple à Mayotte. Cet archipel, « situé à l’entrée du canal du Mozambique », peut en effet être un « point d’appui majeur pour faire respecter la souveraineté maritime dans cette zone sensible car riche en ressources halieutiques et faisant face au Mozambique en proie à des insurrections liées à l’État islamique », conclut le député.

[*] Pour être exact, la Royal Navy disposera de 18 frégates [type 26, type 31 et type 32] et de six « destroyers » de type 45 à l’horizon 2030. Pour le moment, elle compte 13 frégates de type 23.

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