Le renseignement russe a-t-il eu une « taupe » au sein du cabinet du ministre de la Défense, en 2017?

En 2014, l’hebdomadaire « Le Nouvel Observateur  » publia une vaste enquête sur l’ampleur des activités des services d’espionnage russes en France. Ainsi, citant plusieurs sources, il avait établi qu’une cinquantaine d’officiers opéraient alors sous couverture diplomatique, dont une quarantaine pour le compte du SVR [renseignement extérieur] et une dizaine pour celui du GRU [renseignement militaire]. Et c’était sans compter les « illégaux », c’est à dire les agents ne bénéficiant d’aucune immunité diplomatique. Leur nombre avait été évalué à une petite vingtaine par la Direction générale de la sécurité intérieure [DGSI].

Alors qu’il est désormais souvent fait grand cas des affaires d’espionnage via des moyens technologiques [interceptions de communications, intrusions informatiques, etc], ces agents russes travaillaient « à l’ancienne », l’une de leurs méthodes consistant simplement à « tamponner » des responsables civils et militaires, voire des personnalités influentes, en exploitant leurs éventuelles faiblesses ou leur demandant des informations – ou une attitude bienveillante – contre de l’argent ou des cadeaux.

À l’époque, le Nouvel Observateur avait évoqué le cas d’un certain colonel « Iliouchine ». Travaillant au GRU, celui-ci fut soupçonné de « faire l’environnement » d’un important collaborateur du président Hollande, l’objectif étant de disposer d’une « taupe » au sein de l’Élysée. La manoeuvre fit long feu… Mais ce n’était pas un cas isolé. Et le contre-espionnage français avait alerté toutes les « cibles potentielles » des services russes, dont les diplomates, les militaires et les politiques, notamment les parlementaires des commissions de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que certains hommes d’affaires.

Quoi qu’il en soit, en avril 2018, le site Mediapart avait affirmé que le GRU était parvenu à recruter une « taupe » au sein du cabinet de Jean-Yves Le Drian, quand celui-ci était encore ministre de la Défense. Ce qu’a, semble-t-il, confirmé Bernard Bajolet, alors patron de la Direction générale de la sécurité extérieure [DGSE] au moment des faits, dans un documentaire intitulé « Vladimir Poutine, le maître du jeu », diffusé par France5, le 17 octobre.

Interrogé par la journaliste Caroline Roux sur cette « taupe » au sein du cabinet de M. Le Drian, devenu depuis ministre des Affaires étrangères, M. Bajolet a répondu : « En effet, quand j’étais directeur général de la sécurité extérieure, j’avais fait remonter » à l’exécutif. Et d’ajouter : « Dans les années précédentes on disait : ‘Tout ça, c’est terminé, après la Guerre Froide, on n’a plus à perdre son temps avec les espions qui n’existent plus, la priorité ce sont les affaires de terrorisme’. Mais pour autant, on voit bien que les activités d’espionnage n’avaient pas du tout cessé, et que les moyens que mettent les Russes, les Chinois, mais aussi d’autres, les Américains, ne nous voilons pas la face, n’ont jamais été aussi importants ».

Seulement, quelques heures après la diffusion de ce documentaire, M. Bajolet a fait machine arrière. « En aucun cas ma réponse ne peut être considérée comme une confirmation de la réalité des allégations dont a fait état Mme Roux sur la présence d’un agent étranger dans le cabinet d’un ministre de l’époque », a-t-il en effet affirmé dans une lettre adressée à l’AFP.

Auparavant, le cabinet [civil] de M. Le Drian avait réagi aux propos de M. Bajolet en assurant à l’AFP qu’il « n’avait été mis en difficulté à aucun moment ». Et de se dire « très surpris des déclarations d’un ancien DGSE qui sait que cette typologie d’affaires est classifiée », avant de rappeler que « sur le fond, le contre-espionnage français travaille remarquablement et sait déjouer les tentatives des puissances étrangères qui souhaiteraient approcher les lieux de pouvoir ».

De son côté, Mediapart avait évoqué des « notes de la DGSE » ayant relaté des « rendez-vous » entre un « officier supérieur français et son officier traitant russe ». Rendez-vous au cours desquels des comptes-rendus de réunions ministérielles auraient été transmis. « A priori, il s’agissait pour le gradé d’expliquer la nouvelle politique de la France vis-à-vis de l’est de l’Europe » à « un interlocuteur qui s’était présenté à lui comme un diplomate », avait résumé le site d’information.

Cependant, une telle affaire n’a apparemment pas donné à des poursuites judiciaires, ce qui est généralement le cas quand une « taupe » est démasquée. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à un autre officier supérieur, français qui, en poste à l’Otan, a été mis en examen et placé en détention provisoire en août 2020, pour « livraison d’informations à une puissance étrangère » [la Russie, en l’occurrence], « collecte d’informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en vue de les livrer à une puissance étrangère », « intelligence avec une puissance étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » et « compromission du secret de la défense nationale ».

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