Mme Parly révèle qu’un navire « espion » français a effectué une mission dans le détroit de Taïwan

Le 12 octobre, la ministre des Armées, Florence Parly, a été conviée à deux auditions parlementaires distinctes – l’une au Sénat, l’autre à l’Assemblée nationale – pour évoquer l’affaire de l’annulation par Canberra de la commande de 12 sous-marins de type Shortfin Barracuda auprès de Naval Group ainsi que la création de l’alliance « AUKUS », formée par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Comme on pouvait s’y attendre, la ministre n’a pas échappé aux interrogations de certains parlementaires sur la stratégie française en Indo-Pacifique, et en particulier sur les moyens militaires qui y sont déployés, ceux-ci sous-entendant, en creux, que leur faiblesse pouvait expliquer la décision de Canberra de nouer une alliance avec Londres et Washington. D’autres questions ont porté sur l’attitude de la France à l’égard de la Chine. Attitude qui aurait ainsi précipité l’Australie dans le partenariat « AUKUS ».

Dans ses réponses, Mme Parly a au contraire soutenu que l’engement des forces françaises en Indo-Pacifique restait important, en prenant l’exemple de la mission Marianne, à laquelle prirent part, l’an passé, le sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] Émeraude et le Bâtiment de soutien et d’assitance métropolitain [BSAM] Seine. Ou encore en insistant sur le dipositif militaire déployé dans la région [mais dont les capacités sont insuffisantes, notamment pour dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, ndlr].

« Si nous avons un outil militaire puissant à l’échelle d’un pays tel que la France, c’est pour éventuellement devoir s’en servir si c’est nécessaire mais aussi pour pouvoir donner de la crédibilité à la diplomatie que nous menons », a fait remarquer la ministre aux députés de la commission de la Défense et à celle des Affaires étrangères. « Autrement dit, a-t-elle continué, je ne suis pas persuadée que nous devions nous placer dans la perspective de devoir affronter militairement la Chine », contrairement à ce que sous-entend le partenariat « AUKUS ».

« En revanche, a ensuite fait valoir Mme Parly, ce que nous prônons, c’est le respect de principes fondamentaux tels que […] la liberté de navigation. Et c’est pour cette raison que nous projetons des moyens navals, notamment en mer de Chine ». Il s’agit, a-t-elle insisté, « d’exprimer de façon pacifique que nous avons le droit de circuler librement dans ces eaux-là ».

La ministre a évidemment tenu le même discours aux sénateurs, quelques heures plus tôt. Cependant, dans une réponse à une question portant sur les tensions entre Taipei et la Pékin, lesquelles sont probablement à leur plus haut niveau depuis plus de 25 ans, Mme Parly a laissé entendre que la France faisait plus que de manifester son droit à naviguer dans des eaux revendiquées par la Chine.

S’agissant des tensions sino-taïwanaises, « nous manifestons, y compris avec les moyens de la Marine nationale, notre attachement au droit international et à la liberté de circulation », a rappelé Mme Parly.

Ainsi, en avril 2019, la frégate de surveillance Vendémiaire avait transité par le détroit de Formose, considéré comme étant une « chasse gardée » par Pékin. Et la réaction chinoise ne se fit pas attendre : le navire français fut invité à partir par les forces navales chinoises et la Chine adressa une « protestation solennelle » à la France, lui reprochant une « violation » de ses eaux territoriales.

Les frégates de surveillance de la Marine nationale, dont le premier des six modèles a été mis en service voici près de trente ans, ne sont pas des bâtiments dits de « premier rang ». Dépouvus de moyens de lutte anti-sous-marine, leurs capacités militaires sont limitées… Mais le transit de l’une d’entre-elles dans le détroit de Formose avait suffi pour provoquer l’ire de Pékin… Alors, que dire si cela avait été un navire conçu pour collecter des renseignement d’origine électro-magnétique [ROEM], comme le Dupuy de Lôme?

Et pourtant, celui-ci s’est récemment aventuré dans le détroit de Formose. C’est en effet ce qu’a confié Mme Parly aux sénateurs, au sujet de l’envoi de « moyens » navals dans les eaux revendiquées par Pékin, en particulier celles entourant Taïwan. « Cela s’est traduit par la présence de bâtiments de la Marine nationale comme le Dupuy de Lôme dans le détroit de Formose », a-t-elle révélé.

Pour rappel, le Dupuy de Lôme est un « bâtiment d’expérimentations » de 3’600 tonnes [pour une longueur de 101,75 m et une largeur de 15,85m] mis en oeuvre par la Marine nationale au profit de la Direction du renseignement militaire [DRM]. Si son armement est anecdotique [deux mitrailleuses de 12,7 mm], en revanche, ses moyens d’interception et d’écoute ne le sont pas…

La ministre n’a pas précisé la date de la mission assurée par le Dupuy de Lôme. Cependant, on sait que, en juillet dernier, ce navire a navigué en mer du Japon pour se rendre dans le détroit de Tatarie, entre la Russie continentale et l’île de Sakhaline. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être surveillé de près par les forces russes présentes dans le secteur.

Un mois plus tard, des médias taïwanais ont avancé qu’un navire français se trouvait dans le détroit de Formose, précisément au large du canton de Fangyuan. L’information a d’abord été confirmé par une source de la garde côtière taïwanaise, puis démentie par la suite.

Quant aux données du Système d’identification automatique [AIS], si elles ont bel et bien indiqué la présence d’un bâtiment de la Marine nationale entre la Chine et Taïwan, le numéro d’identification MMSI qui lui était attribué ne correspondait à aucun navire français susceptible de se trouver dans la région.

Par ailleurs, Mme Parly a parlé de « présence » et non de « transit ». Ce qui peut vouloir dire que le Dupuy de Lôme s’est attardé dans le détroit de Formose… Qui plus est, et alors que le passage de navires de l’US Navy y est désormais régulier, l’envoi d’un navire « espion » dans cette zone est plutôt singulier, même si les « destroyers » américains disposent de capteurs leur permettant de collecter du renseignement.

En tout cas, les services diplomatiques chinois n’ont a priori pas relevé la confidence faite par Mme Parly aux sénateurs. Et celle-ci ne l’a pas répétée aux députés lors de sa seconde audition de la journée organisée sur le même thème.

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