Quelles seront les conséquences de la victoire d’Olaf Scholz sur la politique de défense allemande?

Le Parti social-démocrate allemand [SPD], emmené par Olaf Scholz, vice-chancelier et ministre des Finances sortant, a donc viré en tête à l’issue des élections fédérales, organisées le 26 septembre. Ainsi, il disposera de 206 députés au Bundestag [chambre basse du Parlement], ce qui est insuffisant pour qu’il soit en mesure de gouverner seul, la majorité absolue étant de 368 sièges.

Viennent ensuite les chrétiens-démocrate de la CDU, associés à ceux de la CSU [196 élus], les écologiste des Grünen [118 élus], les libéraux du FDP [92 élus] et l’Alternative pour l’Allemagne [AfD]. Avec seulement 39 élus, Die Linke [extrême-gauche] ferme la marche.

Désormais, et fort du résultat de son parti, M. Scholz a la légitimité nécessaire pour former un gouvernement et conduire les tractations avec les autres formations politiques afin de pouvoir disposer d’une majorité stable au Parlement. Ce qui ne sera pas simple…

La solution la plus évidente serait de reconduire la coalition sortante, formée par des sociaux-démocrates et des chrétiens-démocrates [la « GroKo »]. Seulement, la CDU a toujours refusé de prendre part à un gouvernement qu’elle ne dirige pas… Et M. Scholz a assuré, durant la campagne, qu’il voulait installer les conservateurs dans l’opposition.

Une alliance entre le SPD, Die Grünen et Die Linke ne fonctionnerait pas non plus, la somme de leurs sièges étant insuffisante pour obtenir la majorité absolue. En revanche, ce serait le cas si les sociaux-démocrates et les écologistes s’associent avec les libéraux. Mais là encore, ceux-ci ne font pas des enjeux climatiques l’alpha et l’omega de la politique qu’ils souhaitent mener.

Une autre possibilité serait que le « dauphin » désigné d’Angela Merkel, Armin Laschet, prenne les choses en main en proposant une alliance entre la CDU/CSU, le FDP et… l’AfD. Mais un tel attelage serait politiquement très sensible… et donc improbable. À moins qu’il ne réussisse à convaincre les écologistes, ce qui est loin d’être gagné.

Quoi qu’il en soit, les uns et les autres devront négocier un accord de coalition, lequel donnera le ton de la politique que ménera l’Allemagne durant les quatre prochaines années.

Dans leurs programmes électoraux, on ne peut pas dire que les principaux partis politiques allemands ont beaucoup parlé du « couple franco-allemand » [contrairement en France…], malgré des programmes d’armement communs. Globalement, tous s’accordent sur un point : l’Otan est et demeurera la pierre angulaire de la politique de défense allemande.

Cela étant, durant la campagne, un consensus s’est établi sur la nécessité d’une plus grande « souveraineté européenne », hormis pour les libéraux du FDP, qui plaident au contraire pour renforcer la capacité d’action et la cohésion de l’Otan, tout en disant vouloir une « politique étrangère et de sécurité commune de l’UE digne de ce nom ».

Ainsi, pour le SPD, l’Union européenne « doit devenir plus indépendante en termes de politique de sécurité et de défense », ce qui passe par « plus de coopération en matière d’armement afin de créer des synergies et d’éliminer les dépenses supplémentaires inutiles ». De même que les écologistes, mais dans des termes différents.

Ainsi, ces derniers ont proposé que les missions militaires de l’UE soient contrôlées par le Parlement européen, un renforcement de la coopération entre les forces armées et la mutualisation des capacités militaires. Et d’évoquer une « consolidation du secteur européen de l’armement. »

S’agissant des exportations d’équipements militaires, sujet qui a été une source de frictions entre Paris et Berlin, le SPD et Die Grünen veulent mener une politique encore plus restrictive en la matière, prenant le contre-pied de la CDU/CSU. « Les exportations d’armes sont un élément de la politique de sécurité. C’est pourquoi nous préconisons des lignes directrices européennes uniformes », était-il avancé dans le programme des chrétiens-démocrates.

Un autre point sur lequel le SPD et Die Grünen peuvent s’accorder est celui de l’armement des drones. Les écologistes s’y opposent et les sociaux-démocrates ont récemment fait part de leur opposition à une telle capacité, lors d’un débat sur les appareils Heron TP commandés auprès du groupe israélien IAI pour les besoins de la Bundeswehr. Et la question a été renvoyée à plus tard.

Cela étant, M. Scholz n’est visiblement pas très à l’aise quand il s’agit d’évoquer ce sujet.  » L’armement des drones est très controversé au sein de la société. En tant qu’armée parlementaire, la Bundeswehr a besoin d’un large soutien du public. C’est pourquoi je suis favorable à une discussion large, approfondie et claire sur l’utilisation de drones armés », a-t-il dit, lors d’un entretien donné en août à la l’Association des forces armées allemandes [DBwV].

Par ailleurs, s’agissant de l’objectif de porter les dépenses militaires à 2% du PIB d’ici 2025 [un engagement pris par l’Allemagne lors du sommet de l’Otan organisé à Newport, en 2014, ndlr], le SPD et Die Grünen n’y sont pas favorables. Il s’y sont mêmes toujours opposés…

Durant la campagne électorale, M. Scholz a cependant fait valoir que les crédits de la Bundeswehr avaient fortement augmenté quand il était aux Finances. Ce qui est vrai… mais à l’issue d’un bras de fer constant avec Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre [CDU] de la Défense. Et la programmation budgétaire qu’il a élaborée prévoit une baisse importante des crédits militaires, ceux-ci devant passer de 50 milliards d’euros en 2022 à 45,6 milliards en 2025.

En outre, en juin dernier, ce sont les députés du SPD qui ont refusé de signer un chèque en blanc à Mme Kramp-Karrenbauer au sujet de la phase 1B du SCAF.

« Nous avons formulé des conditions claires pour la poursuite du projet et prenons ainsi en compte les critiques du Contrôle fédéral des finances et celles de l’Office fédéral des achats de l’armée », avaient-il justifié à l’époque. Et d’ajouter : « Malgré des critiques justifiées, nous continuons à soutenir le projet franco-germano-espagnol, qui est un élément central de la capacité de défense souveraine de l’Union européenne. Afin de permettre la recherche et le développement du projet, nous débloquons maintenant le budget nécessaire. Pour toutes les autres obligations financières, cependant, contrairement à ce qu’elle a demandé, la ministre doit à nouveau obtenir l’approbation de la commission des budgets ».

Enfin, la question de la participation de l’Allemagne aux plans nucléaires de l’Otan risque d’être un point de désaccord entre le SPD et Die Grünen [le FDP ne l’évoque pas, sa position étant que l’objectif à long terme est d’arrive à un « monde exempt d’armes nucléaires, ndlr]. Cela étant, cette divergence avait été dépassée quand les écologistes participèrent aux gouvernements conduits par le social-démocrate Gerhard Schröder [1998-2005].

Cependant, le SPD est lui-même divisé sur cette question. Son président fédéral, Norbert Walter-Borjans, s’était dit « clairement » opposé à « la présence sur le sol allemand d’armes nucléaires », ainsi qu’au projet d’acquérir des chasseurs-bombardiers américains capables d’emporter la bombe B61 afin de remplacer les avions « Tornado » de la Bundeswehr et permettre ainsi à cette dernière de continuer à participer à la dissuasion de l’Otan.

Mais telle n’est pas la position de M. Scholz. « L’Allemagne est un partenaire fiable au niveau international, comme nos amis et alliés le savent. La décision concernant le successeur de l’avion ‘Tornado’ sera prise lors de la prochaine législature », a-t-il assuré à la DBwV.

Selon les plans actuels, le ministère allemand de la Défense envisage d’acquérir, auprès de Boeing, 30 F/A-18 Super Hornet et 15 EA-18 Growler pour les missions de guerre électronique. Cette option sera-t-elle confirmée si M. Scholz succède à Angela Merkel? Ce n’est pas certain.

En effet, quand le choix du F/A-18 Super Hornet fut annoncé, certaines voix au sein du SPD l’ont critiqué. Tel a été le cas de Fritz Felgentreu, un spécialiste des questions de défense. « Il sera très coûteux de mettre en service un système complètement nouveau comme le F-18. J’aimerais voir les chiffres avant qu’une décision soit prise », avait-il dit, à l’époque. Et de proposer alors l’achat d’une quinzaine de F-35A et d’exploiter cette flotte en coopération avec les Pays-Bas.

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