Le délégué général pour l’armement prêt à reconsidérer la relance de la filière des munitions de petit calibre

Depuis la fin des années 1990 et la fermeture de l’établissement de Giat Industries au Mans qui eut pour conséquence la perte de la capacité de produire des munitions de petit calibre, la France est bien obligée de s’en remettre aux importations pour approvisionner ses forces armées [et de sécurité intérieure]. Avec parfois des soucis avec la qualité des cartouches livrées.

Quoi qu’il en soit, la question de savoir s’il est opportun ou non de relancer en France la production de munitions de petit calibre revient désormais régulièrement dans le débat depuis quelques années. Mais la réponse fut invariablement la même : cela coûterait trop cher et la quantité de cartouches consommées par les armées serait « insuffisante » pour permettre à une telle filière d’atteindre l’équilibre économique, qui plus est dans un contexte concurrentiel. Contexte qui, d’ailleurs, fait qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement.

Cependant, en décembre 2015, deux députés – Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq – contestèrent cette vision des choses dans un rapport avec des arguments qui firent mouche.

« La France serait-elle visionnaire en la matière alors que ses voisins ont pour la plupart conservé une industrie nationale de munitions de petit calibre qui alimente nos armées? Comment est-il possible de s’assurer qu’aucun de nos fournisseurs ne sera contraint de cesser ses livraisons en raison d’une législation nationale? Comment est-on certain d’un approvisionnement en cas de conflit majeur et pourquoi serions-nous dans ce cas les premiers servis? Pourquoi, si nos voisins parviennent à faire vivre une industrie de munitions de petit calibre, ne le pourrions-nous pas? », avaient demandé les deux parlementaires. Et d’en appeler à lancer une étude pour voir si la relocalisation d’une telle capacité de production était dans le domaine du possible.

Visiblement, alors ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian en était convaincu quand, en mars 2017, il « posa un acte de souveraineté nationale » [selon ses propos] il annonça la mise sur pied d’un montage industriel reposant sur une alliance entre NobelSport [spécialiste des munitions de chasse] et Thales, via sa filiale TDA Armements, avec la société Manurhin pour fournir les machines de cartoucherie.

Seulement, la Revue stratégique publié en octobre 2017 eut raison de cette volonté de relancer une production française de munitions de petits calibres. Et, régulièrement, le Délégué général pour l’armement [DGA], en reprit les arguments qui avaient été avancés jusqu’alors contre un tel projet… tout en ménageant une porte de sortie. Si une cette filière « devient une priorité stratégique, il faudra savoir exactement quel coût elle représente et comment nous pourrons la financer dans le cadre d’une LPM qui a déjà été bouclée », dira-t-il lors d’une audition parlementaire en octobre 2018.

Mais, un an plus tard, M. Barre donna l’impression d’avoir enterré définitivement ce projet. « Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a eu un débat sur l’opportunité de développer une filière de munitions de petit calibre en France. Nous avons estimé que ce projet ne se justifiait pas sur le plan économique. […] Or nous avons, pour acheter des munitions de petit calibre, des fournisseurs un peu partout dans le monde, y compris en Europe. Nous considérons donc que nous ne sommes pas dans une situation de dépendance et qu’il n’y a pas de risque pour notre souveraineté », fit-il valoir, en juillet 2019.

Puis, l’épisode de l’approvisionnement en masque durant l’acte 1 de la crise sanitaire liée à la covid-19 remit la question de cette filière française de munitions de petit calibre sur le tapis, en écho, d’ailleurs, aux questions posées trois ans plus tôt par MM. Bays et Dhuicq.

« Les produire chez nous est très confortable à la condition de maîtriser les coûts, les produire entre alliés est une solution médiane acceptable, moyennant une certaine vigilance. Mais s’il faut aller les acheter à l’autre bout du monde, ce n’est probablement pas raisonnable : nous offrons à nos adversaires des vulnérabilités ce qui réduit notre capacité de dissuasion », fit remarquer le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], en s’adressant aux députés.

Pour autant, cette crise ne modifia pas la perception du DGA. « Le marché français des munitions de petit calibre est négligeable par rapport au marché mondial : si nous voulions être indépendants, cela nous coûterait très cher. Et plusieurs pays sont susceptibles de nous les fournir – Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, Italie, Norvège, Israël, Émirats Arabes Unis, USA, Brésil », répondit-il. « La crise actuelle ne remet pas en cause l’analyse de la filière que nous avions menée en 2018 mais il faut se reposer la question de la souveraineté en des termes plus larges », avait-il conclu.

Débat clos? Pas vraiment… Dans leur rapport relatif à « la politique d’approvisionnement du ministère des Armées en ‘petits’ équipements », les députés André Chassaigne et Jean-Pierre Cubertafon, que tout oppose politiquement, revinrent à la charge, en usant d’un argument supplémentaire : l’adoption par les forces américaines du calibre 6,8 mm dans le cadre du programme Next Generation Squad Weapons, qui rendrait obsolète les munitions 5,56 mm OTAN.

Si les États-Unis « changent de calibre, ce dernier deviendra quasi nécessairement la norme Otan à laquelle tous devraient se plier » et pourrait devenir « par voie de conséquence, le standard européen. […] En France et en Europe, à terme, cela impliquerait de changer nos armements et de se doter de ce nouveau calibre, qu’aucune usine en Europe ne produit actuellement. Dans le cas contraire nous serions totalement dépendants des États-Unis », estimèrent-ils.

De nouveau interpellé sur ce sujet par M. Cubertafon lors de son dernier passage devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, M. Barre n’a pas exactement fait la même réponse que d’habitude.

« Nous avions étudié, en 2018, la possibilité de relancer la filière des petits calibres quelque part en France. Nous avions constaté que cela représenterait un coût économique significatif et que nous n’avions pas de difficultés à nous approvisionner sur le marché européen et international », a répondu, dans un premier temps, le DGA.

Mais, a-t-il continué, « nous avions suggéré de garder la question ouverte, tout en concluant un contrat de recherche et développement avec la société Nobel Sport visant à développer une catégorie de poudre à la performance améliorée et un processus industriel permettant d’être économiquement plus efficace. Ces travaux sont en cours et devraient franchir une première étape à la fin de l’année prochaine. »

Et ce que quand les résultats de cette étude seront connus que la question de relancer une filière nationale de munitions de petit calibre sera réévaluée. « Ce sera l’occasion de reconsidérer le dossier du petit calibre », a en effet lâché M. Barre.

En outre, s’agissant du calibre de 6,8mm, le DGA a précisé que « au regard du volet industriel du plan de relance, nous devrons, au plus tard en 2021, nous reposer la question » qu’il « soulève ». Et d’ajouter : « Si le calibre employé au sein de l’Otan devait changer, nous prendrions évidemment en considération ce paramètre dans la réflexion et les propositions de décisions. »

Photo : © armée de Terre

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]