L’ONU demande à la Turquie d’enquêter sur les exactions commises par ses supplétifs en Syrie

En Syrie, « aucun belligérant n’a les mains propres », a dénoncé la Commission d’enquête indépendante et internationale [COI] des Nations unies sur le conflit syrien, le 15 septembre, à l’occasion de la remise d’un rapport qui document une « multitude de violations liées à la détention par les forces gouvernementales, l’armée nationale syrienne [ANS], les forces démocratiques syriennes [FDS], Hay’at Tahrir al-Sham [HTS] et d’autres parties au conflit. »

Ainsi, dans le canton d’Afrin, contrôlé par des groupes armés syriens soutenus par Ankara, le rapport évoque des « crimes de guerre » commis à l’égard de la population kurde. Le rapport affirme que, « en détention », les « civils – principalement d’origine kurde – ont été battus, torturés privés de nourriture ou d’eau, et interrogés sur leur foi et leur appartenance ethnique. »

Ce n’est pas la première fois que les agissements de les groupes armés syriens pro-turcs affiliés à l’ANS sont dénoncés. Si « les médias turcs ont rapporté que les YPG avaient lancé des attaques indiscriminées sur des localités de la frontière turque et tué au moins sept civils, les groupes armés non étatiques affiliés à l’Armée syrienne libre, soutenus par la Turquie, ont également saisi, détruit et pillé des biens de civils kurdes à Afrin, tandis que les activistes locaux ont rapporté au moins 86 incidents liés à des abus commis par ces groupes, qui relèvent apparemment de l’arrestation illégale, de la torture et de la disparition forcée », avait en effet affirmé l’ONG Human Rights Watch dans son dernier rapport annuel [2019].

Et lors de l’offensive lancée en octobre dernier par Ankara contre les YPG dans le nord-est de la Syrie [opération Source de paix], des faits similaires furent rapportés. En outre, souligna un rapport de l’Inspection générale du Pentagone, reprenant des éléments fournis par la DIA, le renseignement militaire américain, évoqua la collusion [ou du moins la passivité] de certains groupes pro-turcs à l’égard de Daesh.

En mars, la COI avait estimé que la Turquie pourrait être « pénalement tenue pour responsable des graves violations commises par ses alliés de l’Armée nationale syrienne », surtout s’il s’avérait que ces derniers avaient agi « sous le commandement et le contrôle effectifs des forces turques. »

Et on en était resté là jusqu’à la communication que vient de faire Michelle Bachelet, la Haut-Commission des Nations unies au Droits de l’Homme, au sujet de la situation dans les zones syriennes passées sous contrôle turc.

« La situation des droits de l’homme est sombre dans certaines parties du nord, du nord-ouest et du nord-est de la Syrie qui sont sous le contrôle des forces turques et des groupes armés affiliés à la Turquie, la violence et la criminalité y étant répandues », a ainsi décrit Mme Bachelet. Et d’en appeler les « autorités turques à respecter le droit international et à s’assurer que les violations commises par les groupes armés sous le contrôle effectif de la Turquie cessent. »

Plus encore, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU a exhorté Ankara à « lancer immédiatement une enquête impartiale, transparente et indépendante sur les incidents » rapportés, soulignant que l’urgence était de « rendre compte du sort des personnes détenues et enlevées par les groupes armés affiliés » et de « poursuivre les auteurs de ce qui pourrait, dans certains cas, constituer des crimes au regard du droit international, notamment des crimes de guerre. »

« Ceci est d’autant plus important que nous avons reçu des rapports inquiétants selon lesquels certains détenus et personnes enlevées auraient été transférés en Turquie, suite à leur détention en Syrie par des groupes armés affiliés », a ajouté Mme Bachelet, dont les services ont relevé, ces derniers mois, une « répétition d’un schéma alarmant de graves violations dans ces régions, notamment à Afrin, Ras al-Ain et Tel Abyad », avec une « augmentation des meurtres, des enlèvements, des transferts illégaux de personnes, des confiscations de terres et de biens, et des expulsions forcées ».

En outre, les services de la Haut-Commissaire ont aussi constaté que les groupes affiliés à la Turquie utilise « l’accès à l’eau comme une arme ». Ces derniers, qui contrôlent la station de pompage d’eau d’Alouk à Ras al-Ain, ont « interrompu à plusieurs reprises l’approvisionnement en eau, affectant l’accès à l’eau pour près d’un million de personnes dans la ville d’al-Hassakeh et ses environs. »

Cela étant, les FDS ne seraient pas en reste puisqu’il leur est reproché d’entraver l’alimentation électrique de la station de pompage.

« Empêcher l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’électricité met en danger la vie d’un grand nombre de personnes », a dénoncé Mme Bachelet, qui demande donc à « toutes les parties de veiller à ce que les civils et infrastructures civils, soient protégés des attaques et hostilités. »

Plus généralement, l’interruption de l’approvisionnement en eau ne serait pas le seul fait des groupes pro-turcs… mais de la Turquie elle-même. Cet été, elle a été accusée par les Kurdes syriens d’avoir réduit le débit du fleuve Euphrate grâce à ses barrages.

« S’emparer de la station d’Alouk était l’un des principaux objectifs de la campagne militaire turque » d’octobre 2019. La Turquie veut utiliser l’eau comme moyen de pression pour retourner la population locale […] contre les Forces démocratiques syriennes. Et le rapport de force est largement à l’avantage d’Ankara qui a la capacité de couper indéfiniment l’eau à plus d’un demi-million de personnes », a récemment expliqué Nicholas Heras, analyste au Center for a New American Security, à l’AFP.

Quoi qu’il en soit, l’appel lancé par Mme Bachelet s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la part d’Ankara. « Nous rejetons entièrement les allégations infondées contre des groupes de l’opposition syrienne opérant sur le terrain pour combattre le terrorisme et permettre le retour des réfugiés », a fait valoir le ministère turc des Affaires étrangères, via un communiqué. Et de rejeter les « allégations infondées à l’encontre de notre pays en lien avec ces groupes et les critiques injustifiées de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme contre notre pays. »

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