Selon le général Friedling, le nombre d’événements « préoccupants » dans l’espace ne cesse de croître

Lancé le 25 novembre 2019 par une fusée Soyouz 2-1V Volga, capable de placer une charge de 2,85 tonnes en orbite, le satellite Kosmos-2542 libéra le sous-satellite Kosmos-2543 dix jours plus tard. Moscou expliqua alors que la mission de ces engins était de « poursuivre les travaux sur l’évaluation de l’état technique des satellites nationaux ».

Seulement, il apparut que Kosmos-2542 et Kosmos-2543 évoluaient sur la même orbite que le satellite USA-245, utilisé par le Pentagone à des fins de renseignement. Au point de s’en rapprocher après des manoeuvres qualifiées de « suspectes ». Aussi, en février, les États-Unis dénoncèrent le comportement « inhabituel et inquiétant » des deux engins russes. Mais l’affaire n’en est pas restée là.

Le mois dernier, Kosmos-2543 a libéré à son tour un objet – appelé Objet-E, à une vitesse de l’ordre de 200 mètres par seconde. Ce qui a été perçu à Washington comme un test « non destructeur » d’une arme anti-satellite, dans la mesure où, dans l’espace, un choc avec objet, quelle que soit sa nature [projectile, débris] peut endommager un satellite, voire le détruire.

« C’est l’équivalent d’une balle dans l’espace. Là-haut, il n’y a jamais de petit accrochage », a fait valoir Christopher Ford, secrétaire d’État adjoint à la sécurité internationale et à la non-prolifération.

Évidemment, Moscou a récusé les allégations américaines, par ailleurs relayées par Londres. « Nous appelons nos collègues américains et britanniques à faire preuve de professionnalisme et à s’asseoir à la table des négociations plutôt que diffuser des messages de propagande », a rétorqué la diplomatie russe. « Les tests menés le 15 juillet par le ministère russe de la Défense n’avaient pas constitué une menace pour les autres engins spatiaux et, surtout, n’avaient pas violé les normes et les principes du droit international », a-t-elle insisté.

Mais outre les satellites Kosmos-2542 et Kosmos-2543, les États-Unis ont suspecté la Russie d’avoir testé une autre arme anti-satellite, dans le cadre du programme antimissile A-235 PL-19 Nudol, en tirant un missile intercepteur vers un point fixe dans l’espace. C’est une « tentative » des Américains pour « justifier leurs propres prétentions à l’espace », répondit Moscou.

Quoi qu’il en soit, la France a aussi fait état, non pas d’armes anti-satellites, mais, à plusieurs reprises, de comportements jugés inamicaux dans l’espace. Jusqu’en 2018, aucun pays n’avait été explicitement désigné… Mais la ministre des Armées, Florence Parly, mit les pieds dans le plat en dénonçant les activités de l’engin russe LUCH-OLYMP autour du satellite franco-italien de communications militaires Athena-Fidus.

Depuis, la France s’est dotée d’une stratégie spatiale militaire, laquelle prévoit la création d’une commandement de l’espace [sous l’égide de l’armée de l’Air], des investissements nouveaux, un renforcement des moyens d’observation [programme ARES, pour Action et Résilience Spatiale, successeur du radar GRAVES, etc], et la mise au point de systèmes défensifs. Il est ainsi question doter les satellites de caméras pour dissuader les attitudes inamicales, de mettre en orbite des nano-satellites patrouilleurs, et de développer des laser pour aveugler les satellites dans le cadre de la légitime défense.

Ces sytèmes ne seront toutefois pas pleinement opérationnels dans un avenir proche. C’est en effet ce qu’a confié le général Michel Friedling, le commandant de l’Espace [CdE], lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale. « Pourquoi attendre 2030 pour la défense active? C’est un domaine totalement nouveau : il faut maturer les technologies, mettre au point les concepts, mettre en l’air des démonstrateurs, sachant que les charges utiles peuvent être très variées. Nous avançons vite sur les nano-satellites patrouilleurs, mais cela prend un certain temps, ne serait-ce que pour apprendre : nous partons d’une feuille blanche », a-t-il expliqué aux députés.

Cependant, et comme le général Friedling l’a indiqué, les travaux concernant les nano-satellites « guerreur-patrouilleur » avancent plus vite que prévu, un démonstrateur devant être lancé en 2023 [au lieu de 2028] afin de « prouver notre capacité à mener des opérations en orbite géostationnaire ».

« La réalisation de ce démonstrateur est un modèle d’opération agile, audacieuse, innovante, rendue possible par une volonté commune et un travail conjoint avec la DGA, le CNES et l’Agence de l’innovation de défense. […] Si tout va bien, nous aurons en 2023 cette capacité en orbite géostationnaire, qui représentera à la fois une première démonstration, une première capacité opérationnelle et une source d’enseignement majeur pour une vraie et pleine capacité à l’horizon 2030 », a expliqué le général Friedling.

En attendant, en orbite, « la compétition s’intensifie, les risques et les menaces sont de plus en plus présents », a relevé ce dernier.

« On observe ces derniers mois un accroissement du nombre d’évènements préoccupants. Plusieurs exemples récents d’événements ont fait l’objet de publications dans la presse ouverte et de communication ou de protestation de la part des Américains. Il s’agit essentiellement de développements et d’essais de capacités anti satellite, de manœuvres de rapprochement et de proximité non coopératifs en orbites basses et géostationnaires et de manœuvre d’espionnage ou d’intimidation », a continué le patron du commandement de l’espace.

Certains de ces faits ont-ils concerné des satellites français? Impossible à dire en l’état actuel des choses, une partie de ceux évoqués par le général Friedling étant « classifiés ». « Nous suivons et analysons tous ces évènements avec nos alliés pour comprendre, analyser et tirer ensemble des enseignements. Ils viennent conforter l’analyse faite à l’occasion de la revue spatiale qui a abouti à la publication de notre stratégie spatiale de défense », a-t-il conclu sur ce point.

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