La presse américaine révèle de nouveaux détails sur les liens du renseignement militaire russe avec les talibans

Le 26 juin, se basant sur des confidences faites sous le sceau de l’anonymat par des responsables du renseignement américain, le New York Times a affirmé que l’unité 29155 du GRU, le renseignement militaire russe, avait offert des primes aux talibans pour s’attaquer aux soldats de l’Otan déployés en Afghanistan et que le président Trump en avait discuté avec ses conseillers. Puis, CNN, le Wall Street Journal et le Washington Post ont rapporté la même information.

« Si les informations du renseignement sur le fait que la Russie ou tout autre pays mettent des primes sur [la vie] de militaires américains sont vérifiées, alors ils doivent être traités comme des États soutenant le terrorisme », a réagi Thom Tillis, un sénateur républicain du comité des Forces armées.

Cela étant, le mouvement taleb afghan et la Russie, déjà accusée, par le passé, par les autorités afghanes et le Pentagone de fournir un soutien aux talibans, ont démenti les affirmations du New York Times. De même que Donald Trump… Du moins en partie. En effet, le 27 juin, la porte-parole de la Maison Blanche, Kayleigh McEnany, a assuré que « ni le président ni le vice-président n’ont été briefés sur ces soit-disant primes russes ».

L’intéressé a dit la même chose via Twitter. « Personne ne m’a briefé, ou n’a briefé le vice-président Mike Pence ou le chef de cabinet Mark Meadows sur les soi-disant attaques sur nos troupes en Afghanistan par les Russes », a fait valoir M. Trump. « Tout le monde le nie et il n’y a pas eu beaucoup d’attaques contre nous », a-t-il insisté, accusant le New York Times d’avoir colporté des « fake news ». Ce qu’il fera à nouveau le 1er juillet, en accusant le journal de chercher à le brouiller avec le Parti républicain à quelques semaines des élections.

Puis, le directeur national du renseignement américain, John Ratcliffe, est intervenu à son tour pour assurer que « ni le président ni le vice-président n’ont été informés de renseignements avancés par le New York Times dans son article. Les reportages du New York Times et tous les reportages ultérieurs sur un tel briefing sont inexacts », a-t-il affirmé, sans dire quoi que ce soit sur la véracité – ou non – des informations rapportées par le quotidien.

Deux jours plus tard, et alors que cette affaire prenait une dimension politique – campagne électorale oblige -, la Maison Blanche a expliqué qu’il n’y avait « pas de consensus » sur les affirmations du New York Times « au sein de la communauté du renseignement. » Pour autant, même sans consensus, et comme l’avait affirmé le journal, le Royaume-Uni a été informé de l’existence présumée de ces primes russes.

« Je suis au courant de ces renseignements. Je ne peux pas faire de commentaires sur des sujets touchant au renseignement si ce n’est pour dire que nous prenons de nombreuses mesures pour nous assurer que nos soldats, hommes et femmes et de nos forces armées, quand ils sont déployés, soient en sécurité », a ainsi déclaré Ben Wallace, le ministre britannique de la Défense [MoD], à la Chambre des communes, le 30 juin.

Depuis, le New York Times a apporté de nouveaux éléments à charge. Ainsi, selon les déclarations de trois responsables au fait du dossier, le renseignement américain aurait eu vent de transferts financiers électroniques d’un compte bancaire appartenant au GRU vers un autre lié aux talibans », ce qui constituerait une « preuve étayant la conclusion selon laquelle la Russie a secrètement offert des primes pour le meurtre de soldats américains et de la coalition [de l’Otan] en Afghanistan ».

Toujours d’après ces trois responsables, « les enquêteurs ont également identifié par leurs noms de nombreux Afghans impliqués dans un réseau lié à l’opération russe présumée », dont un homme qui « aurait servi d’intermédiaire pour la distribution d’une partie des fonds et qui serait désormais en Russie. »

En outre, des responsables afghans ont aussi évoqué des informations allant dans ce sens. « Ils ont déclaré que plusieurs hommes d’affaires qui transféraient de l’argent via le ‘hawala’ [un système traditionnel de paiement informel] avaient été arrêtés en Afghanistan au cours des six derniers mois et qu’ils étaient soupçonnés de faire partie d’un cercle d’individus servant d’intermédiaires entre le GRU et les talibans », rapporte le New York Times. Et un demi-million de dollars a été saisi au domicile de l’un d’entre-eux, à Kaboul.

Dans son premier article, le quotidien new yorkais n’avait pas été en mesure de donner des précisions au sujet des attaques qui ayant pu être motivées par l’octroi de telles primes. Désormais, il indique que les enquêteurs se concentrent sur deux cas, dont un attentat qui, commis en avril 2019 à l’extérieur de la base de Bagram, a coûté la vie à trois soldats du corps des Marines.

« Dans la province de Parwan, où se trouve la base aérienne de Bagram, les talibans sont connus pour avoir engagé des criminels locaux », a témoigné le général Zaman Mamozai, l’ancien chef de la police provinciale. Et deux ex-responsables afghans ont affirmé que réseaux criminels ont commis des attaques au nom du mouvment taleb « en échange d’argent. »

En tout cas, avance le New York Times, ces informations ont été jugées assez solides pour faire l’objet d’un article dans la publication « World Intelligence Review de la CIA », en mai dernier.

Au-délà de ces primes présumées versées par le GRU, le chef de la police de la province de Baghlan [nord de l’Afghanistan] a affirmé, dans les colonnes de TOLOnews, que la « Russie dispense une formation aux insurgés à Dand-e-Ghori » et qu’elle « les a équipés d’armes très dangereuses ».

« La Russie se venge parce que par le passé, les États-Unis ont aidé des ‘moudjahidin’ qui ont réussi à la mettre en échec », a estimé Fida Mohammad Ulfat, un ancien président de la commission de la sécurité et du renseignement au Parlement afghan.

Ce soutien présumé de la Russie aurait donc été apporté aux talibans alors que ces derniers négociaient avec la diplomatie américaine à Doha [Qatar]. Ce qui a donné lieu à la signature d’un accord, le 29 février. Selon les termes de ce dernier, le mouvement taleb a pris l’engagement d’empêcher les organisations terroristes de s’en prendre aux États-Unis ainsi qu’à leurs alliés, en échange d’un retrait des forces américaines [et plus largement, de l’Otan].

Or, le dernier rapport sur la situation en Afghanistan que remet, tous les six mois, le Pentagone au Congrès [.PDF]  souligne que les talibans ont continué à coopérer Al-Qaïda dans le sous-continent indien [AQIS, la branche régionale d’al-Qaïda, nldr]. Ce que soutient également le groupe d’experts des Nations unies mis en place pour suivre la mouvance jihadiste.

« AQIS apporte régulièrement son soutien et sa coopération à des combattants de base talibans pour affaiblir le gouvernement afghan et il est dans son intérêt à long terme d’attaquer des forces américaines et occidentales dans la région », indique ce rapport. « Malgré les récents progrès dans le processus de paix, AQIS maintient des liens étroits avec les talibans en Afghanistan, vraisemblablement pour bénéficier d’une protection et de formation », insiste-t-il.

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