Incident naval franco-turc : Paris maintient ses accusations quand Ankara exige des « excuses inconditionnelles »

Le 1er juin, lors d’une audition au Sénat, l’ambassadeur de Turquie en France, Ismaïl Hakki Musa, a démenti qu’un navire turc a « illuminé », avec son radar de conduite de tir, la frégate française « Courbet », qui, engagée dans une opération de l’Otan, s’apprêtait à contrôler le cargo Cirkin, soupçonné d’acheminer des armes en Libye depuis un port turc, en violation de l’embargo imposé par les Nations unies.

« Le navire Oruçreis n’a pas éclairé le Courbet, il l’a seulement désigné pour surveiller les manœuvres », a en effet expliqué le diplomate, accusant à son tour la frégate française d’avoir effectué des « manoeuvres agressives », à une « vitesse extrêmement élevée » [20 noeuds], en faisant une « queue de poisson » au bâtiment turc. Et « quand on vous fait une queue de poisson, vous êtes plutôt énervé, et cela risque de provoquer un incident », a-t-il insisté, sans pour autant parvenir à convaincre les sénateurs.

Pour rappel, le Cirkin était escorté par trois navires militaires turcs, qui utilisaient des codes d’identification de l’Otan alors qu’ils n’étaient pas déployés dans une opération de l’organisation. Au moment où elle allait le contrôler, la frégate Courbet a été « illuminée » à trois reprises par le radar de conduite de tir du TGS Oruçreis, selon Paris. Ce qui est le stade ultime avant l’ouverture du feu. En outre, l’État-major des armées a assuré que le navire français s’était approché du cargo suspect « sans mettre en cause la sécurité nautique, ni déroger aux règles de navigation. »

Devant les protestations de Paris face à cette attitude, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a lancé une enquête qui, selon la Turquie, n’a pas confirmé la version française. « D’après les informations que j’ai eues, ce n’est pas concluant compte tenu de la réclamation de nos amis français », a en effet déclaré M. Hakki Musa.

Ce 2 juillet, en des termes beaucoup moins diplomatiques, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a exigé des excuses « inconditionnelles » de la part de la France concernant cet incident.

« Nous attendons de la France qu’elle s’excuse, qu’elle s’excuse inconditionnellement », a en effet déclaré M. Cavusoglu depuis Berlin, lors d’une conférence de presse donnée au côté de Heiki Maas, son homologue allemand. « Il n’est pas acceptable que la France se prête à de fausses affirmations et agisse contre la Turquie », a-t-il continué. « Nous devons être honnêtes : la France ne dit pas la vérité à l’Union européenne et à l’Otan », a-t-il insisté.

« Il n’est pas vrai que nos bateaux ont lancé un avertissement » à la frégate française et « nous veillons scrupuleusement à ce que la vérité apparaisse au grand jour », a assuré le chef de la diplomatie turque, qui, en retour, et sans produire la moindre preuve, a accusé la France de livrer des armes aux forces du maréchal Khalifa Haftar, contre lesquelles la Turquie a envoyé des mercenaires et des conseillers miliaires pour combattre aux côtés du gouvernement d’union nationale libyen [GNA].

Seulement, Paris n’entend rien céder. Ce même jour, devant la sous-commission « défense et sécurité » du Parlement européen, la ministre française des Armées, Florence Parly, a nouvelle fois dénoncé le « comportement très préoccupant de la Turquie. »

« La France et la Turquie participent toutes deux à l’opération otanienne Sea Guardian de sûreté maritime en Méditerranée orientale, dont une des missions consiste à assurer la surveillance maritime contre les trafics. Cela, alors que les Nations Unies ont imposé un embargo sur les livraisons d’armes à la Libye. Il y a quinze jours, alors qu’un navire français contrôlait un cargo suspect en provenance de Turquie, des frégates turques ont interféré et l’une d’entre elle a, comme on dit en langage militaire, illuminé le navire français avec son radar de conduite de tir. C’est un acte agressif et indigne d’un allié de l’Otan », a répété Mme Parly.

« Je l’ai donc dit très clairement lors de la dernière réunion ministérielle de l’Otan. J’ai été soutenue par beaucoup de mes homologues européens et je les en remercie. Nous sommes censés être une alliance. Un allié qui viole consciencieusement les règles que l’Alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l’interrogent, ce n’est pas acceptable », a continué Mme Parly.

Étant donné que l’enquête menée par l’Otan sur cet incident n’aurait « pas permis d’établir correctement les faits », la France a annoncé sa décision de suspendre sa participation à l’opération Sea Guardian. Et Mme Parly s’en est expliqué.

« Nous avons donc formulé quatre demandes pour que ce type d’incidents ne se reproduise pas : une réaffirmation solennelle du respect de l’embargo, un rejet catégorique de l’utilisation par la Turquie des indicatifs Otan pour mener ses trafics, une meilleure coopération entre l’UE et l’Otan et et des mécanismes de déconfliction », a détaillé la ministre. Et, a-t-il continué, « dans l’attente de clarifications sur ces différents points, le Président de la République Française a pris la décision de retirer les moyens français consacrés à Sea Guardian et ceci, jusqu’à nouvel ordre. »

Par ailleurs, s’agissant de la Libye, Mme Parly a souligné que « deux puissances non arabes […] prétendent en faire l’adjudication entre elles », à savoir la Russie et la Turquie. « Cela ne peut pas être une bonne nouvelle pour l’Europe. Surtout quand cette syrianisation du conflit se confirme à la fois dans l’esprit, et dans la lettre : car ces deux puissances ont importé plusieurs milliers de miliciens syriens pour soutenir leur combat », a-t-elle estimé.

Quoi qu’il en soit, déjà dégradées depuis l’offensive lancée par Ankara contre les Forces démocratiques syriennes, en octobre dernier, les relations entre la France et la Turquie sont également affectées par les forages turcs d’exploration gazière dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Et là, cette affaire concerne l’Union européenne.

Le 25 juin, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, a appelé Ankara à « cesser » ses forages « illégaux » dans la ZEE de la République de chypre. Sans succès. Mais la Turquie fera l’objet, à la demande de la France, d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE le 13 juillet prochain.

« Des sanctions ont déjà été prises à l’encontre de la Turquie par l’UE, en raison des forages que la Turquie initiait dans la zone économique maritime de Chypre […] et d’autres sanctions peuvent être envisagées », a en effet annoncé Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

Photo : Marine nationale

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