Dissuasion : « Les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne », affirme M. Macron

Compétitions entre puissances risquant de virer au rapport de forces puis à la confrontation, contestation des espaces maritimes, instrumentalisation du droit international, quand il n’est pas simplement remis en cause, pour servir des intérêts propres, traités de désarmement dénoncés, détricotage de l’architecture européenne de sécurité, « zones grises » que se multiplient, relance d’une course aux armements… Et le tout sur fond de d’avancées technologiques de nature à changer la donne…

Telle est la situation, décrite par le président Macron, lors d’un discours prononcé devant les stagiaires de l’École de guerre, ce 7 février. « La dernière décennie a vu les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires, largement remis en cause, et nous voyons aujourd’hui poindre à nouveau ce qui pourrait mettre à mal la paix acquise après tant de drames sur notre continent », a-t-il expliqué, avant d’évoquer une « une « nouvelle hiérarchie des puissances [qui] se dessine, au prix d’une compétition stratégique globale, désinhibée, porteuse pour l’avenir de risques d’incidents et d’escalade militaire non maîtrisée. »

Et dans ce contexte, a-t-il dit, les Européens « doivent collectivement prendre conscience que, faute de cadre juridique, ils pourraient se trouver rapidement exposés à la reprise d’une course aux armements conventionnels, voire nucléaires, sur leur sol. Ils ne peuvent pas se cantonner à un rôle de spectateurs ». Et ce risque est d’autant plus grand que le Traité sur les Forces nucléaires intermédiaires [FNI] a été dénoncé par les États-Unis et la Russie en 2019.

Justement, en matière de désarmement, et alors que se profile la fin d’un autre traité majeur concernant Washington et Moscou, à savoir le New Start, M. Macron a dit souhaiter que les Européens proposent « ensemble un agenda international de maîtrise des armements ».

Et, dans ce domaine, a-t-il continué, la France prendra « ses responsabilités », d’autant plus qu’elle a la légitimité pour le faire étant donné qu’elle présente « un bilan unique au monde, conforme à ses responsabilités comme à ses intérêts, ayant démantelé de façon irréversible sa composante nucléaire terrestre, ses installations d’essais nucléaires, ses installations de production de matières fissiles pour les armes, et réduit la taille de son arsenal, aujourd’hui inférieure à 300 armes nucléaires. »

Cela étant, dans ce contexte, M. Macron a plaidé pour une « plus grande capacité d’action autonome des Européens », même si, selon lui, la France « est convaincue que la sécurité à long terme de l’Europe passe par une alliance forte avec les États-Unis. »

Sur ce point, le président français s’est montré sévère à l’endroit des politiques menées sur le Vieux Continent depuis la fin de la Guerre Froide. Politiques qui, faute d’avoir anticipé les mouvements à venir, ont conduit à une perte d’autonomie dans les domaines de l’industrie, des technologies [celles relatives au numériques, en particulier] et dans la défense.

« La liberté d’action européenne, la défense et la sécurité de l’Europe ne peuvent reposer sur une approche uniquement militaire. Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe. Il nous faut, au niveau européen, maîtriser nos infrastructures maritimes, énergétiques et numériques. Là aussi, nous nous sommes beaucoup trompés. Nous avons fini par penser, dans les années 1990 et 2000, que l’Europe était devenue un gros marché, confortable, théâtre d’influences et de prédations à tout va », a en effet souligné le président Macron, parlant d’une « funeste erreur ».

« Nous vivons dans le monde de l’interopérabilité, avec des équipements de plus en plus numérisés. Dépenser ce que nous dépensons pour avoir des équipements parfaits et remettre les infrastructures de connexion entre nos équipements et nos pays à d’autres, sans garantie, serait quand même une étrange naïveté. Vous me permettrez ne pas vouloir y participer », a encore fait valoir M. Macron, sans une allusion à peine voilée au groupe chinois Huawei, appelé à participer au déploiement de la 5G dans certains pays européens.

S’agissant des affaires militaires, ce dernier a également fustigé une « vision idéaliste » qui, « au lendemain de la Guerre Froide », a « accrédité l’idée que le monde était devenu moins dangereux » et conduit à « réduire » l’effort de défense.

Si ce choix pouvait paraître justifié à l’époque, au regard de la taille des arsenaux accumulés avant la chute du mur de Berlin, a-t-il continué, la « grande erreur a sans doute été, en Europe uniquement, de le prolonger au cours des 20 dernières années, voire de l’accélérer pendant la crise financière, alors que d’autres puissances, majeures ou régionales, maintenaient, voire renforçaient leur effort de défense. »

Et cela vaut aussi évidemment pour la France. « Le format et les capacités de nos armées ont été direcement impactés » alors que « celles-ci étaient sollicitées au même moment de manière croissante dans des opérations régionales », a rapellé M. Macron, déplorant que la nécessité de les dimensionner pour des défis du « haut du spectre » ait été « bien souvent oubliée. »

Quoi qu’il en soit, M. Macron a dit une nouvelle fois « assumer » un effort « budgétaire inédit et durable » au profit des armées. Et de prévenir : « que nul ne perde d’énergie à chercher à le revisiter ».

Cet effort prévoit notamment 37 milliards d’euros pour moderniser les deux composantes de la dissuasion nucléaire française [océanique et aérienne], qui sont complémentaires l’une de l’autre. À ce propos, et alors que, en Allemagne, certains voudraient que la France mutualise sa force de frappe au niveau européen étant donné qu’elle est désormais la seule, parmi les 27, à en être dotée, le président Macron a été clair.

Tout d’abord, il a précisé que les forces conventionnelles sont indissociables des forces stratégiques.

« Dès lors que nos intérêts vitaux sont susceptibles d’être menacés, la manoeuvre militaire conventionnelle peut s’inscrire dans l’exercice de la dissuasion. La présence de forces conventionnelles robustes permet d’éviter la surprise stratégique et d’empêcher la création rapide d’un fait accompli ou de tester la détermination de l’adversaire en le forçant à dévoiler de facto ses véritables intentions. Dans cette stratégie, notre force de dissuasion nucléaire demeure, en ultime recours, la garantie de nos intérêts vitaux. Elle interdit à l’adversaire de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation, du chantage », a ainsi fait valoir M. Macron.

« La stratégie nucléaire de la France vise fondamentalement à empêcher la guerre », a-t-il poursuivi. « Je réaffirme que la France ne s’engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée », a-il continué.

Par ailleurs, M. Macron a déclaré que les forces stratégiques française « jouent un rôle dissuasif propre, notamment en Europe » car elles « renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et, à cet égard, ont une dimension authentiquement européenne. »

Est-ce à dire que les membres de l’UE seraient « couverts » par le parapluie nucléaire française? « Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité toujours plus étroite. Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne », a répondu M. Macron.

En clair, il est hors de question d’une quelconque mutualisation de la force de frappe française. En revanche, M. Macron est ouvert à un « dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective ». Et, a-t-il continué, les « partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices » des forces stratégiques françaises.

Ce qui pourrait être compliqué s’agissant des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] mais envisageable pour les Forces aériennes stratégiques [FAS], avec, par exemple, l’engagement d’un avion ravitailleur européens, voire la simulation d’une opposition adverse lors des exercices « Poker ».

En outre, M. Macron a rejeté l’idée d’une participation française aux plans nucléaires de l’Otan. Mais la France « continuera à nourrir la réflexion de niveau politique visant à renforcer la culture nucléaire de l’Alliance », a-t-il précisé.

Enfin, s’il y a un pays en Europe avec lequel la France affiche une proximité en matière de dissuasion, c’est bien le Royaume-Uni.

« Seules puissances nucléaires européennes, la France et le Royaume-Uni ont, dès décembre 1995, affirmé clairement qu’ils n’imaginaient pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un des deux pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi », a rappelé M. Macron. Et il entend bien que cela puisse continuer. « Le haut niveau de confiance mutuelle consacré par les traités de Lancaster House se traduit au quotidien dans une coopération inédite sur les sujets nucléaires. Nous la poursuivrons avec détermination et le Brexit n’y change rien », a-t-il conclu.

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