Le Sénat appelle le gouvernement « à revoir sa copie » sur l’avenir de la recherche aérospatiale française

Dans leur rapport pour avis sur les crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant ont dit craindre de voir les études amont relatives au programme de Système de combat aérien du futur [SCAF], mené par la France, l’Allemagne et l’Espagne, être confiées au Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt [DLR], c’est à dire le centre allemand de recherches aérospatiales.

Et cela parce que, ont expliqué les deux sénateurs, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA] est fragilisé pour au moins deux raisons : ses moyens financiers sont largement inférieurs à ceux de son homologue allemand et ses ressources humaines sont soumises à de très fortes tensions.

Cela étant, Bruno Sainjon, le président-directeur général de l’ONERA, s’est voulu rassurant sur ce point, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, le 4 décembre. Rassurant mais aussi vigilant…

« La situation en France sur le SCAF n’est pas aussi tragique au point d’en déduire que c’est le DLR qui va conduire la partie ‘recherche’. Mais les Allemands se sont déjà mis en ordre de marche. Nous, [à l’ONERA], ce n’est pas du tout le cas. On a ait des propositions sur des sujets sur lesquels on peut travailler [entrées d’air, matériaux, etc] mais on attend pour l’instant la réponse [du ministère des Armées] », a expliqué M. Sainjon.

« Je pense qu’on attend, côté français, que les choses se mettent en place du point de vue industriel. Mais il faut aller vite parce que quand on fait ça à ressources humaines contraintes, comme c’est notre cas, on va avoir du mal à identifier et à recruter les gens pour faire le travail qu’on attend de nous », a ajouté M.Sainjon.

Effectivement, le ministère allemand de la Défense a déjà notifié un contrat d’étude amont au DLR pour le SCAF… Or, les moyens financiers et humains du centre de recherches allemand, pour la seule partie dédiée à ses activités aéronautiques, sont sans commune mesure avec l’ONERA.

L’organisme français compte 1910 employés, dont environ 300 doctorants, quand les effectifs du DLR sont passés de 1.562 à 1.860 salariés entre 2011 et 2018. Durant la même période, sa suvention annuelle, toujours pour ses seules activités aéronautiques, a été porté à 202 millions d’euros [contre 134 millions au début de la décennie, ndlr]. Une somme qui a en outre été arrondie à la fin de l’année 2018, le Parlement allemand lui ayant alloué une enveloppe supplementaire de 106 millions d’euros qu’il n’avait pourtant pas sollicitée.

De son côté, l’ONERA vu sa subvention passer de 115 à 105 millions d’euros entre 2011 et 2018. Et il est confronté à de lourds enjeux en matière de ressources humaines. Au cours cinq prochaines années, les départs en retraite feront qu’il perdra 30% de ses effectifs. Même chose pour les cinq années qui suivront. CE qui pose un gros problème de transmission des savoir-faire et des compétence.

En outre, et cela avait été souligné par les parlementaires, l’ONERA souffre d’un problème d’attractivité, les salaires qu’il propose à ses ingénieurs étant inférieurs de 30% à ceux de la Direction générale de l’armement [DGA]. Et les rémunérations de souffrent pas la comparaison avec celles offertes par l’industrie.

« Certaines spécialités sont à un stade critique, les compétences tiennent sur une personne » et 1.910 employés « pour couvrir l’ensemble du périmètre de l’ONERA, qui va de la défense à l’aéronautique civile en passant par l’espace, c’est très peu », a fait valoir M. Sainjon. Surtout si on risque la comparaison avec le DLR allemand.

Aussi, au regard de cette situation, le Sénat en appelle au gouvernement afin de « doter l’ONERA des moyens dont il a besoin », d’autant plus que, estime-t-il, la ministre des Armées, Florence Parly, « n’apporté aucune réponse » au sujet des questions posées au sujet de l’avenir de cet organisme [ou, du moins, celles qu’il attendait, ndlr].

« Lors du dernier conseil d’administration de l’ONERA, le gouvernement aurait indiqué une intention de revoir légèrement à la hausse la subvention de l’Office, à 110 millions d’euros en 2020 et 2021 (au lieu de 106 et 107 millions d’euros). Cette progression n’est pas inscrite dans le PLF, ce qui est incompréhensible », fait valoir la commission des Affaires étrangères et des Forces armées, présidée par Christian Cambon [LR].

En outre, selon elle, cette dotation est insuffisante car il « faudrait 5 millions d’euros par an rien que pour combler le décalage de rémunération des personnels entre l’ONERA et la DGA, sans même parler des rémunérations dans le secteur  » et que la « subvention du DLR, en progression constante, dépasse désormais 200 millions d’euros, soit le double de celle de l’ONERA. »

« Nous devons conforter l’ONERA, qui est une pépite technologique de niveau mondial. Il se classe largement au premier rang dans son domaine en Europe, mais cela ne pourra durer si nous continuons à le sous-doter alors que nos partenaires et concurrents accélèrent leur effort », a ainsi conclu M. Cambon. Reste à voir si cet appel sera entendu.

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