Airbus s’en prend vivement à Madrid, qui lui a préféré Indra pour participer au Système de combat aérien du futur

Le patron d’Airbus Defence & Space, Dirk Hoke, ne ménagea pas sa peine, à l’automne 2017, pour convaincre qu’un éventuel achat de l’avion de combat américain F-35A par l’Allemagne porterait un coup sans doute définitif aux activités de l’industrie aéronautique européenne dans le domaine militaire. D’autant plus que le groupe avait déjà dans ses cartons un projet appelé « Next Generation Weapon System » afin de remplacer les Panavia Tornado de la Luftwaffe.

Depuis, deux pays qui équipent leurs forces aériennes respectives avec des F-35 – le Royaume-Uni et l’Italie – ont signé un accord pour mettre au point le Tempest, un avion de combat de 6e génération. Puis, la France et l’Allemagne ont lancé le programme SCAF [Système de combat aérien du futur], lequel a été récemment rejoint par l’Espagne.

Le SCAF est un « système de systèmes », c’est à dire un réseau de plusieurs types d’appareils centré sur un nouvel avion combat – le NGF pour New Generation Fighter – dont la maquette à l’échelle 1 a été présentée lors du dernier salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget.

La conduite de ce programme ayant été confiée à la France [l’Allemagne ayant hérité de la maîtrise d’ouvrage du futur char franco-allemand, ndlr], Dassault Aviation et Safran ont été désignés pour être respectivement les maîtres d’oeuvre du NGF et des moteurs tandis qu’Airbus est appelé à jouer le premier rôle dans l' »Air Combat Cloud ».

Seulement, dès le départ, l’Allemagne a souhaité associer l’Espagne au programme SCAF, alors que, selon un rapport du député Jean-Charles Larsonneur publié en novembre 2018, « cet élargissement n’avait pas été évoqué préalablement et […] que les autorités politiques ont validé le principe d’un démarrage franco-allemand préalable à l’ouverture à d’autres partenaires. »

La participation des Espagnols « ne constitue en soi un problème de fond tant que leur niveau d’ambition n’est pas déraisonnable », avait cependant estimé Joël Barre, le Délégué général pour l’armement. Et l’Espagne a depuis rejoint le projet.

Pour Airbus, une participation espagnole au programme SCAF pouvait lui donner l’occasion d’en prendre les commandes, étant donné qu’il emploie plus de 10.000 salariés en Espagne, où il dispose de plusieurs sites industriels dédiés à la production d’avions militaires de transport. En outre, via la SEPI [Società Spagnola Industrial Holdings], Madrid détient 4,17% du capital d’Airbus, tandis que Paris et Berlin possèdent chacun 11% des actions.

D’ailleurs, Dirk Hoke n’avait pas caché cette ambition. Il l’avait exprimée dès novembre 2017, puis rappelée dans un entretien donné à La Tribune, en octobre 2018.

« Sur le futur avion de combat, nous sommes prêts à travailler avec Dassault, avec un leadership de ce dernier. Le partage industriel se fera selon les investissements des pays. Maintenant, il faut poursuivre dans l’ambition et la construction du projet jusqu’au SCAF dans sa globalité, car c’est plus qu’un avion. Qu’est-ce que cela veut dire si on lance ce programme de système de systèmes? Pour le système de systèmes, je souhaiterais qu’il y ait la même chose. Nous pensons que cela serait bien pour le développement du projet et son équilibre qu’Airbus prenne le leadership », avait expliqué le Pdg d’Airbus Defence & Space.

Seulement, l’Espagne n’a pas affiché un niveau d’ambition « déraisonnable ». Fin août, Madrid a désigné le groupe d’électronique de défense Indra comme coordinateur de l’industrie espagnole au sein du programme SCAF. Ce qui a suscité une très vive réaction du côté d’Airbus.

« Nous sommes surpris par le choix de l’Espagne […] Seul Airbus a la taille, les capacités et l’expérience pour représenter au mieux les intérêts de l’industrie espagnole et travailler sur un pied d’égalité avec les coordinateurs nationaux français et allemand », a ainsi fait valoir Airbus, via un communiqué.

Et visiblement, la colère du groupe européen face à la décision de Madrid n’est pas retombée, à en juger par les propos tenus par son Pdg, Guillaume Faury, dans les colonnes du quotidien El Confidencial, le 21 septembre.

« Nous sommes impliqués depuis le début en tant que l’un des deux partenaires clés et nous sommes au centre des discussions sur l’architecture du système dans son ensemble. Il est vraiment difficile d’imaginer que quelqu’un d’autre, venant de l’extérieur, ne possèdant pas de compétences en avions, en drones, en satellites mais en équipements et en senseurs » puisse être impliqué dans « la phase de conception du SCAF », a dénoncé M. Faury. « Vous ne voulez pas qu’un fabricant de roue ou d’ordinateur conçoive votre voiture. Vous voulez un fabricant de voiture », a-t-il ajouté.

« Désigner en tant que coordinateur national une entreprise que je respecte, mais qui a une vocation totalement différente, une autre taille, une autre présence sur le marché … Cela n’a pu se produire que sur la base d’un malentendu », a encore insisté le dirigeant.

En outre, M. Faury a fait part de son incompréhension face au choix fait par Madrid au regard de l’activité d’Airbus dans la péninsule ibérique. « Le gouvernement espagnol prend le risque de revenir en arrière sur le succès d’Airbus en Espagne », a-t-il prévenu.

Cela étant, le ministère espagnol de la Défense est « droit dans ses bottes ».

« Ce n’est pas une décision conjoncturelle, qui puisse être changée du jour au lendemain. Nous avons décidé que ce serait Indra, et nous continuons à insister pour qu’il travaille main dans la main avec Airbus et les autres industriels », a répliqué Angel Olivares, le secrétaire d’État espagnol à la Défense.

Par ailleurs, M. Olivares a souligné que le « poids relatif de l’Espagne au sein du groupe [Airbus] est en diminution. » Ainsi, au sein du conseil d’administration, Madrid est représentée par Amparo Moraleda, qui, venue d’IBM, a été choisie par la direction d’Airbus et non par le gouvernement espagnol. Et, a continué le secrétaire d’État, « depuis la dernière restructuration, Airbus Espagne n’est plus membre du comité exécutif, pour la première fois. »

Quoi qu’il en soit, le SCAF se trouve actuellement pris dans les turbulences, notamment à cause des difficultés qu’ont la France et l’Allemagne à se mettre d’accord sur des règles relatives à l’exportation du futur avion de combat, les intentions allemandes au sujet du char du futur et à l’attitude du Bundestag… Le dernier point de blocage en date concerne le développement des moteurs du NGF.

On croyait ce dossier bouclé étant donné que Paris et Berlin s’étaient mis d’accord pour désigner Safran comme chef de file avec MTU comme principal partenaire. « Le Parlement allemand est monté au créneau pour rejeter cette organisation mise en place par la France et acceptée pourtant par le gouvernement fédéral. Les parlementaires allemands souhaitent une parité dans le leadership entre MTU et Safran. D’où la difficulté de coopérer avec l’Allemagne », a récemment expliqué La Tribune.

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