Indo-Pacifique : Les États-Unis lancent des manoeuvres navales « inédites » avec les 10 pays de l’ASEAN

En octobre 2018, les pays [*] de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est [ASEAN] participèrent à des manoeuvres navales organisées conjointement avec la marine chinoise. Ce qui était alors inédit… et inattendu étant donné les conflits territoriaux – et les relations tendues qui en découlent – entre la Chine et plusieurs pays membres de cette organisation régionale, dont la Thaïlande, le Vietnam, Bruneï, la Malaisie, et l’Indonésie. Mais cela fut vu comme un signe d’apaisement.

Seulement, les rapports en la Chine et le Vietnam continuèrent à se dégrader par la suite. Et de nouvelles tensions apparurent au début de cet été, quand Pékin envoya, sous bonne escorte, un navire de prospection géologique, le Haiyang 8, dans le secteur d’un minuscule récif qui, appelé Vanguard Bank, est situé dans l’archipel des Spratleys, en mer de Chine méridionale. Hanoï en revendique la possession étant donné que cet îlot et les blocs pétroliers qui l’entourent, se trouvent dans sa zone économique exclusive [ZEE].

En 2014, les relations entre le Vietnam et la Chine avaient connu un sérieux coup de froid avec, déjà, l’installation de la plateforme de forage chinoise Hai Yang Shi You 981 à 120 milles des côtes vietnamiennes [et à 30 milles de l’archipel Paracel, revendiqué par Pékin]. Après plusieurs incidents, dont un bateau de pêche vietnamien coulé par un navire chinois, l’affaire prit fin avec le retrait de la plateforme controversée.

Depuis, la Chine a constamment fait pression sur le Vietnam pour l’empêcher d’exploiter les gisements pétroliers et gaziers dans les zones disputées. En mars 2018, Hanoï annula un contrat attribué au groupe espagnol Respsol, lequel devait entreprendre un forage dans le bloc 07/03, appelé Ca Rong [ou « Empereur rouge »], situé dans le bassin de Nam Con Son.

Quoi qu’il en soit, la présence du Haiyang 8 dans les environs du récif « Vanguard Bank » a relancé les tensions diplomatiques et militaires entre le Vietnam et la Chine. Le ministère vietnamien des Affaires étrangères ne cesse de dénoncer des « actes de violation grave de la zone économique exclusive et du plateau continental du Vietnam, déterminés selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982. »

Dans cette affaire, Washington, qui a par ailleurs engagé un bras de fer commercial avec Pékin, a clairement pris position en faveur de Hanoï.

« Les États-Unis sont profondément préoccupés par les ingérences persistantes de la Chine [dans la ZEE vietnamienne]. Il s’agit d’une escalade par Pékin dans ses efforts d’intimidation », a ainsi commenté, le 22 août, Morgan Ortagus, la porte-parole de la diplomatie américaine.

« Ces dernières semaines, la Chine a pris une série de mesures agressives pour s’ingérer dans les activités économies bien établies » des pays de l’ASEAN « en vue de les intimider pour qu’ils refusent des partenariats avec des sociétés pétrolières et gazières étrangères, mais aussi pour qu’ils ne travaillent qu’avec des entreprises publiques chinoises », a ensuite relevé Mme Ortagus. Et d’insister : « Les actes de la Chine sapent la paix et la sécurité régionales. »

Plus tôt, John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, n’avait pas dit autre chose en accusant Pékin de recourir à des « tactiques d’intimidation » visant à « dissuader d’autres pays de la mer de Chine méridionale d’exploiter ses ressources. »

Cependant, au sein de l’ASEAN, la Chine peut compter quelques soutiens. À commencer par celui du Cambodge, où il est prêté à Pékin l’intention d’y implanter une base navale, sous couvert de construire un port en eaux profondes donnant sur le golfe de Thaïlande, ce qui donnerait la capacité à l’Armée populaire de libération [APL] la capacité d’y projeter des forces.

C’est donc dans ce contexte qu’ont été lancées, en Thaïlande, ce 2 septembre, des manoeuvres navales, présentées comme « inédites », entre l’US Navy et les forces navales de pays de l’ASEAN.

Cet exercice naval, désigné AUMX [ASEAN-U.S. Maritime Exercise], doit durer cinq jours. Il impliquera 8 bâtiments [les Philippines ont annoncé l’envoi du navire de surveillance BRP Ramon Alcaraz], quatre aéronefs [un avion de patrouille maritime P-8 Poseidon et 3 hélicoptères MH-60] et un milliers de militaires venus des dix pays de l’ASEAN et des États-Unis.

Outre les moyens aériens, l’US Navy a également déployé le navire de combat littoral [LCS] USS Montgomery ainsi que destroyer USS Wayne E. Meyer. L’exercice sera supervisé depuis le patrouilleur HTMS Krabi [photo ci-dessous], de la marine royale thaïlandaise.

« Co-dirigé par les marines américaine et royale thaïlandaise, AUMX consistera en des activités en Thaïlande, à Singapour et au Brunei, suivies d’une phase maritime dans les eaux internationales en Asie du Sud-Est, y compris dans le golfe de Thaïlande et la mer de Chine méridionale. L’exercice se terminera à Singapour », a expliqué le Pentagone.

« Nos partenaires et alliés reconnaissent depuis longtemps l’intérêt de travailler ensemble. AUMX renforce la sécurité maritime grâce à la force de l’ASEAN, à la solidité de nos liens de marine à marine et à la force de notre conviction commune pour une région Indo-Pacifique libre et ouverte », a commenté le contre-amiral américain Joey Tynch, commandant de la Task Force 73.

Cependant, pour certains observateurs, il ne faudrait pas donner plus d’importance à cet exercice AUMX qu’il n’en mérite. Notamment parce que l’US Navy conduit régulièrement des manoeuvres avec les forces navales des pays membres de l’ASEAN.

En outre, avec seulement 8 navires et 4 aéronefs, AUMX est loin d’être un exercice de grande ampleur. Certains membres de l’ASEAN, qui cherchent à cultiver de bonnes relations avec la Chine [comme le Cambodge…], se contentent d’un service minimum.

Cela étant, même s’il est symbolique, cet exercice permet aux États-Unis de montrer leur implication dans la région ainsi que leur détermination à y préserver la liberté de navigation… et à certains pays de l’ASEAN d’envoyer un message politique à Pékin, qui voit toujours d’un mauvais oeil la présence de navires militaires de pays tiers en mer de Chine méridionale.

En effet, dans ses relations avec l’ASEAN, la Chine cherche à imposer des règles selon lesquelles les pays extérieures à la mer de Chine ne pourraient pas participer à des exercices militaires et être associés à l’exploitation des ressources sans que cela soit validé par l’ensemble des pays riverains.

[*] Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam

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