Le général Lavigne veut que l’armée de l’Air reprenne de « la masse » pour renforcer sa résilience

À la fin des années 1980, l’armée de l’Air comptait environ 100.000 militaires et civils et s’appuyait sur une flotte de 450 avions de combat, ce qui lui permettait d’assurer la protection de l’espace aérien national et d’armer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Et, tout en se préparant à l’éventualité d’un conflit de haute intensité en Europe entre l’Otan et les forces du Pacte de Varsovie, ses appareils étaient aussi sollicités pour des opérations de basse intensité, comme Manta, puis Épervier, au Tchad.

La chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique ayant éloigné le spectre d’un conflit majeur, l’armée de l’Air commença à perdre de la masse après 1991, c’est à dire après l’opération « Tempête du Désert » [ou « Daguet »], dans le cadre du plan de restructuration « Armée 2000 ». Puis, la fin de la composante terrestre de la dissuasion nucléaire sonna le glas des missiles sol-sol qu’elle mettait en oeuvre depuis le plateau d’Albion. Et la suspension annoncée de la conscription donna lieu à une première vague de fermetures de bases aériennes.

Vinrent ensuite les restructurations annoncées en 2008. Alors que ses engagements opérationnels s’intensifièrent, l’armée de l’Air dut subir une cure d’amaigrissement drastique.

Grâce à la polyvalence du Rafale, les avions spécialisés furent retirés du service, avec la dissolution de plusieurs escadrons à la clé. En 20 ans, le format de l’aviation de combat passa de 450 à 210 appareils. Et 17 bases aériennes fermèrent leurs portes. En outre, les aviateurs supportèrent 50% des suppressions de postes avant la réactualisation de la Loi de programmation militaire 2014-19. Tel fut le prix à payer pour la modernisation de l’armée de l’Air.

Selon son chef d’état-major [CEMAA], le général Lavigne, « grâce à la polyvalence de ses appareils et à leurs capacités de frappe, l’armée de l’Air n’a rien perdu en performances : plus précise, plus agile, elle peut atteindre des objectifs plus loin et plus fort, y compris depuis la métropole. » Et elle sera encore plus performantes en 2023, « avec des capacités de projection de forces et de puissance encore augmentées grâce aux nouvelles flottes en cours d’acquisition », dit-il , dans les colonnes du dernier numéro hors-série de DSI.

Seulement, aussi performant soit-il, le Rafale n’a pas le don d’ubiquité… Et comme l’admet le général Lavigne, « cette capacité globale requiert cependant de disposer d’une masse minimale de systèmes d’armes, car ils sont employés simultanément en différents endroits de la planète. » Et d’ajouter : « Ce dernier point est aussi un enjeu majeur de l’armée de l’Air de demain ».

D’autant plus que la pespective d’un conflit de haute intensité, qui s’était éloignée après la fin de la Guerre Froide, est à nouveau d’actualité. Comme ses pairs des autres armées, le général Lavigne souligne ainsi que « les politiques de puissance de certains États conduisent à reconsidérer la possibilité d’une confrontation avec des adversaires comparables à nous, notamment dans le cadre de conflits régionaux ». Aussi, la question de la « masse » revient-elle  sur le tapis.

Certes, rappelle le CEMAA, « l’histoire abonde en exemples où des forces, y compris aériennes, ont compensé leur désavantage numérique par une qualité et une agilité supérieures. » Or, poursuit-il, « ce différentiel de qualité tend à s’estomper alors que, par ailleurs, les zones de conflictualités sont plus vastes et plus nombreuses ».

Aussi, avance le général Lavigne, « à capacités équivalentes, le nombre, l’intelligence de la manoeuvre et la bonne utilisation des réserves sont des éléments décisifs pour la victoire. » Et, insiste-t-il, « dans un tel contexte, la quantité redevient un critère de la résilience qui sied à une force militaire. »

« La diminution continue des flottes occidentales depuis le début des années 2000 devient problématique dans un contexte où les espaces aériens peuvent être beaucoup plus durement contestés », souligne le CEMAA. Et ses homologues font tous le même constat : « la masse fait partie des axes qui doivent structurer nos réflexions pour la prochaine décennie afin de garantir la capacité à durer au combat. Il faut être résilient, pouvoir encaisser des coups, mais tenir les espaces aériens conquis ». Et, fait-il valoir, « cela nécessitera probablement que nous repensions nos formats, le moment venu ».

Reste maintenant à voir comment il est possible de redonner de la « masse » à l’armée de l’Air… dans une enveloppe budgétaire qui n’est pas appelée à augmenter plus qu’il n’est prévu par l’actuelle LPM et avec les questions que cela pose en termes de ressources humaines.

« La première limite au développement de la masse, c’est le budget. Or, l’effort demandé à la communauté nationale est déjà important et un développement exponentiel de nos forces est bien entendu inenvisageable », a reconnu le CEMAA.

Resterait donc, selon lui, qu’un seul levier : augmenter la capacité d’innovation, qui doit être « l’affaire de tous ». Il s’agirait ainsi de pouvoir garder « le maximum d’avance sur nos adversaires déclarés ou potentiels », estime le général Lavigne.

S’il n’est pas possible d’augmenter significativement le nombre d’avions de combat [ce qui sera toujours plus compliqué à l’avenir, au regard du coût des appareils de nouvelles générations], la solution passe par les drones, l’intelligence artificielle et une connectivité accrue entre les plateformes.

« Cela ouvre la voie au déploiement prochain de nouvelles plates-formes non pilotées [remote carriers, loyal wingman] qui, tout en fournissant de la masse facilitant la pénétration, permettront de multiplier les senseurs et les effecteurs » ainsi que de « réduire les risques encourus par les équipages dans certaines phases de vol particulièrement exposées », explique en effet le général Lavigne.

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