La construction du prochain porte-avions de la Marine nationale sera pleine de défis

À en croire la Revue stratégique, publiée en octobre dernier, la France devrait conserver une « supériorité aéromaritime », ce qui « implique de préparer le renouvellement du groupe aéronaval », c’est à dire de lancer les études pour la construction du successeur du porte-avions Charles de Gaulle.

Cependant, l’utilité du porte-avions fait débat. En 2013, un officier de marine américain, le capitaine de vaisseau Henry Hendrix, l’avait remis en cause dans une note publiée par le Center for a New American Security (CNAS), dans le cadre d’une étude qui entendait imaginer une politique de défense « disruptive ». Et son argument principal était qu’un navire de ce type, coûteux, allait être trop vulnérable face aux sous-marins et autres missiles dans les conflits à venir.

Aussi, pour ses détracteurs, le porte-avions peut être remplacé par des sous-marins ou des frégates dotés de missiles de croisières, voire par des bases aériennes implantés au plus près du théâtre des opérations. Des arguments battus en brèche par les partisans des capacités aéronavales.

L’implantation de bases terrestres permanentes? Une fausse bonne idée, même si, comme en Jordanie, pour l’opération Chammal, elles ne manquent pas d’intérêt d’un point de vue opérationnel. Mais encore faut-il avoir l’accord du pays hôte, qui, en fonction de ses intérêts politiques, peut revenir sur sa parole. Des questions de sécurité se posent et la logistique peut être compliquée, surtout pour l’approvisionnement en munitions. Enfin, la confidentialité des mouvements aériens n’est pas garantie.

Quant aux missiles de croisière mis en oeuvre par des sous-marins ou des frégates, ils ne permettraient pas, souligne le député Jacques Marilossian, rapporteur pour avis pour les crédits de la Marine nationale, « d’égaler , en intensité comme en variété, la palette d’effets offerte par le porte-avions. »

Dans son rapport, le député fait le point sur les défis et les enjeux que représentera la construction d’un nouveau porte-avions, appelé à remplacer le Charles-de-Gaulle.

Le coût de ce futur navire a été estimé à environ 4,5 milliards d’euros, soit, comme l’a habilement rappelé l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine (CEMM), 0,02% du PIB sur 10 ans. Mais au regard des défis que suppose sa construction, il est à craindre que ce montant soit un brin optimiste.

Le premier défi est d’ailleurs budgétaire. Même si, d’après M. Marilossian, ce projet « ne représenterait que le neuvième programme d’armement en termes de coût global, et le sixième en termes de flux de paiements », il n’en reste pas moins que la facture dépendra des choix technologiques et opérationnels qui seront faits.

De là viennent les difficultés (ou les enjeux). Pour le moment, on connaît très bien les aéronefs qui opèrent depuis le pont du Charles-de-Gaulle. Mais qu’en sera-t-il en 2030-2040? Quelle place auront les drones, sans doute de combat? Et quel sera le concept d’emploi de ces derniers, l’US Navy, par exemple, ayant envisagé de les utiliser pour le ravitaillement en vol?

La question des drones est tout sauf anodine. Il faudra en effet que ces appareils puissent cohabiter avec les autres aéronefs « habités », ce qui ne va pas forcément de soi.

Un autre enjeu sera énergétique. Et de là dépendra le mode de propulsion retenu. Les Britanniques ont fait le choix de doter leurs deux porte-avions de turbines à gaz, avec des générateurs diesel. Les Américains sont restés fidèles aux chaufferies nucléaires pour la classe « Gerald Ford ». Les Français seront-ils les seuls à les suivre?

« Le choix de la propulsion dépend des besoins du bâtiment, déterminés en fonction des missions que le politique entend lui confier : quelle endurance? Quel degré d’autonomie? Quelle vitesse? Quelle capacité d’emport? Quel groupe aérien embarqué? etc. Ce choix est lui-même déterminant quant aux caractéristiques techniques de la plateforme future (tonnage, taille, volume), avec des problématiques différentes selon la nature de la propulsion : volume des réserves de carburant dans le cas d’une propulsion classique, enjeux de sécurité et de maintenance pour une propulsion nucléaire », résume le député Marilossian.

Sur ce point, le rapporteur plaide pour prendre en compte les progrès réalisés dans le domaine de l’électronique de puissance, encore appelée « électronique de conversion d’énergie », laquelle permet de « de découpler production et utilisation de l’énergie « , ce qui pourrait « ouvrir la voie à davantage de souplesse dans la conception des plateformes futures. »

Directement lié à la question de l’énergie, le choix du système de catapultage sera aussi un enjeu de taille. Conservera-t-on les catapultes à vapeur ou bien optera-t-on pour les catapultes électromagnétiques (EMALS), qui ont demandé beaucoup d’argent (et de temps) pour être intégrées à la nouvelle classe de porte-avions américains? Ces dernières ont une consommation énergétique importante, ce qui suppose d’avoir de grandes capacités de stockage en la matière.

« Les caractéristiques techniques précises du système [EMALS] restent naturellement méconnues », a noté le député. Cependant, d’après ce que l’on sait, le choisir n’aurait que des avantages, selon lui. Il est « réputé permettre un réglage plus fin de la puissance de catapultage (ce qui permet indifféremment de lancer des avions de chasse très lourds et des drones), augmenter le rythme des catapultages, engendrer moins de contraintes mécaniques pour le navire (structure) comme pour les aéronefs (réduction des efforts subis par le fuselage des appareils), et être moins complexe à maintenir », a-t-il expliqué.

Mais toutes ces questions pourraient devenir inutiles si la décision pour lancer un tel chantier tarde trop. Et c’est là un autre enjeu, qui concerne cette fois l’industrie. En effet, après le dernier arrêt majeur du Charles-de-Gaulle, certaines compétences dites « orphelines » car concernant un petit nombre de spécialistes, risquent de disparaître.

« La décision politique devra donc être entérinée à relativement court terme, dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire, ce qui permettra de mobiliser les bureaux d’études et leurs spécialistes », a prévenu M. Marilossian.

Enfin, le député a plaidé pour la mise en chantier d’un second porte-avions, qui serait le « sister-ship » du successeur du Charles-de-Gaulle. Et cela, afin évidemment de garantir une permanence aéronavale. Selon lui, une telle opération ne serait pas forcément trop coûteuse.

« La conception d’un sistership du successeur du Charles-de-Gaulle représenterait un coût unitaire moindre du fait des économies d’échelle permises par l’effet de série. Par ailleurs, les études seront sans doute moins coûteuses que celles menées lors de la conception du Charles de Gaulle du fait de la maîtrise technologique et industrielle acquise depuis », a fait valoir le parlementaire, pour qui il n’est pas non plus impossible « d’envisager une diminution du coût de la masse salariale par bâtiment permise par une automatisation plus poussée. »

En outre, a-t-il insisté, « si un format à deux porte-avions était retenu, il pourrait être envisagé de faire l’économie du dernier ATM [Arrêt technique majeur] du Charles-de-Gaulle et d’en réaffecter le budget au nouveau porte-avions, permettant ainsi d’en financer une part substantielle. Associé à la livraison du successeur du Charles-de-Gaulle avant l’ATM 4, un tel calendrier permettrait de réaliser un tuilage pertinent entre les différentes générations de bâtiments. »

Quant aux coûts de possession, ils pourraient augmenter significativement. Mais sur ce point, le député estime qu’ils seraient facilement maîtrisés, notamment pour ce qui concerne le Maintien en condition opérationnelle (MCO) grâce à « l’effet de série ». En outre, « la charge en termes d’équipements ne serait pas nécessairement singulièrement accrue », a estimé le député.

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