La gabegie de l’aide américaine pour la reconstruction de l’Afghanistan

Jusqu’à présent, le contribuable américain (ou les prêteurs) ont déboursé 103 milliards de dollars pour aider à la reconstruction de l’Afghanistan après l’épisode des taliban. Et qui dit somme énorme dit souvent aussi gaspillages. Pourtant, il existe des rapports publiés chaque année par le Special Inspector General For Afghanistan Reconstruction (SIGAR), chargé de contrôler le bon emploi de tout cet argent. Et le dernier qu’il vient de remettre au Congrès ne manque pas de sel.

Et les exemples de gaspillages ne manquent pas. Tout simplement parce qu’il a été oublié que l’administration afghane n’est pas la mieux formée pour tenir les comptes ou bien encore que certains projets n’étaient pas adaptés à la réalité du pays.

Par exemple, l’armée américaine a dépensé 3 millions de dollars pour 8 vedettes fluviales destinées à la police afghane, afin de lui permettre de patrouiller sur la rivière Amu Darya, qui marque la séparation avec l’Ouzbékistan. Pourquoi pas après tout… Sauf que, « moins de 9 mois plus tard, la commande à été annulée », a observé John Sopko, l’actuel Sigar, dans un courrier adressé au secrétaire à la Marine, Ray Mabus. Aucune trace du moindre concept d’emploi de ces petits navires et encore moins d’une étude de faisabilité n’a été retrouvée. Depuis, ils pourrissent dans un hangar de l’US Navy, en Virginie.

Plus conséquent, un projet de culture de soja aura coûté 34,4 milliards de dollars. « On a eu une idée lumineuse, mais on n’en a pas touché un mot aux Afghans. Les Afghans ne cultivent pas [le soja], ils ne l’aiment pas, ils ne le mangent pas et il n’existe aucun marché », a souligné M. Sopko, qui estime que « ces problèmes auraient pu être raisonnablement prévus et, par conséquent, possiblement évités ».

Mieux encore… Et sans doute plus inquiétant pour l’avenir même de l’Afghanistan. Depuis 2004, les États-Unis ont livré aux forces de sécurité afghanes plus de 747.000 fusils d’assaut de type AK-47, des mitrailleuses, des lances-grenades et autres… Le tout pour 626 millions de dollars (à noter que d’autres membres de la Force internationale d’assistance à la sécurité en ont fait de même). Et, selon le Sigar, la trace de centaine de milliers de ces armes a été perdue.

« Etant donné la capacité limitée du gouvernement afghan à tenir des comptes ou à se débarrasser correctement de ses armes usagées, il y a un vrai danger que ces armes tombent entre les mains d’insurgés », note ainsi le rapport du Sigar. Le plus frappant dans l’histoire est que ce phénomène n’est pas nouveau : en 2009, sur les 247.000 livres alors livrées à l’Afghanistan, 87.000 n’avaient pas été répertoriées. Que s’était-il alors passé? Eh bien les militaires et les policiers afghans en ont revendus au marché noir… Il était ensuite possible de se les procurer dans les bazars pakistanais… Ce que n’ont pas manqué de faire les taliban, qui par ailleurs disposent de moyens conséquents grâce aux revenus tirés de la culture du pavot.

Justement, à ce sujet, le Sigar n’est pas tendre non plus, alors que des sommes importantes ont été investies pour lutter contre ce phénomène. « Le nombre d’hectares cultivés a augmenté, la production d’opium a augmenté, les volumes exportés ont augmenté. Le nombre d’usagers a augmenté », souligne-t-il. « C’est un cancer qui ronge l’Afghanistan. Dans de très nombreux domaines, le gouvernement fait face à un rival; ce ne sont pas les insurgés, ce sont les narcotrafiquants », a-t-il ajouté. Aussi, le constat est clair : la lutte contre la drogue « a été un échec ».

Au total,  John Sopko estime que les États-Unis auront plus dépensé « pour la reconstruction de l’Afghanistan que dans le cadre du Plan Marshall », qui fut lancé à la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour aider l’Europe à se relever… « Une bonne partie de cet argent a été dépensé sagement, une autre pas du tout. Des milliards de dollars ont été gaspillés », a-t-il dit, dans un entretien accordé à l’AFP.

Cela étant, le Sigar n’est pas favorable a un arrêt de cette aide. « Si on arrête la reconstruction tout d’un coup, les ennuis risquent de pleuvoir. Les Afghans ne peuvent pas se permettre de financer le mode de gouvernement que nous leur avons fourni », a-t-il expliqué. « Pour l’instant, ils ne peuvent pas financer leur police, leur armée, leurs hôpitaux, leurs routes, les salaires », a-t-il ajouté. Mais avec le retrait des forces internationales encore présentes dans le pays, il sera plus difficile de faire des contrôles à l’avenir…

L’une des raisons qui peut expliquer cette gabegie, dénoncée pratiquement tous les ans par le Sigar sans que rien ne change pour autant, a sans doute été donnée par le général McChrystal, ancien commandant des troupes de l’Otan en Afghanistan, avant d’être poussé à quitter l’uniforme après avoir tenu des propos désobligeant à l’égard de Barack Obama. Ainsi, devant le  Council on Foreign Relations, en juillet 2011, il avait affirmé que la coalition internationale avait une « compréhension terriblement simpliste » du pays.

« Nous n’en savions pas assez et nous n’en savons pas encore assez. La plupart d’entre-nous – moi y compris – avions une compréhension très superficielle de la situation et de l’histoire (de l’Afghanistan) et nous avions une vue terriblement simpliste de l’histoire récente », avait-il estimé. La preuve avec l’histoire du soja…

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