Décès de l’un des derniers survivants de l’aventure du Normandie-Niémen en Russie

Pilote de chasse lors de la Seconde Guerre Mondiale, Jacques de Saint-Phalle s’est éteint le 15 juin, à l’âge de 92 ans. Il était l’un des derniers survivants de la campagne en Russie du Régiment de chasse Normandie-Niémen.

Né le 30 juin 1917 à Mazagan, au Maroc, Jacques de Saint-Phalle s’engage dans l’armée de l’Air en 1937. Deux ans plus tard, il intègre l’école de pilotage puis décroche son brevet en juin 1939 à Nîmes.

Après être passé par Centre d’instruction de la Chasse à Oran La Sénia, il est affecté à la tâche ingrate de « gardien veilleur » après l’armistice de juin 1940. Deux ans plus tard, il est démobilisé.

Avec Henri Foucaud, qui s’illustrera plus tard au sein du Neu-Neu avec 4 victoires homologuées, Jacques de Saint-Phalle s’engage dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL) après s’être évadé de France en passant par l’Espagne et le Portugal (voir le récit ci-dessous).

En août 1943, les deux hommes, qui ont sympathisé, rejoignent le Groupe de Chasse Normandie à Kationki. Etant inexpérimenté – il n’a volé que 150 heures avant sa démobilisation – Jacques de Saint-Phalle exagère le nombre de ses heures de vol pour convaincre le colonel Pouyade de le garder au sein de son groupe de chasse.

Aux commandes de son Yak, le jeune aviateur fait de son mieux pour garder la confiance que le colonel Pouyade lui a témoigné, malgré une accumulation d’incidents divers et variés. Finalement, Jacques de Saint-Phalle obtiendra une victoire homologuée.

Le 12 décembre 1944, Jacques de Saint-Phalle quitte le Normandie-Niémen. Sans Henri Foucaud, ce dernier ayant trouvé la mort quelques mois plus tôt dans uun accident dû à un problème technique de son Yak.

A la fin de la guerre, Jacques de Saint-Phalle est engagé par la compagnie Air France et sera nommé commandant de bord sur Boeing 747 dans les années 1970.

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Voici le récit de l’évasion de Jacques de Saint-Phalle et de Henri Foucaud pour rejoindre l’Angleterre et les Forces aériennes françaises libres. Ce texte est tiré du livre « Normandie-Niémen, un temps pour la guerre » d’Yves Courrière

« Jacques de Saint-Phalle refrénait une formidable envie de rire. En face de lui, Henri Foucaud sale, mal rasé, les pieds ensanglantés, dans de mauvaises espadrilles déchirées, feignait de sommeiller à l’ombre d’un extraordinaire sombrero à pompons qui, d’après le passeur, était censé lui donner l’apparence d’un « vrai paysan portugais ». Aux regards que leur lançaient les autres passagers qui étaient montés dans le compartiment à huit places, entassant sur la banquette en bois dur et le filet tout un fourniment de balluchons, de valises ficelées et de paniers d’osier, le résultat n’était guère probant. Entre deux bouffées de tabac âcre, ils échangeaient quelques mots dans leur langue chuintante et, bien qu’il n’entendit pas le portugais, Jacques de Saint-Phalle se doutait qu’il était, avec son compagnon, le sujet de toutes leurs conversations. Il tira sur le béret basque qui dissimulait mal ses cheveux blonds dont la coupe sentait encore son XVIème arrondissement et se rencogna dans l’angle du wagon pour dissimuler son profil à la Jean-Pierre Aumont peu commun chez les agriculteurs lusitaniens. Sur le quai de la gare de Moura, tête de ligne du tortillard qui reliait la frontière ibéro portugaise à Lisbonne, un douanier faisait les cent pas, jetant un œil soupçonneux à travers les vitres sales des compartiments. Trop bête de se faire prendre alors qu’ils touchaient presque au but !

Le jeune homme ferma les yeux. Advienne que pourra. La politique de l’autruche a parfois du bon.

Malgré le péril que constituait l’infatigable gabelou portugais, des images se télescopaient sous ses paupières closes. Mademoiselle de Grammont aurait-elle reconnu le jeune marquis de Saint-Phalle dans cette espèce de clochard à la barbe rude, à la chemise douteuse et au costume taché ?

C’était pourtant dans son bel appartement de l’avenue Kléber que l’aventure avait commencé.

Engagé à Istres en 1937, breveté pilote au printemps 39, Jacques de Saint-Phalle n’avait connu de la guerre que la lénifiante ambiance d’Oran-La Sénia, puis, l’armistice signé, rapatrié en France, on lui avait attribué les fonctions peu reluisantes de « gardien-veilleur » auprès de ces monstres assoupis, les Morane, les Dewoitine, qu’il brûlait de réveiller. Devant tant d’incompréhension et de lâcheté, il avait traversé la Saône à la nage dans l’espoir de gagner la France libre par la zone Sud. Par malheur, à la même heure, les Allemands avaient eu à leur tour la fâcheuse idée de franchir la ligne de démarcation. Leurs moyens étant sans commune mesure avec ceux du jeune homme, les troupes nazies avaient atteint les premières Toulouse, où la filière dont il espérait tout s’était instantanément effondrée. Retour à Paris, travail dans le garage d’un oncle pour « assurer la croûte » et enfin l’espoir.

Rencontrée grâce à des amis communs, Mlle de Grammont lui avait simplement dit :

– « Je peux vous faire passer en Afrique du Nord. De là…vous vous débrouillerez avec les Alliés. »

Les grandes familles ont du bon lorsqu’elles savent choisir leur camp. Le frère de l’Amiral Auboyneau lui avait fourni une fausse carte d’identité mais les Allemands, semblant tout faire pour contrarier les projets du jeune pilote, avaient le même jour, décidé de changer la totalité des tampons officiels dont la Résistance avait les copies!

Jacques de Saint-Phalle, que les obstacles stimulaient, avait pris la route sans papiers, les mains dans les poches, aidé, pour le passage de la frontière espagnole, par la merveilleuse Mlle de Grammont qui, l’attendant à Saint-Jean-de-Luz, lui avait donné le signalement d’un passeur : béret bleu et gabardine beige.

– « Il vous prendra à la nuit tombée. Tout est payé. Bonne chance. »

Le jeune marquis ne devait jamais revoir la Grande Mademoiselle.

Trois semaines de pérégrinations en terre espagnole, cache-cache avec les guardia civiles, San Sebastian chez le consul belge, Bilbao au consulat américain – whisky et cigarettes blondes sans petites pépées – , Madrid chez un empressado de courses de taureaux, Séville gagnée grâce à une voiture battant pavillon britannique. Et la rencontre avec Henri Foucaud, massif, solide et calme, qui devait devenir son meilleur ami et dont les pieds sensibles n’avaient pas résisté au passage des Pyrénées. Vingt-quatre heures dans un grenier, nourris de thé et de biscuits de soldats, les deux jeunes gens avaient à peine eu le temps de se raconter leur vie, de se confier leurs projets qu’un taxi les avaient menés à vingt kilomètres de la frontière portugaise. Encore six jours et six nuits de marche, entrecoupés de haltes dans les fossés, Franco n’entendant pas apporter la moindre aide aux transfuges de Vichy. La frontière enfin franchie grâce au guide qui les avait affublés de couvre-chefs « couleur locale », ils avaient parcouru les 30 kilomètres séparant la frontière de la petite gare de Moura à bord d’une carriole tirée par une mule capricieuse et avaient grimpé dans un wagon de 3ème classe dont chaque compartiment ouvrait sur la voie par une porte unique.

– « Documents ! »

La portière avait claqué à la volée. Le douanier portugais avait fait mouche. Les conversations des paysans s’étaient interrompues. Jacques de Saint-Phalle, sans prononcer un mot, fouilla dans ses poches, à la recherche d’improbables papiers d’identité.

– « Documents ! »

Impatienté, le douanier avait repéré le second dormeur. Il secouait d’une poigne ferme Henri Foucaud et appelait un collègue à l’aide. Cette fois c’en était fait de la chance insolente qui les avait servis jusque-là.

Et, miracle ! La locomotive siffla, le train s’ébranla et le douanier sauta sur le quai ! Jamais Jacques de Saint-Phalle n’avait tant apprécié ces vieux wagons démunis de couloirs centraux.

L’effervescence régnait dans le compartiment. A l’un de ces voyageurs comprenant l’espagnol, de Saint-Phalle expliqua qu’ils étaient évadés, prisonniers évadés d’Allemagne. Aussitôt les paniers, les musettes, les flasques de peau de bique s’ouvrirent : pain, fromage, oranges et capiteux vin portugais firent oublier aux jeunes évadés le goût des figues et du lard rance dont ils s’étaient nourris depuis leur départ de Séville. Lorsque arriva le contrôleur, acrobate qui passait de compartiment en compartiment en s’aidant tel Tarzan, des poignées de cuivre et des marchepieds, ce fut à qui lui expliquerait la situation des « évadés ». Près de la frontière, tout paysan est un contrebandier et les flics, on n’aime pas !

– « Rien à craindre jusqu’à Beja, expliqua le contrôleur. Nous ne passons que par les petites gares qui n’ont pas le téléphone. En revanche, à Beja, c’est l’embranchement des lignes du sud et de l’est vers Lisbonne. La police contrôle particulièrement tous les trains en provenance des frontières. Vous sauterez par la fenêtre, à contre-voie, vous vous cacherez sous le train d’à côté et je vous ferai signe au moment du départ. »

Plan suivi à la lettre et magnifiquement réussi. Le soir même, Henri Foucaud et Jacques de Saint-Phalle arrivaient à Lisbonne, où l’ambassade anglaise les hébergea dans une pension de famille. Et, deux jours plus tard, ils s’envolaient à bord d’un DC 3 de la R.A.F. à destination de Bristol, près de Londres, où Patriotic School les attendait.

Avec ses cent cinquante heures de vol – grâce à l’absence de papiers officiels, il en avait déclaré quatre cents à l’état-major – Jacques, marquis de Saint-Phalle, ne se doutait pas que son destin le mènerait, un jour prochain, au cœur de l’Union Soviétique ni que, bien des années plus tard, il serait le premier commandant de bord d’Air France à piloter cette baleine des airs : le Jumbo Jet ! »

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