M. Lecornu a demandé au Service historique de la Défense d’être « innovant » pour le nom du futur porte-avions

Baptiser un nouveau navire de la Marine nationale n’est pas une mince affaire, surtout quand il s’agit d’un porte-avions. Plusieurs paramètres doivent être en effet pris en compte : le nom choisi doit être en adéquation avec la puissance et les capacités du bâtiment, tout en ayant une signification forte et, si possible, s’inscrire dans l’histoire et les traditions du pays. Et, évidemment, il doit faire l’objet d’un consensus… Ce qui n’est pas non plus évident quand des considérations politiques peuvent entrer en ligne de compte.

Ces dernières années, la Marine nationale n’a pas bousculé ses traditions pour baptiser ses futurs navires. Ainsi, quatre des six sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Barracuda porteront les noms de grands amiraux [Suffren, Duguay-Trouin, Tourville, de Grasse] tandis que les cinquième et sixième unités seront baptisées « Rubis » et « Casabianca », qui, à l’origine, étaient des bâtiments qui s’étaient illustrés durant la Seconde Guerre Mondiale.

Aux Patrouilleurs outre-Mer [POM] ont été donnés les noms de héros ultra-marins de la France Libre [Auguste Bénébig, Jean Tranape, Teriieroo a teriierooiterai, Philippe Bernardino, Auguste Techer et Félix Éboué]. Ce qui est logique, compte tenu des missions qu’auront à mener ces navires. Enfin, les Bâtiments ravitailleurs de forces [BRF] recevront les noms d’ingénieurs navals [Jacques Chevallier, Jacques Stosskopf, Émile Bertin et Gustave Zédé].

S’agissant du Porte-avions de nouvelle génération [PANG] qui succédera au « Charles de Gaulle » [qui devait initialement s’appeler le « Richelieu »], l’exercice s’avère plus délicat. En témoigne l’amendement n°752 proposé par le groupe LFI-NUPES dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30.

En effet, cet « amendement d’appel » a proposé de donner le nom de « Marie Marvingt » au PANG, « en hommage à cette femme qui a marqué l’Histoire par la détermination de son engagement pour la Patrie, doyenne des aviatrices, infirmière puis reporter de guerre dans les tranchées, et enfin journaliste, femme la plus décorée de France à sa mort en 1963 ».

« Grâce à notre histoire, nous possédons un vivier de noms important. Même si vous avez raison de proposer le nom d’une femme aviatrice, il faudrait aussi regarder s’il n’y a pas des femmes dans la marine car le porte-avions reste un bateau », a fait valoir Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, quand cet amendement a été examiné en séance, le 26 mai. « Les marins sont certes soucieux de la dimension interarmées, mais je pense qu’ils tiendront compte de cet aspect. En tout cas, je retiens ce nom. Je peux le dire à la représentation nationale en toute franchise : au moment où nous nous parlons, aucun nom n’est encore arrêté », a-t-il poursuivi.

Et le ministre d’insister : « D’ailleurs, pour être tout à fait transparent avec vous, compte tenu de l’avancée du programme, il n’y a pas lieu de mettre la charrue avant les bœufs. Merci tout de même pour le clin d’œil que vous faites à travers cet amendement d’appel ».

Cependant, à l’antenne de RTL, le 4 avril dernier, M. Lecornu avait confié avoir des idées pour le nom du futur porte-avions. « Il faut qu’il corresponde à notre histoire, je crois. On n’est pas une armée comme les autres, on a des racines profondes et je pense que c’est bien de les célébrer aussi dans ce genre d’exercice », avait-il dit.

En matière d’onomastique navale, il revient au Service historique de la Défense [SHD] de recevoir et trier les propositions de noms pour un nouveau navire. Ensuite, en fonction de l’importance de ce dernier, il remettra ensuite des avis au chef d’état-major, au ministre des Armées ou au président de la République.

Lors de la séance du 26 mai, M. Lecornu a confié aux députés [présents dans l’Hémicycle] avoir « demandé au Service historique de la Défense de nous permettre d’être plus innovants afin que nous puissions faire émerger des noms un peu différents, compte tenu de notre histoire ». Ce qui vaut pour le PANG… mais aussi pour les autres navires à venir, dont, par exemple, les Patrouilleurs Océaniques [PO].

En règle générale, les noms proposés pour un navire [ou une classe de navires] se répartissent selon cinq catégories : les vertus [La Confiance, Le Téméraire, Le Vigilant, etc], le milieu naturel [Mistral, Tonnerre, Améthyste, etc], la « cohésion » de la Nation [Provence, Aquitaine, Bretagne, etc], la reconnaissance [fait historique, comme la bataille de Dixmude, personnalité historique, grand marin] ou l’évocation de la République [classe Floréal].

Cela étant, entre le règne de Louis-Philippe et la IIIe République, la mythologie fut une source d’inspiration [Eurydice, Aréthuse, Pomone]. Et plusieurs navires reçurent le nom de scientifiques français [Laplace, Bernoulli, Curie] et étrangers [Newton, Fulton], voire d’écrivains [le Jules Verne, le Victor Hugo, le Jules Michelet].

Aussi, qu’entend M. Lecornu en disant que le SHD doit « nous permettre d’être plus innovants »? Faut-il en déduire que l’idée de donner le nom d’un ancien président de la République au PANG ne sera pas privilégiée? Les « racines profondes qu’il serait bien de célébrer », comme il l’a soutenu sur les ondes de RTL, plaideraient en faveur d’une personnalité historique [et héroïque] ou d’une grande victoire militaire française… Voire d’un navire emblématique de l’histoire de la Marine nationale [pourquoi pas le « Béarn », nom de son premier porte-avions véritablement opérationnel?].

Sur ce point, choisir le nom d’une personnalité oubliée malgré les grands mérites dont elle sut faire preuve pourrait être innovant. Comme celui de l’amiral Henri Nomy, héros de la campagne de France, résistant, pilote de l’aéronautique navale et architecte du renouveau de la Marine nationale après la Seconde Guerre Mondiale [il fut à l’origine des porte-avions Foch et Clemenceau] grâce, selon l’historien Étienne Taillemite, à « son habileté politique et diplomatique, à sa ténacité, à une remarquable continuité de vues, grâce aussi à l’estime et à la sympathie qu’il avait su se concilier ». Mais l’un des cinq frégates de défense et d’intervention doit porter son nom.

À moins que le nom susceptible d’être retenu ait une forte dimension symbolique, comme « Marianne », par exemple… Ou encore, étant donné le tropisme européen de l’exécutif actuel, « Europe ».

Quoi qu’il en soit, on devrait connaître le nom du PANG dans un avenir relativement proche, la construction du futur navire amiral de la Marine nationale devant commencer en 2026.

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