Le général Burkhard décrit « l’armée dont la France a besoin » pour les années à venir

Emploi déshinibé de la force, liberté d’action de plus en plus entravée, ce qui peut avoir, par exemple, des conséquences sur les lignes de communication maritimes, et extension de la conflictualité à l’ensemble des milieux, des grands fonds marins à l’espace, en passant par le domaine cyber…

Telles sont les trois tendances qui caractérisent le contexte international actuel [marqué par la « compétition » entre pruissance] et qui ont été identifiées par le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 13 juillet [le compte-rendu, expurgé des éléments « sensibles », a récemment été publié, ndlr].

En outre, ce « renouveau de la puissance », qui se traduit par des « interactions qui sont davantage de portée stratégique », comme en témoigne l’invasion de l’Ukraine par la Russie, vient s’ajouter à d’autres menaces, qui ne sont pas près de disparaître, comme le terrorisme inspiré par l’idéologie jihadiste… Lequel a donné lieu à vingt ans de conflits asymétriques [Afghanistan, Mali, Levant] qui ont conduit à des arbitrages capacitaires sur fond de contraintes budgétaires.

Pourtant, les signes avant-coureurs n’ont pas manqué… Alors que la France s’apprêtait à réduire une nouvelle fois le format de ses forces armées via la Révision générale des politiques publiques [RGPP] initiée en 2008, Vladimir Poutine, qui achevait alors son second mandat, avait jeté les bases de la politique que la Russie entendait mener lors d’un discours prononcé en février 2007 à l’occasion de la 58e Conférence de Munich sur la sécurité. Et, en août de la même année, joignant les actes à la parole, il annonça la reprise des vols de bombardiers stratégiques russes.

« La menace planait depuis de nombreuses années. En effet, l’invasion russe a été précédée d’un effort de modernisation militaire qui voulait impressionner et de plusieurs coups de semonce : Géorgie, Crimée, Donbass, Syrie. La menace était identifiée », a d’ailleurs souligné le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], devant les députés, le 20 juillet dernier.

Et cela vaut aussi pour la Chine, qui ne fait pas mystère de son intention de mettre la main sur Taïwan tout en pratiquant la politique du fait accompli pour s’emparer de territoires qu’elle estime lui appartenir. En outre, au regard du développement spectaculaire de ses forces navales, sans doute a-t-elle d’autres ambitions…

Quoi qu’il en soit, la situation décrite par le général Bukhard va durer, quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine.

« La Russie a développé une stratégie de long terme depuis plusieurs […] années. Elle a reconstruit son armée dans le domaine capacitaire. Elle a développé des armes nouvelles comme les missiles hypersoniques et les torpilles nucléaires, qui nous posent certains problèmes. Elle a développé sa stratégie de long terme en matière économique et énergétique en se préparant à fonctionner isolément. Elle a structuré la pensée de sa population, remettant en avant depuis plusieurs années, le modèle de la guerre patriotique », a commencé par rappeler le CEMA.

Aussi, a-t-il continué, « face à cette stratégie de long terme, nous devons comprendre que nous resterons en compétition avec la Russie, laquelle ne disparaîtra pas », d’autant plus qu’elle est « membres du Conseil de sécurité de l’ONU, possède plusieurs milliers de têtes nucléaires et s’étend sur onze fuseaux horaires. » Et d’insister : « La Russie sera toujours là, quelle que soit la manière dont la guerre se terminera en Ukraine ».

Maintenant, et faute, sans doute, d’avoir suffisamment anticipé ce nouveau contexte, il s’agit d’aller au-délà de la « réparation » des forces françaises, amorcée par la Loi de programmation militaire 2019-25 [voire par l’actualisation de la LPM précédente, votée en 2015 par le Parlement, ndlr]. Et de bâtir « l’armée dont la France a besoin », pour reprendre l’expression utilisée par général Burkhard devant les députés.

« Vingt années de conflits asymétriques et d’engagements choisis ont conduit à des arbitrages réduisant certaines capacités. Je ne saurais blâmer ceux qui ont fait ce choix dans des circonstances différentes d’un point de vue budgétaire et de type de menaces. En Afghanistan ou au Mali par exemple, les dispositifs de défense sol-air n’ayant pas d’utilité, des impasses ont été faites. Il convient maintenant de les rattraper », a fait valoir le général Burkhard. « Il en va de même dans les domaines du franchissement, de la guerre électronique [comme la suppression des défenses aériennes adverses ou SEAD, ndlr] ou des moyens de protection nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique », a-t-il ajouté.

Les fonctions de soutien ayant été les plus impactées par les réformes de ces dernières années, le CEMA estime qu’elles doivent faire l’objet d’un effort particulier.

« Le soutien a été optimisé de manière excessive et le budget de fonctionnement a trop souvent été considéré comme variable d’ajustement. Une logique faible stock a prévalu, considérant qu’on pouvait faire beaucoup à flux tendus, mais on s’aperçoit que c’est plus difficile avec les munitions. L’absence de moyens financiers pour maintenir les flux a créé des dépendances », a souligné le général Burkhard.

En outre, a-t-il continué, la « guerre de haute intensité en Europe et les menaces stratégiques de nos grands compétiteurs nécessitent de repenser les équilibres entre la technologie et la masse, l’efficience et l’efficacité, l’optimisation et la résilience ». Et aussi de « changer d’échelle dans l’entraînement ». Reste à voir comment ceci se traduire en termes capacitaires…

Durant son audition, le CEMA a identifié trois axes sur lesquels il est « indispensable de faire porter nos efforts ».

Le premier concerne les forces morales de la Nation. Sur ce point, a-t-il dit, il « importe de lancer une nouvelle dynamique pour les réserves, afin de pouvoir les engager dans des missions plus complexes et de dégager des marges de manœuvre pour compléter les effectifs d’active », et cela d’autant plus que les « réserves sont en mesure d’apporter une masse, une expertise non détenue dans les armées et sont aussi un des vecteurs les plus directs pour le maintien et la consolidation du lien entre l’armée et la nation ».

Le second axe porte sur la nécessité d’accroître l’influence des forces françaises. Pas seulement pour « gagner la guerre avant la guerre »… Mais aussi au sein de l’Alliance atlantique, qui reste la « clé de voûte de notre défense collective », a dit le CEMA [qui n’a pas cité la défense européenne, ndlr]. « Il faut rechercher une plus grande influence dans les structures de commandement en tirant un meilleur parti des exercices, de tous les travaux conduits par l’Otan et des développements capacitaires », a-t-il expliqué.

« Il faut être capable d’être nation-cadre en haute intensité », comme c’est actuellement le cas en Roumanie, avec la mission Aigle, a également fait valoir le général Burkhard. Ce qui, au-delà des questions relatives à l’interopérabilité, supposerait de « revoir nos modèles de coopération opérationnelle ou capacitaire, afin de mieux tenir compte des besoins de nos partenaires et de mieux comprendre les contraintes qui pèsent sur eux ».

« Chaque pays a, par exemple, des modes de fonctionnement et d’exercice de la démocratie différents en termes de contrôle parlementaire, de justification et de mise en valeur. Lorsque l’on forme une alliance ou une coalition ad hoc, il faut impérativement prendre en compte ces contraintes sous peine de nuire à l’efficacité générale. Il nous faut voir nos partenaires tel qu’ils sont et non tels que l’on voudrait qu’ils soient », a affirmé le CEMA.

« La France a beaucoup d’atouts à faire valoir auprès de ses partenaires, mais elle est insuffisamment organisée pour conduire une politique d’influence efficace. Par exemple, il faudrait accueillir beaucoup plus de stagiaires étrangers dans nos écoles. Cela nécessite d’y consacrer des moyens, mais on peut en attendre un fort retour sur investissement », a-t-il par ailleurs conclu sur ce point.

Enfin, le dernier axe d’effort décrit par le général Burkhard porte sur « l’efficacité et la crédibilité de notre outil militaire ». Là, il s’agit de montrer que les forces françaises sont « en mesure d’affronter un adversaire et d’infliger des dégâts importants dès les premiers contacts, ce qui nécessite par exemple de l’artillerie de longue portée ».

Et, en matière de capacités à acquérir ou à renforcer, il a évoqué les « à énergie dirigée et les drones de combat ». En outre, a-t-il poursuivi, il faudrait qu’elles soient encore « plus résilientes », grâce notamment « à plus de redondance des moyens de commandement, d’autonomie numérique et de communications satellitaires ». Enfin, elles doivent pouvoir « anticiper davantage » et aptes à « détecter l’évolution de la menace dans les milieux traditionnels terre-air-mer mais aussi dans les milieux cyber, exo-atmosphériques ou les grands fonds marins et pouvoir adapter notre posture pour décourager l’adversaire ».

Plus globalement, a résumé le général Burkhard, les armées françaises doivent être « capables d’agir dans tout le spectre de la conflictualité, y compris dans l’affrontement de haute intensité dans la durée » et donc disposer, en conséquence, d’une « organisation du commandement capable d’articuler les forces et de combiner tous les effets pour prendre l’ascendant, dès le contact, de façon brutale et, si nécessaire, avec une létalité très forte ».

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