La Cour des comptes veut un bilan d’étape de la Force Barkhane pour « préciser les critères de bonne fin de l’opération »
Au Sahel, la stratégie de la France ainsi que celle de la coalition pour le Sahel, qui réunit 45 pays et organisations internationales, repose sur quatre piliers.
Le premier, qui relève de la force française Barkhane et de la Force conjointe du G5 Sahel [Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger et Mauritanie], se concentre sur la lutte contre les organisations terroristes qui sévissent dans la région [dont l’État islamique au Grand Sahara et le Groupe de soutien l’islam et aux musulmans]. Le second vise à faire monter en puissance les armées locales afin de leur permettre de mener leurs propres opérations anti-terroristes et d’assurer ainsi par elles-mêmes la sécurité de leur pays.
Enfin, les troisième et quatrième pilliers consistent respectivement à renforcer les institutions étatiques locales tout en favorisant leur retour dans les régions délaissées et à oeuvrer en faveur du développement économique.
Lors de la présentation en commission du rapport sur la force Barkhane qu’elle a co-écrit avec Sereine Mauborgne, la députée Nathalie Serre a relevé que si le premier pilier donne des résultats, ce n’est pas que les autres « qui sont défaillants, au moins en partie. » Et d’ajouter : « C’est pour cette raison que le Sommet de N’Djamena a appelé à la mise en œuvre d’un sursaut civil, en faveur du développement et des populations. »
Dans un référé qu’elle vient de rendre public [.pdf], la Cour des comptes établit peu ou peu le même constat. Et va même plus loin en s’interrogeant sur la « cohérence des actions civiles et militaires que conduit la France dans la région, au service à la fois de la sécurité des États et du développement économique et social des populations. »
Et d’en conclure que « la connaissance et le suivi de l’aide comportent des lacunes et que la coordination des actions de sécurité et de développement de la France dans la région doit être renforcée. »
Dans un premier temps, les magistrats de la rue Cambon ont évalué, « à partir de données disparates », les dépenses annuelles de la France [en crédits de paiement] au Sahel, en additionnant le coût des opérations militaires, l’aide publique au développement ainsi que les actions de l’Agence française du développement et les contributions au fonctionnement de la Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA].
Entre 2012 et 2018, ont-ils établi, les dépenses dans les pays du G5 Sahel sont passées de 580 millions à 1,35 milliard d’euros. Et cette hausse est due pour une large part [60%] au coût des opérations militaires françaises.
« Les dépenses de l’aide publique française au développement n’ont pas suivi la même progression, et la priorité affichée en faveur de la zone Sahel ne s’est pas traduite dans les faits : les cinq Etats sahéliens représentaient en 2018 10 % de l’APD française en Afrique et le Mali 2,5%, des proportions inchangées par rapport à 2013 », affirme la Cour des comptes. D’où son constat : « La montée de l’engagement militaire de la France dans la région ne s’est pas accompagnée, jusqu’en 2018 inclus, d’une accentuation notable de l’effort d’aide publique au développement en sa faveur. »
En outre, la Cour avance que la dégradation de la sécurité, constatée en 2018 et 2019, dans le centre du Mali et la région dite des trois frontières [Liptako-Gourma, ndlr] « n’a pas permis que la stratégie de stabilisation par zones successives », élaborée par Barkhane, « se déroule ainsi qu’elle avait été programmée. »
« Plus largement, l’extension par rapport à l’opération Serval du périmètre d’intervention, ainsi que la diversification des objectifs ont rendu incertains les critères qui permettront de dire qu’un terme satisfaisant de l’opération, pour la France et pour les Etats du G5 Sahel, aura été atteint », insistent les magistrats, soulignant que les dépenses liées aux opérations militaire françaises dans la bande sahélo-saharienne sont désormais de l’ordre du milliard d’euros.
Aussi, ils estiment que, dans ces conditions, un « bilan d’étape de l’opération [Barkhane] devrait être fait afin, notamment, de préciser justement les critères d’un terme satisfaisant de l’opération pour la France et ses partenaires. »
Dans l’un de ses quatre recommandations adressées au gouvernement, la Cour, précise que ce bilan doit être effectué au vu « des objectifs assignés, des moyens déployés et des résultats obtenus » afin d’en « tirer des enseignements » pour ensuite « préciser les critères de bonne fin de l’opération. »
À noter que, plus de deux mois après que ce référé lui a été adressé, le Premier ministre, Jean Castex, n’y a toujours pas répondu, alors qu’il était tenu de le faire selon l’article L. 143-4 du code des juridictions financières.