Ankara « répliquera fermement » à l’interdiction en France du groupe turc « Les Loups Gris »
Le 28 octobre, alors qu’ils manifestaient au niveau du péage de Vienne [Isère] sur l’autoroute A7 pour réclamer la reconnaissance de la République d’Artsakh [c’est à dire le Haut-Karabakh, territoire dont la population est majoritairement arménienne et qui fait l’objet d’une offensive lancée par l’Azerbaïdjan], des militants pro-Arménie ont été pris à partie par des sympathisants de la cause turque en générale et du président Erdogan en particulier. Quatre personnes ont été blessées par des coups de couteau et de… marteau.
Les choses n’en sont pas restées là. Le même jour, à Décines-Charpieu, municipalité qui, située près de Lyon, abrite une communauté arménienne importante, environ 250 militants pro-Turquie ont défilé dans le centre-ville en scandant des slogans particulièrement hostiles aux Arméniens [comme « Arméniens, terroristes! », « On va tuer les Arméniens » ou encore « Allahu akbar »], ne laissant aucun doute sur leur volonté d’en découdre. Le cortège a ensuite été repoussé par les forces de l’ordre, qui ont procédé à des relevés d’identité et dressé une soixantaine de procès-verbaux pour non-respect du couvre-feu imposé en raison de la crise sanitaire.
Trois jours plus tard, le Centre national de la mémoire arménienne et le Mémorial du génocide arménien de 1915 ont été dégradés par des inscriptions hostiles et faisant l’apologie du président Erdogan. Selon les autorités françaises, cet acte a été « clairement revendiqué » par les « Loups Gris », un mouvement nationaliste turc n’ayant a aucune existence légale en France, ce qui ne l’empêche nullement de réunir ses militants.
Ces incidents, attribués donc au mouvement des « Loups Gris », auront été de trop. En Conseil des ministres, le 4 novembre, un décret « portant dissolution d’un groupement de fait » a en effet été adopté, sur la base d’un ensemble d’éléments « particulièrement graves et récurrents » visant « à inciter à commettre des actes de violence spécifiquement à l’encontre de personnes d’origine arménienne » [mais aussi kurde, ndlr].
Le mouvement des « Loups gris » a été dissous en conseil des ministres, conformément aux instructions du Président de la République.
Comme le détaille le décret que j’ai présenté, il incite à la discrimination et à la haine et est impliqué dans des actions violentes. A lire👇 pic.twitter.com/b3qL7REDPo— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 4, 2020
Au regard, justement, des faits reprochés à cette organisation « de fait », animée par un certain Ahmet Cetin [nommément cité par M. Darmanin dans le décret qu’il a diffusé via Twitter… mais curieusement désigné par les initiales « M. A » dans le texte publié au Journal Officiel…], on peut se demander pourquoi une telle décision n’a pas été prise plus tôt.
« Plusieurs foyers de ce mouvement ont ainsi été identifiés sur le territoire, notamment par le biais des réseaux sociaux » et « ses membres participent à des camps d’entraînement sur le territoire national, se revendiquant sans ambiguïté de ce mouvement, à l’instar du ‘camp des armes de jeunesse’, organisé à Satillieu [Ardèche] les 13 et 14 décembre 2019 », lit-on, par exemple, dans le décret en question.
Pour rappel, le mouvement des « Loup Gris » a été créé en 1968, sous l’appellation officielle « Les Foyers idéalistes », par Alparslan Türkeş. Anti-communiste et nationaliste, il a entretenu des relations avec la CIA et les réseaux clandestins « Stay Behind » mis en place par l’Otan dans les années 1970 et 1980 afin de mener des actions de guérilla en cas d’invasion soviétique [réseau Ergenekon]. Depuis, par ailleurs soupçonnée d’avoir des liens avec la mafia turque et après avoir connu des dissensions internes, il apporte son soutien au président Erdogan, sa vitrine politique, le MHP, étant un de ses alliés. Et il est soupçonné d’accomplir les « basses oeuvres » d’Ankara.
Cette collusion a été illustrée par la réaction du ministère turc des Affaires étrangres à la décision de la France d’interdire les « Loups Gris » sur son territoire.
« Nous soulignons qu’il est nécessaire de protéger la liberté d’expression et de réunion des Turcs de France […] et que nous répliquerons de la plus ferme des manières à cette décision », a en effet affirmé la diplomatie turque. Reste à voir comment Ankara entend mettre ses menaces à exécution…
« Il y a maintenant des déclarations de violence, voire de haine, qui sont régulièrement affichées par le président Erdogan qui sont inacceptables », a rétorqué Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, ce 5 novembre, à l’antenne d’Europe1.
« Ce n’est pas seulement la France qui est visée, il y a une solidarité totalement européenne sur le sujet -, nous voulons très fermement que la Turquie renonce à cette logique-là », a ensuite poursuivi M. Le Drian. « Et si d’aventure ce n’était pas le cas, le Conseil européen a décidé qu’il prendrait les mesures nécessaires à l’encontre des autorités turques. Il importe maintenant aux Turcs de prendre les mesures nécessaires pour éviter cette dérive, » a-t-il ajouté. Et de prévenir : « Il y a des moyens de pression, il y a un agenda de sanctions possibles. »
Quoi qu’il en soit, la dissolution des « Loups Gris » en France est un nouveau sujet de contentieux entre Paris et Ankara, après les actions turques en Méditerranée orientale, le dossier libyen, le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan dans ses opérations militaires au Haut-Karabakh et la situation en Syrie.
Cela étant, la Turquie a d’autres relais en France… Comme le parti « égalité et justice » [PEJ], sous l’étiquette duquel M. Cetin s’était d’ailleurs présenté aux élections législatives de 2017. Ce mouvement, même s’il s’en défend, est considéré comme étant une officine officieuse de l’AKP, le parti de M. Erdogan.