Berlin durcit le ton à l’égard de Pékin et parle de s’impliquer dans la sécurisation des routes maritimes en Asie

Le 2 septembre, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a terminé sa tournée européenne en se rendant en Allemagne, qui assure actuellement la présidence tournante de l’Union européenne [UE]. À cette occasion, il a refusé toute question portant sur les affaires internes de la Chine [statut de Hong Kong, sort des minorités, etc] et s’en est de nouveau pris à Milos Vystrcil, le président du Sénat tchèque, qui a récemment effectué un déplacement à Taïwan. Ce qui lui a valu une répartie cinglante de la part de son homologue allemand, Heiko Maas.

« Nous, Européens, agissons en étroite coopération – nous offrons à nos partenaires internationaux le respect et nous attendons exactement la même chose d’eux », lui a répondu le chef de la diplomatie allemande. « Les menaces n’ont pas leur place ici », a-t-il insisté, affichant ainsi la même position que la France dans cette affaire.

« Les relations euro-chinoises doivent reposer sur le dialogue, le principe de réciprocité et le respect mutuel, conditions essentielles de l’approfondissement de notre partenariat », avait en effet déclaré, la veille, Agnès von der Mühll, la porte-parole du Quai d’Orsay. « À cet égard, aucune menace visant un État membre de l’Union européenne n’est acceptable et nous exprimons notre solidarité à la République tchèque, avait-elle ajouté.

Quoi qu’il en soit, la réponse de M. Maas traduit un changement d’approche de Berlin à l’égard de Pékin, alors que les exportations allemandes vers la Chine ont atteint les 95 milliards d’euros en 2019. Selon le quotidien Frankfurter Allgemeine, le marché chinois est même devenu si important pour les constructeurs automobiles d’outre-Rhin qu’il leur aurait permis de compenser les pertes causées par la pandémie de covid-19. Par exemple, Volkswagen 40% de ses voitures dans l’Empire du Milieu…

Pour Berlin, de tels échanges économiques étaient un moyen d’encourager Pékin à plus d’ouverture politique et économique. Or, ce calcul s’est avéré faux, comme le montrent la question du statut de Hong Kong, la pression mise sur Taïwan, la militarisation de la mer de Chine méridionale, le sort des minorités, en particulier celui des Ouïghours, les tentatives de déstabilisation de l’Union européenne lors de la pandémie de covid-19 ou encore l’inflexibilité chinoise en matière de réciprocité économique.

D’où la publication par le gouvernement allemand, le 2 septembres, de « lignes directrices pour la région Indo-Pacifique » [.pdf]. Et, désormais, s’il n’est pas question pour l’Allemagne [et les Européens] d’être le « jouet » des grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis, Berlin entend tisser de nouvelles relations économiques avec les pays qui ont une « même compréhension de la démocratie », comme le Japon, l’Inde, l’Australie et l’Indonésie. Ce qui, de facto, limitera sa dépendance au marché chinois.

« Une trop grande dépendance économique met en danger la souveraineté politique. Ce constat est à l’origine de la nouvelle stratégie », résume ainsi le quotidien allemand Handelsblatt. Ce « changement de cap est remarquable. Alors que […] les responsables politiques [allemands] étaient convaincus que le commerce entraînerait un changement social, Berlin s’éloigne désormais de ce credo – bien qu’aucune autre économie ne soit aussi étroitement liée à la Chine que celle de l’Allemagne », poursuit-il.

Dans ses lignes directrices, Berlin estime que la décision de la Cour permanente d’arbitrage rendue le 12 juillet 2016 est d’une « importance décisive ». Or, cette dernière avait estimé que les revendications de Pékin en mer de Chine méridionale, carrefour de voies commerciales maritimes de premier plan, ne reposaient sur « aucun fondement juridique ».

Dans le même temps, le document rappelle l’importance « vitale », pour l’Allemagne, des routes maritimes commerciales. « La région Indo-Pacifique représente 20% du commerce extérieur allemand. Et le volume des échanges avec la région a presque doublé au cours des quinze dernière années », explique-t-il, soulignant que la flotte marchande allemande se hisse au cinquièle rang mondial.

Aussi, dans ce contexte, Berlin affiche désormais son intention de s’investir davantage – et à tous les niveaux – dans la sécurité de la région Indo-Pacifique, tout en prônant le dialogue pour résoudre les différends territoriaux et les conflits.

« L’Himalaya et le détroit de Malacca peuvent sembler lointains. Mais notre prospérité et notre influence géopolitique dans les décennies à venir seront également basées sur la manière dont nous travaillons avec les États de la région Indo-Pacifique », a fait valoir Heiko Maas. « En tant que nation commerçante, notre prospérité dépend directement de la liberté du commerce et des routes maritimes, qui dans une large mesure traversent l’Indo-Pacifique », a-t-il ajouté.

« L’objectif principal est de travailler avec des partenaires démocratiques désireux de coopérer pour faire appliquer les règles internationales contre la ‘loi du plus fort' », a expliqué le chef de la diplomatie allemande.

Ce discours rejoint celui qu’avait tenu Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande de la Défense, en novembre 2019, devant l’Université de la Bundeswehr, à Munich.

« Nos partenaires de la région indo-pacifique – surtout l’Australie, le Japon et la Corée du Sud, mais aussi l’Inde – se sentent de plus en plus harcelés par les revendications de la Chine. […] Il est temps pour l’Allemagne de montrer sa présence dans la région, aux côtés de ses alliés », avait lancé la ministre. « Un pays de notre taille, avec sa puissance économique et technologique, sa situation géostratégique et ses intérêts mondiaux ne peut pas simplement rester à l’écart et regarder », avait-elle insisté.

Photo : Frégate F-125

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]