La Grèce accuse la Turquie de « menacer la paix » en Méditerranée orientale
Signés en décembre 2015, les accords de Skhirat devait permettre de stabiliser la Libye, alors déchirée par un conflit opposant un gouvernement de salut national qui, établi à Tripoli, n’était alors pas reconnu par la communauté internationale, et celui de réfugié à Tobrouk, issu de la Chambre des représentants élus un an plus tôt [et chassée de la capitale libyenne par la milice Fajr Libya].
C’est ainsi qu’un gouvernement d’union nationale [GNA], conduit par Fayez el-Sarraj, s’installa à Tripoli sous l’égide des Nations unies [et sous la protection des milices locales, qui en firent, en quelque sorte, leur « otage »], celui dit de « Salut national » s’étant effacé. Seulement, il n’obtint jamais la confiance de la Chambre des représentants, alors que c’était une condition prévue par les accords de Skhirat, comme l’étaient également l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections à l’issue de deux ans de transition politique.
Limités dans le temps [un an reconductible, ndlr], ces accords n’ont pas atteint les objectifs fixés. Et la « légitimité internationale » du GNA est donc relative, a récemment estimé Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, lors d’une audition parlementaire. Mais « bien que leur mise en oeuvre ait été incomplète, ils restent un compromis fondateur », a relevé un rapport du Sénat, publié en 2018.
Reste que, « compromis fondateur » ou pas, la Libye se trouve plus que jamais dans une situation difficile, avec l’implication de puissances étrangères qui ont leur propre agenda. Ainsi en est-il de la Turquie, qui a signé un protocole d’accord maritime avec le GNA, en novembre dernier, lui permettant d’étendre la surface de son plateau continental, et donc d’appuyer ses revendications territoriales en Méditerranée orientale, où d’importants gisements de gaz naturel sont susceptibles d’être bientôt exploités. Et cela, aux dépens d’Athènes et de Nicosie.
Pour la Turquie, il s’agit de défendre les « droits » de la République turque de Chypre Nord [RTCN]. Et cela, alors que Chypre a proposé de mettre en place un fonds souverain, qui basé sur celui créé par la Norvège pour l’exploitation pétrolière, doit permettre de gérer les recettes tirés des gisements d’hydrocarbures au profit de Nicosie et de Famagouste.
Quoi qu’il en soit, « la République de Chypre et la Grèce sont inquiètes. La Turquie a réalisé des forages en mer, au sud de Chypre, dans les zones 7 et 8, que la Turquie considère comme relevant de son domaine économique maritime, et elle a annoncé des forages au large de la Crète, en violation du droit international maritime. Nous réagissons fortement contre cela et, sans entrer dans les détails, nous allons prendre des initiatives », a expliqué M. Le Drian.
Cela étant, en réponse au memorandum signé par Ankara et le GNA [qui explique en partie la raison pour laquelle ce dernier est soutenu militairement par la Turquie], la Grèce et l’Égypte ont trouvé un accord sur leurs zones économiques exclusives [ZEE] respectives, le 6 août.
Cet accord « autorise l’Egypte et la Grèce à aller de l’avant en tirant chacun le maximum d’avantages des ressources disponibles dans la zone économique exclusive, notamment les réserves de pétrole et de gaz », a expliqué Sameh Choukri, le ministre égyptien des Affaires étrangères. Pour son homologue grec, Nikos Dendis, il s’agit d’un « accord historique » qui est « tout ‘l’opposé » de celui « illégitime » signé par Ankara et le GNA.
Alors que, une semaine plus tôt, elle indiqué avoir temporariement suspendu ses activités de forage et de prospection en Méditerranée orientale, à la demande de la Berlin afin de « faciliter » les discussions avec la Grèce, dixit le président turc, Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a immédiatement réagi.
« Nous avons repris les activités de forage et avons, à ce propos, de nouveau envoyé le [navire de recherche sismique] Barbaros Hayrettin en mission », a en effet annoncé M. Erdogan, le 7 août, estimant que l’accord que venaient de signer la Grèce et l’Égypte n’avait « aucune valeur. Et d’assurer que la Turquie appliquerait « avec détermination » celui conclu avec le GNA [dont on se demande comme il fera pour le ratifier, étant donné que le Parlement libyen ne le soutient pas…].
Deux jours plus tard, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a affirmé que l’annonce de M. Erdogan au sujet de la reprise des forages en Méditerranée était « extrêmement préoccupante ».
« Les dernières mobilisations navales en Méditerranée orientale sont extrêmement préoccupantes » car « elles conduiront à un antagonisme et une méfiance accrus », a ainsi prévenu M. Borrell. « Les frontières maritimes doivent être définies par le dialogue et les négociations, et non par des actions unilatérales et la mobilisation de forces navales », a-t-il continué. « Les différends doivent être résolus dans le respect du droit international », a-t-il ensuite rappelé, avant d’ajouter que « l’Union européenne s’engage à contribuer à la résolution de ces différends et désaccords dans ce domaine d’intérêt vital pour la sécurité. »
Cette affaire concerne deux pays membres de l’UE [la Grèce et la République de Chypre, ndlr]. Or, il n’est pas certains que ces derniers se contentent de paroles…
Quoi qu’il en soit, ce 10 août, Athènes a accusé Ankara de « menacer la paix » en Méditerranée orientale.
Alors que la Turquie a annoncé une nouvelle campagne de prospection menée par le navire de recherche Oruc Reis dans une zone située entre les îles de Crète, dans le sud de la Grèce, et de Chypre et au large de la ville [turque] d’Antalya, le ministère grec des Affaires étrangères a fait valoir que cette décision constituait une « nouvelle escalade grave » et « montrait le rôle déstabilisant » d’Ankara. La Grèce « n’acceptera aucun chantage » et « défendra sa souveraineté et ses droits souverains », a-t-il assuré.
En outre, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a évoqué cette affaire avec Charles Michel, le président du Conseil européen. Et il devait également le faire avec Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan. « Nous sommes parfaitement prêts sur les plans politique et opérationnel. La majeure partie de la flotte est prête à être déployée où ce sera nécessaire », le ministre d’État grec Georgios Gerapetritis.
À noter que, dans le dernier rapport du secrétaire général des Nations unis, Antonio Guterres, sur sa mission de bons offices à Chypre, Nicosie dénonce la « forte militarisation par la Turquie de la mer autour de Chypre, les navires de forage et de levé sismique étant escortés par de nombreux navires de guerre et des patrouilles quotidiennes de drones armés, en même temps que les exercices militaires en mer menés par la Turquie se multiplient. »
« Les conséquences de ce comportement agressif et dangereux de la part de la Turquie constituent non seulement une atteinte grave aux droits souverains de la République de Chypre, mais également une menace pour la stabilité, la paix et la sécurité dans l’ensemble de la région très instable de la Méditerranée orientale », estiment les dirigeants chypriotes. « On peut donc s’attendre à ce que la communauté internationale en général et les Nations Unies en particulier prennent les dispositions voulues pour défendre le droit international et les principes de la Charte des Nations Unies », espèrent-ils.