Airbus craint de devoir partager le contrat sur les successeurs des avions Tornado allemands avec Boeing

Si elle a accueilli avec circonspection l’offre de dialogue stratégique sur la dissuasion française faite par le président Macron, qui a également proposé aux pays européens qui seraient prêts à le faire à participer aux exercices menés par les forces stratégiques françaises, il n’en reste pas moins que l’Allemagne reste très impliquée dans les plans nucléaires de l’Otan avec ses chasseurs-bombardiers Panavia Tornado.

Ainsi, en octobre dernier, ces appareils ont pris part à l’exercice nucléaire « Steadfast Noon », régulièrement organisé par l’Otan. Si Berlin ne l’a jamais confirmé officiellement, l’Allemagne abrite en effet au moins une vingtaine de bombes nucléaires tactiques B-61, mises à la disposition de l’Alliance par les États-Unis, selon un principe dit de double clé. c’est à dire que leur contrôle [donc celui de leur code d’armement] relève exclusivement des forces américaines.

Or, les Tornado étant à bout de souffle, les impératifs liés à cette participation allemande aux plans nucléaires de l’Otan compliquent leur remplacement. En effet, Berlin doit se procurer de nouveaux avions capables de mettre en oeuvre la B-61. D’où, d’ailleurs, l’intérêt marqué de la Luftwaffe [force aérienne, ndlr] pour le F-35A du constructeur américain Lockheed-Martin.

Seulement, au moment où cette hypothèse prenait corps, Airbus Defence & Space, par la voie de Dirk Hoke, son Pdg, mit Berlin en garde : un tel choix risquerait de sonner le glas de l’industrie aéronautique militaire européenne. Un avis partagé par la France, qui venait de proposer à l’Allemagne de rejoindre le programme de Système de combat aérien du futur [SCAF]. Finalement, le F-35A fut écarté de la succession des PANAVIA Tornado, Berlin ayant fait comprendre qu’un achat d’Eurofighter EF-2000 serait probablement privilégié. Mais, outre-Rhin, ce choix n’est pas du goût de tout le monde.

« Nous avons été victimes de chantage de la part des Français », a confié un député chrétien-démocrate, siégeant à la commission de la Défense du Bundestag, auprès de Deutsche Welle, une radio publique allemande. Et d’estimer que le F-35 était le « meilleur choix ». « Nos partenaires de l’Otan qui abrite des bombes nucléaires américaines sur leur territoire, comme l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, ont choisi cet avion. […] Ils ont un bus moderne tandis que nous, nous avons une diligence », a-t-il déploré en évoquant les Tornado de la Luftwaffe.

Pour qu’il puisse remplacer le Tornado pour les missions nucléaires, l’EF-2000 doit être apte à porter la B-61, c’est à dire qu’il doit obtenir une certification délivrée par les autorités américaines. Et, évidemment, pour ces dernières, les avions de Lockheed-Martin et de Boeing seront toujours prioritaires… D’où l’idée d’un achat de F/A-18 Super Hornet en nombre limité.

Récemment, les médias d’outre-Rhin ont en effet évoqué cette hypothèse, qui aurait l’avantage de contenter [presque] tout le monde, à commencer probablement par le président américain, Donald Trump, qui ne perd jamais une occasion pour tancer Berlin sur la faiblesse de ses dépenses militaires. Ainsi, il a été prêté au ministère allemand de la Défense l’intention de se procurer des F/A-18 Super Hornet pour les missions nucléaires ainsi que des E/A-18 Growler pour la guerre électronique, la suppression des défenses aériennes ennemies [missions SEAD] étant l’une des tâches de la Luftwaffe [qu’elle accomplit actuellement avec des Tornado ECR].

D’ailleurs, Airbus a senti le coup venir… en présentant, en novembre 2019, un Eurofighter EF-2000 ECR SEAD pouvant concurrencer l’EA-18 Growler de Boeing grâce à l’intégration du missile air-sol SPEAR de MBDA, doté d’une charge de guerre électronique pour brouiller les systèmes de détection ennemi.

Reste que, Airbus, selon son Pdg, Guillaume Faury, craint de devoir partager le marché du remplacement des Tornado avec Boeing… C’est en effet ce qu’il a confié à La Tribune, le 19 février.

« Nous sommes attentifs à la succession du Tornado, qui a initié des débats en Allemagne. Nous considérons qu’il est absolument nécessaire que l’Eurofighter succède aux Tornado, et non le F-18. C’est aussi une question de souveraineté. Nous estimons que ce serait totalement à contretemps que de ne pas choisir l’Eurofighter », a commencé par plaider M. Faury.

Seulement, a-t-il continué, le marché a été « divisé en plusieurs lots, dont l’un des plus importants semble promis à l’Eurofighter. Mais il y a également des missions plus spécifiques, comme celle qui permet à l’Allemagne de remplir pour le compte de l’Otan ses missions nucléaires. » Et d’insister ensuite qu’il s’agit de « choix politiques et militaires à faire » pour Berlin.

D’après la presse allemande, sur les 85 Tornado en dotation au sein de la Luftwaffe, 40 sont certifiés pour emporter la B-61. Ce qui veut dire que Berlin pourrait commander autant de F/A-18 Super Hornet. Le conditionnel est de mise car le contexte politique en Allemagne ne se prête actuellement pas à une signature rapide d’une commande, les sociaux-démocrates du SPD, qui font partie de la coalition emmenée par Angela Merkel, s’étant rappelés qu’ils étaient hostiles aux plans nucléaires de l’Otan [ce qu’ils avaient quand Gerhard Schröder était chancelier].

Reste que maintenir les Tornado en service jusqu’en 2030 n’est pas non plus une solution. Du moins au niveau budgétaire : cette option coûterait entre 9 et 13 milliards d’euros selon les calculs du Bundestag, étant attendu que le coût du maintien en condition opérationnel de ces appareils devrait s’envoler d’ici là.

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