Une étude australienne doute de la puissance militaire américaine dans la région Indo-Pacifique
Ex-conseiller gouvernemental et professeur au Centre d’études sur la défense et les stratégies de l’Université nationale australienne, à Canberra, le Dr Hugh White a lancé un pavé dans la mare, en juillet, en publiant un livre intitulé « How to Defend Australia (English Edition) » [Comment défendre l’Australie] et résumé par le quotidien The Straits Times avec cette question : « Du boomerang à la bombe atomique? »
Jusqu’à présent, la stratégie australienne reposait sur deux piliers, à savoir la garantie apportée par l’alliance militaire passée avec les États-Unis et les bonnes relations économiques et commerciales avec la Chine, destinataire des matières premières extraites des mines australiennes. Seulement, l’époque est aux certitudes vacillantes.
Si la relation militaire avec les États-Unis a été renforcé au cours de ces dernières années, avec le déploiement de 2.500 soldats du corps des Marines [USMC] et les achats d’équipements américains [avions F-35, P-8 Poseidon, drones, etc], les positions affichées par Donald Trump [« America First » ou ses déclarations au sujet de l’Otan], troublent certains analystes et responsables australiens, qui doutent désormais de la volonté américaine de venir au secours de l’Australie en cas de grabuge.
Dans le même temps, l’affirmation de la puissance chinoise dans la région Indo-Pacifique, est une autre source de préoccupation, la Chine ayant augmenté ses dépenses militaires de 75% depuis l’arrivée du président Xi Jinping au pouvoir [à 178 milliards de dollars, officiellement…].
« Loin d’être dans un marigot stratégique, l’Australie est désormais un État sur la ligne de front », a ainsi résumé le Dr Malcolm Davis, analyste à l’Australian Security Policy Institute [ASPI], pour qui le moment est venu de repenser la défense australienne.
L’une des vulnérabilités de l’Australie est le fait que ce pays est une île… C’est à dire qu’elle doit défendre ses chaînes d’approvisionnement internationales et se préparer un éventuel blocus. Selon les chiffres, Canberra ne pourrait tenir qu’une vingtaine de jours pour ce qui concerne le seul pétrole.
Quoi qu’il en soit, repenser la défense australienne, c’est justement ce que propose d’ailleurs le professeur White. Selon lui, l’Australie devrait pouvoir être en mesure de « dissuader ou repousser une attaque militaire directe lancée par une puissance asiatique majeure comme la Chine. » Ce qui pose la question de l’arme nucléaire.
« Les coûts stratégiques du renoncement aux armes nucléaires dans la nouvelle Asie pourraient être bien plus importants qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent », affirme en effet le professeur White.
Si ces propos ont suscité beaucoup de scepticisme, il n’en demeure pas moins qu’ils traduisent les doutes de Canberra à l’égard des garanties apportées par les États-Unis dans le domaine de la sécurité. Doutes par ailleurs renforcés par une étude, publiée par le Centre d’études sur les États-Unis de l’Université de Sydney [.pdf].
Ainsi, cette étude ne s’intéresse pas de savoir si les États-Unis viendront ou non au secours de l’Australie en cas de guerre. En revanche, elle remet en cause la supériorité militaire américaine dans la région Indo-Pacifique.
Les États-Unis « ne jouissent plus de la primauté militaire dans la région Indo-Pacifique et leur capacité à maintenir un rapport de forces favorable est de plus en plus incertaine », affirment les auteurs de cette étude.
« L’effet combiné des guerres au Moyen-Orient, de l’austérité budgétaire et du sous-investissement dans des capacités militaires avancées […] a laissé les forces armées américaines mal préparées face à la concurrence des grandes puissances de la région Indo-Pacifique », poursuivent-ils.
L’étude en question n’y va pas de main morte, estimant que les forces américains sont en train de « s’atrophier », avec des capacités « dangereusement dépassées ». Et il va même jusqu’à parler « d’insolvabilité stratégique » des États-Unis.
« De nombreuses bases américaines et alliées dans la région Indo-Pacifique sont exposées à une possible attaque de missiles par la Chine et manquent d’infrastructures renforcées. Les munitions et les approvisionnements déployés à l’avenir ne sont pas adaptés aux besoins de la guerre et, ce qui est inquiétant, la capacité logistique des États-Unis a fortement diminué », insiste le document. Et cela alors que, souligne-t-il, « la Chine […] est de plus en plus capable de défier l’ordre régional par la force du fait de ses investissements de grande ampleur dans les systèmes militaires avancés » ainsi que ses capacités d’interdiction et de déni d’accès.
Le constat établi par ce centre d’études australien rejoint celui d’un rapport rédigé par une commission de 12 anciens responsables du Pentagone à la demande du Congrès et publié en novembre 2018.
« En raison de notre focalisation récente sur la lutte contre le terrorisme et la contre-insurrection, et parce que nos ennemis ont développé de nouveaux moyens de vaincre les forces américaines, l’Amérique perd de son avantage dans des domaines clés de la guerre tels que la projection de puissance, la défense aérienne et antimissile, le cyber, les opérations spatiales, la guerre anti-surface et anti-sous-marine, les frappes de longue portée et la guerre électronique », fit valoir ce rapport qui, comme l’étude australienne, avait évoqué une « atrophie » des capacités militaires américaines.
Un temps pressenti pour être ambassadeur des États-Unis en Australie, avant finalement de poser ses valises en Corée du Sud, l’amiral Harry Harris, alors à la tête du commandement militaire américain pour le Pacifique [US PACOM], avait dit la même chose en février 2018, lors d’une audition parlementaire.
« L’activité sous-marine potentiellement adverse a triplé depuis 2008 et cela requiert une hausse correspondante de celle des États-Unis pour maintenir une supériorité sous les mers », avait expliqué l’amiral Harris, avant de déplorer qu’il ne disposait que de 50% des moyens nécessaires pour y faire face. « Si l’USPACOM doit se battre, je ne veux pas d’un combat à armes égales. Si c’est un combat au couteau, je veux un pistolet. Si c’est un combat au pistolet, je veux de l’artillerie », avait-il affirmé.
Photo : Premier tir d’une roquette GMLRS par un système HIMARS par l’US Marine Corps en Australie