Un rapport pointe les causes de la (très) faible disponibilité des hélicoptères de l’armée de Terre
Que ce soit sur le territoire national ou en opérations extérieures, l’armée de Terre ne peut pas se passer d’hélicoptères. « Il y a donc un lien très fort entre l’aéromobilité et l’opérationnel », a même souligné son chef d’état-major, le général Jean-Pierre Bosser, lors de sa dernière audition devant les députés de la commission de la Défense.
Seulement, la disponibilité des différents types d’hélicoptères que met en oeuvre l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) est assurément insuffisante. Une situation qualifiée d' »insupportable » par Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, lors de l’examen des crédits alloués à son ministère en commission élargie, à l’Assemblée nationale, le 2 novembre dernier.
Le dernier rapport du député François Lamy concernant le budget de l’armée de Terre avance des chiffres qui fâchent. L’on apprend ainsi que la disponibilité technique moyenne sur 12 mois des hélicoptères d’attaque Tigre est de seulement 24%, alors que l’âge moyen des appareils en dotation est de 6 ans. Celle des NH-90 Caïman, entrés en service il y a 2 ans, est de 35%. Pour les Cougar (25 ans en moyenne), elle n’est que de 21%.
Au total, la disponibilité technique des 303 hélicoptères de l’ALAT est de 38%, pour un âge moyen de 25 ans. La moyenne est relevée par les Gazelle (46%) et les Fennec (46%). Et les 70 Puma en service depuis 42 ans affichent une disponibilité de 30%.
Comment en est-on arrivé à une telle situation? Tout d’abord, l’une des causes est l’activité opérationnelle intense de l’ALAT, qui utilise des machines dans des environnements difficiles, comme au Sahel par exemple.
« L’ensoleillement peut faire se fissurer les verrières des hélicoptères ; le roulage sur les pistes en latérite comportant des cailloux peut occasionner des chocs; la climatisation d’appareils comme l’hélicoptère Tigre peut connaître des défaillances d’autant plus handicapantes qu’elle sert à rafraîchir les éléments informatiques du bord et que les pièces de rechanges sont rares et soumises à une normalisation européenne exigeante, etc », note M. Lamy.
Une autre raison est que l’effort financier consenti pour l’Entretien programmé des matériels (EPM) est « juste suffisant ». Mais les causes sont bien plus profondes encore et elles sont liées à la complexité de la chaîne qui assure le Maitien condition opérationnelle (MCO) de ces hélicoptères. Le député en identifie au moins dix.
L’une d’entre elles est la « lourdeur du dispositif contractuel sous-tendant le système de MCO aéronautique », avec certains contrats de » mal rédigés ». Le commandant de l’ALAT, le général Michel Grintchenko, a ainsi expliqué que « si en apparence on a un seul contrat, en réalité, il y a multiplicité des responsables et ils se rejettent les responsabilités les uns sur les autres. » Pour Philippe Coq, en charge des affaires publiques chez Airbus, la faute en reviendrait aux armées, qui auraient « peut-être sous-estimé la ‘complexité du sujet hélicoptères' »…
Mais selon le rapporteur, les industriels, qu’ils soient publics ou privés, ne sont pas en reste. « Un important goulot d’étranglement dans le circuit de maintenance des hélicoptères se situe au niveau de soutien industriel (NSI) », relève-t-il. Ainsi, la durée d’immobilisation des appareils est bien plus importantes que prévu (383 jours au lieu de 183 pour le Tigre, 18 mois au lieu de 90 jours pour les Cougar…).
Là, Airbus Helicopter admet sa responsabilité en évoquant des « problèmes endogènes qu’il lui appartient de résoudre ». Ce qu’il a commençé à faire pour l’entretien des Tigre, pour lesquels la durée des visites périodique a été réduite de 30 à 42%.
« Par nature, un opérateur privé poursuit des objectifs de rentabilité qui ne rejoignent pas nécessairement les intérêts des armées, dont les budgets d’entretien programmé du matériel sont contraints », estime M. Lamy, qui s’est par ailleurs fait le relai de réserves sur la productivité du Service Industriel de l’Aéronautique (SIAé), qui est un acteur public. Ainsi, un Tigre peut passer 10 mois dans les ateliers de ce dernier au lieu de 6…
Un autre problème identifié par le député est que les « moyens de maintenance » des unités de l’ALAT sont « sous-dimensionnés par rapport à l’intensité des engagements extérieurs. » Et cela est amplifié par les difficultés à retenir les mécaniciens les plus expérimentés, séduits par les perspectives plus alléchantes offertes par le secteur privé.
En outre, comme l’explique le général Grintchenko, « l’intensité des engagements en OPEX contribue à accroître la charge de travail des ateliers de l’ALAT » et « le rythme des relèves est tel que pour engager de façon continue une trentaine d’hélicoptères en OPEX, il faut disposer d’environ 90 appareils. » Or, ajoute-t-il, « leurs rotations créent une charge de travail conséquente pour leur conditionnement, leur transport, ou leur maintenance au retour d’OPEX. Même si cette charge ne se traduit pas en heures de vol consommées, elle pèse beaucoup sur les ateliers. »
Qui plus est, selon le général Grintchenko, la mise en service d’hélicoptères de dernière génération, comme le Caïman, « connecté à l’industriel quasiment en temps réel », suppose « des réseaux informatiques, des informaticiens, et toutes autres compétences de ‘back office’ que l’ALAT ne possède plus depuis qu’elles ont été mutualisée » au niveau interarmées.
Enfin, la faible disponibilité des hélicoptères de l’ALAT s’explique aussi par un approvisionnement en pièces détachées clairement insuffisant, notamment en raison de contrats « sous-calibrés » par rapport aux besoins effectifs. « On paie les dettes des années des ‘dividendes de la paix' », déplore le général Grintchenko.
Or, pour remédier, dans l’urgence, au manque de pièces détachées, on « cannibalise » d’autres appareils. En clair, pour faire voler un hélicoptère, on prélève des pièces sur d’autres appareils. Et cela donne lieu à une charge de travail supplémentaire quand ces derniers arrivent chez l’industriel pour être remis en état.