La Loi de programmation militaire prend en compte les risques liés au « changement climatique »
Initialement, le rapport annexé au projet de Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 précisait la liste des risques et des menaces pouvant affecter la sécurité de la France ainsi que celle de ses partenaires. De la probabilité d’une guerre inter-étatique que « notre défense ne saurait ignorer », aux vides sécuritaires causés par les Etats faillis (la Centrafrique en est un exemple), en passant par le terrorisme, les trafics, la cyberguerre ou encore la prolifération des armes de destruction massive et de missiles balistiques.
Manifestement, il y avait un oubli dans cette liste déjà longue. Lors des débats portant sur la LPM à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté, à l’initiative du groupe socialiste, un amendement visant à y ajouter les menaces liées au changement climatique (et non plus au « réchauffement », comme il était d’usage encore récemment).
« Si le changement climatique ne fait pas spécifiquement apparaître de nouveaux risques environnementaux ou stratégiques, il les exacerbe et augmente leur probabilité d’occurrence ainsi que leur impact, tant au plan sanitaire qu’énergétique. Il est d’ailleurs mentionné par le Livre Blanc sur la Défense et la sécurité nationale de 2013 dans sa partie consacrée aux risques et menaces amplifiés par la mondialisation. Cet amendement (ndlr, n°43) fait donc en sorte que l’enjeu du changement climatique figure également dans la présente loi de programmation militaire », était-il précisé dans ce texte.
Anecdotique? Pas vraiment, d’après les propos tenus par Mme le sénateur Leila Aïchi (écologiste), lors de l’examen en 2e lecture du projet de LPM, le 10 décembre, au Palais du Luxembourg. « C’est un enjeu dans les zones de tension comme le Soudan, la Somalie, le Nigéria, la mer de Chine méridionale, le Moyen-Orient », a-t-elle fait valoir. « Le concept de ‘défense verte’, fondé sur une approche préventive, redéfinit la vision militaire classique. La France ne doit pas prendre de retard. Elle doit adapter son diagnostic stratégique et sa diplomatie à ces nouvelles menaces », a-t-elle ajouté, avant de plaider pour ériger ce changement climatique en « risque stratégique ».
« Vous éveillez nos consciences », a répondu Jean-Louis Carrère, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense. « Je souscris à votre approche ; nous devons prendre en compte les nouveaux risques : stress hydrique, déséquilibres démographiques, auxquels nous pourrions ajouter accaparement des ressources par certains pays émergents. Le Livre blanc reconnaît les menaces que fait peser la fonte des glaces en Arctique », a-t-il affirmé, en soulignant que « la climat pourrait, à son tour, évoquer ces enjeux ».
Quant au ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il a lui aussi souscrit aux propos de Mme Aïchi, dont les amis politiques n’ont pas voté en faveur du la LPM 2014-2019, importance du nucléaire oblige… « Je vais dans votre sens et souhaite approfondir ces sujets », a-t-il dit.
Par voie de communiqué, Leila Aïchi a parlé d’une « avancée significative et historique dans la pensée stratégique française » et de « premier pas une nouvelle gestion des conflits, elle devra être suivie par une réflexion approfondie et des mises en application concrètes ».
Quoi qu’il en soit, cela fait déjà relativement longtemps que l’on s’interroge au sujet de l’impact du changement climatique sur les affaires de défense et de sécurité. En 2008, Javier Solana, alors haut-représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, affirmait que « les changements climatiques actuels et potentiels constituent une inquiétude voire une menace qui tend à multiplier les tensions et l’instabilité existante et pourraient conduire à fragiliser davantage des États et des régions déjà vulnérables et exposés aux conflits ».
Aux Etats-Unis aussi, ces questions font l’objet d’études et de rapports depuis au moins 2003. D’ailleurs, selon une récente note rédigé par des chercheurs de l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire), « le commandement militaire (américain) a inscrit les changements climatiques au nombre des menaces à la sécurité nationale. Le dernier examen quadriennal de la défense (QDR) paru le 1er février 2010, montre que la défense américaine met en place des politiques de recherche pour gérer les effets du changement climatique sur ses missions opérationnelles et ses installations ».
Et si la CIA a décidé de fermer son « Centre pour le changement climatique et la sécurité nationale » en novembre 2012, ce n’est pas par manque d’intérêt pour ces enjeux mais pour des raisons budgétaires. D’ailleurs, ses activités ont depuis été reprises par un nouveau bureau, chargé également des questions économiques et énergétiques.
En France, un rapport parlementaire publié en février 2012, déplorait le manque relatif d’intérêt du ministère de la Défense pour ces questions. Il « considère cependant que le changement climatique ne bouleversera pas sa stratégie de sécurité et de Défense, mais l’oblige à intégrer un nouveau facteur de développement des crises », peut-on lire dans le document.
« Le changement climatique apparaît simplement comme une variable supplémentaire sur laquelle pèse une incertitude que la science sera en mesure d’affiner progressivement, même s’il serait souhaitable d’initier dès maintenant des études permettant d’évaluer les conséquences du changement climatique et d’identifier des plans d’actions pour l’avenir du ministère », ont fait valoir ses auteurs.