L’amiral Guillaud sonne le tocsin pour la défense européenne

Le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud, s’est exprimé sur la relation « Europe-Etats-Unis » à l’occasion d’un colloque organisé le 2 juin par le Conseil économique de défense.

En premier lieu, l’amiral Guillaud a établi le constat de la situation actuelle. Et pour le CEMA, il est clair que les « lignes bougent », notamment avec la révision attendue du concept stratégique de l’Otan, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au sein de l’Union européenne et la nouvelle orientation stratégique américaine, initiée par l’administration Obama (Nuclear Posture Review, National Security Strategy).

Ainsi, la relation transatlantique est à « une période charnière » dans un environnement qui est en train d’évoluer : avec la fin de la guerre froide et l’émergence de nouvelles puissances, la multipolarité est devenue un fait et le centre de gravité du monde s’est déplacé vers l’Asie. Le tout avec de nouveaux « espaces de conflits supplémentaires », tels que le cyberespace, l’espace stratosphérique, les accès stratégiques et les zones grises.

Dans ce nouveau contexte, l’Europe est devenue moins importante pour les Etats-Unis : comme l’a rappelé l’amiral Guillaud, les Américains ont retiré 80% de leurs forces militaires du Vieux Continent depuis la fin de la guerre froide. Désormais, pour Washington, le lien transatlantique est un « lien parmi d’autres » et « les alliances sont modulaires et modulables ».

Pour autant, le CEMA ne pense pas que ce lien transatlantique soit devenu caduc. Au contraire, il « doit trouver son nouvel équilibre », et même un « juste équilibre » entre l’Otan et la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

D’où la question que l’amiral Guillaud pose : quelle est « la volonté des Européens à développer leur personnalité stratégique, à s’affirmer en acteur stratégique autonome, in fine, en puissance militaire crédible »?

Si le CEMA a estimé « très positif » le bilan de l’Europe de la défense depuis le sommet de Saint-Malo de 1998, notamment avec la mise en place d’un « certain nombre d’outils » qui ont permis de monter des opérations européennes majeures au cours de ces dernières années, il n’en reste pas moins qu’il en pointé les insuffisances.

En effet, l’amiral Guillaud a mis en avant la « crise de confiance » qui pèse sur la relation Europe-Etats-Unis née des « frilosités » et des « divisions européennes » sur l’Afghanistan. « Le partage du fardeau est un vrai problème que les Européens se refusent de facto à aborder » a-t-il affirmé.

Deuxième point : le risque de « décrochage technologique » par rapport aux Etats-Unis, causé par le niveau insuffisant des dépenses militaires européennes, lesquelles arrivent à peine à la moitié du budget de la défense américain. Et cette tendance ne risque pas d’inverser en raison de la crise financière, que le CEMA a par ailleurs qualifié de « surprise stratégique ».

« L’aggravation de l’environnement financier illustrée par la crise européenne crée un risque capacitaire majeur pour l’Europe de la défense » a-t-il ainsi estimé. Or, selon lui, une baisse des budgets de la défense, et en particulier ceux des grands pays européens, aura plusieurs conséquences néfastes : la PSDC sera reléguée au rang de « soft power », privant ainsi « les possibilités futures d’une Europe autonome dans le domaine militaire », tentation d’un « repli nationale » qui « compromettrait le fragile bilan des dix années » de défense européenne, « décrochage » technologique et capacitaire entraînant des « problèmes d’interopérabilité » au sein de l’Otan, « remise en cause des modèles de forces ».

Pour le CEMA, cela conduirait à une « démission de l’Europe » car cette dernière serait ainsi privée de toute « autonomie de décision et de réaction ». « C’est le scénario d’une Europe de la défense avortée, une Europe spectatrice de l’Histoire, une Europe, à temre, victiem potentielle de l’Histoire. C’est à dire, une Europe qui n’a pas su ou voulu tirer les leçons de l’Histoire et qui s’est laissée bercer ou berner par les sirènes du court terme! » a-t-il ainsi lancé, sans langue de bois.

Pour autant, l’amiral Guillaud ne s’est contenté pas de lancer des imprécations : il a également fait des propositions pour éviter ce scénario. De son point de vue, il s’agirait de profiter de la crise européenne pour « mettre en oeuvre de nouvelles synergies », en « serrant les rangs » et créer une dynamique autour de « quelques avancées concrètes » selon quatre axes : promotion de « coopérations bilatérales pragmatiques », destinées à devenir ensuitre des « coopérations locomotives », mise en place, sans tarder, d’une stratégie industrielle européenne, restructuration des « processus capacitaires de supervision des programmes au niveau européen » et enfin, prise en compte de toutes les menaces, avec l’élaboration éventuelle d’un Livre blanc européen sur la stratégie de sécurité et de défense commune.

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