Outre-Mer : Le Sénat recommande de doter la Marine d’hydroglisseurs et d’au moins cinq patrouilleurs de plus

Depuis les années 2000, et sous l’effet de la professionnalisation des armées, de la Révision générale des politiques publiques [RGPP] et des contraintes budgétaires, le format des forces dites de souveraineté, car présentes dans les départements et territoires d’outre-Mer, a été réduit significativement, avec 25% de personnels en moins et des moyens « taillés au plus juste ». Notamment pour la Marine nationale, qui risque des ruptures de capacités temporaires, voire définitives.

Ce risque est d’ailleurs devenu une réalité avec le retrait du service des ses cinq Bâtiments de TRAnsport Léger [BATRAL], qui lui donnaient des capacités amphibies et hauturières, toujours utiles pour projeter des forces si nécessaire ou acheminer de l’aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle.

Certes, ces navires ont depuis été remplacés par quatre Bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer [BSAOM], dotés de nouvelles fonctionnalités [remorquage, grue de levage, etc]. Seulement, ils ne permettent pas d’effectuer les missions qu’il était possible de faire avec les BATRAL, ceux-ci ayant, en plus, la capacité de transporter jusqu’à 12 véhicules et 130 hommes.

Et c’est ce qu’ont déploré Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, dans un rapport intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime national », publié le mois dernier par le Sénat. Avant eux, les députées Monica Michel-Brassart et Laurence Trastour-Isnart avaient fait le même constat pour la région Indo-Pacifique.

Le retrait des « BATRAL constitue donc une rupture de capacité qui ne dit pas son nom, la disparition d’une capacité amphibie basique et immédiatement disponible intra-théâtre outre-mer posant de nombreux problèmes logistiques. Le rétablissement de ces capacités amphibies est aujourd’hui primordial », ont ainsi estimé les sénateurs.

Seulement, lancer un programme pour doter la Marine nationale de BATRAL de nouvelle génération paraît compliqué. Ou du moins, il prendrait du temps. D’où cette recommandation du rapport sénatorial : « il pourrait être utile de développer des hydroglisseurs, sur le modèle de ceux dont s’est dotée la marine japonaise ».

La composante navale des forces d’autodéfense japonaise est en effet équipée d’hydroglisseurs de type LCAC, comme la marine américaine. Affichant un déplacement de 182 tonnes à pleine charge, cette embarcation peut parcourir jusqu’à 300 nautiques, à condition de naviguer à la vitesse de 30 noeuds. Cela étant, il n’est nullement besoin d’aller chercher des solutions ailleurs : en France, le groupe CNIM peut en proposer, ne serait-ce qu’avec le « navire de projection autonome » LCAT, conçu justement pour les opérations amphibies et humanitaires, ainsi que pour les missions relevant de l’action de l’État en mer.

Par ailleurs, le rapport du Sénat pointe également des insuffisances au niveau des patrouilleurs, indispensables pour la police des pêches, la lutte contre les trafics et, plus généralement, la surveillance de la zone économique exclusive [ZEE].

Le renouvellement des patrouilleurs P400 est déjà en cours, avec la livraison de trois Patrouilleurs Antilles-Guyanne [PAG] à la Marine nationale entre 2016 et 2020. Puis avec le lancement du programme « POM » [patrouilleurs outre-Mer], qui doit compter six navires. La cérémonie marquant la prise d’armement pour essais du premier de la série, l' »Auguste Bénébig », a été organisée à Boulogne-sur-Mer, le 1er avril dernier.

Seulement, le retrait des P400 ayant commencé, il est « existe donc des ruptures temporaires de capacités en matière de patrouilleurs déployés outre-mer au moins jusqu’en 2025 », année où le dernier POM sera livré.

« Ce trou capacitaire est particulièrement inquiétant, les forces étant ainsi vulnérables jusqu’en 2025. Le nombre de patrouilleurs destinés à assurer la protection de la ZEE française est aujourd’hui à peu près équivalent à deux voitures de police surveillant l’ensemble du territoire métropolitain », souligne le rapport. Et « avec un matériel vieillissant et certainement trop peu nombreux, c’est un vrai défi pour nous de pouvoir intervenir et de maîtriser toutes ces zones qui, sans contrôle, sont pillées », ajoute-t-il.

D’autant plus que la nature des menaces a évolué… Au point que l’amiral Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], a dit ne pas exclure un possible coup de force contre des territoires français ultra-marins…

« Il convient de s’assurer que les POM livrés en 2025 puissent s’adapter au gré des standards et des besoins à l’horizon 2035, voire 2050 puisque le renouvellement ne semble s’effectuer que tous les 40 ans », commencent par relever les rapporteurs. Et d’ajouter : « Au vu des menaces, le remplacement un pour un ne paraît par ailleurs pas aujourd’hui suffisant, rendant nécessaire la livraison de patrouilleurs supplémentaires par point d’appui ». Aussi proposent-ils de « prévoir la livraison d’un patrouilleur supplémentaire pour chacune des forces outre-mer [*] lors de la prochaine loi de programmation militaire » – soit au moins cinq unités supplémentaires – et de les associer à des drones de surface, relativement « peu coûteux » tout en offrant un surcroît capacitaire.

Quant aux six frégates de surveillance de type Floréal, en service depuis le début des années 1990, le rapport rappelle qu’elles ont « partiellement été désarmées » [elles ne sont plus dotés de missiles anti-navire Exocet, ndlr], ce qui « nuit » à leur crédibilité. Leur remplacement devrait se faire dans le cadre du programme européen « European Patrol Corvette » [EPC]. Mais au regard de l’évolution des menaces, les sénateurs plaident pour l’accélération de celui-ci, afin de pouvoir disposer d’une première capacité dès 2030.

Enfin, le document met aussi aussi l’accent sur les infrastructures navales, « indispensables pour assurer les missions de protection et disposer de capacités de projection ». Or, celles dont dispose la Marine nationale dans les DOM/TOM – quand elles existent – sont à la fois anciennes et insuffisantes. Ce qui bloque, par exemple, le déploiement de frégates de premier rang.

« Ces infrastructures exigeraient d’importants investissements, qui permettraient une valorisation économique des territoires, amenant des compétences techniques et industrielles. Le déploiement de nouveaux moyens militaires imposerait ainsi une mise à niveau des infrastructures », font ainsi valoir les rapporteurs.

[*] Forces armées aux Antilles [FAA], Forces armées en Guyane [FAG], Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien [FAZSOI], Forces armées en Nouvelle-Calédonie [FANC] et Forces armées en Polynésie française [FAPF]

Photo : Par Rama, CC BY-SA 3.0 fr

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