Une polémique sur la fiabilité du missile balistique russe Iskander est à l’origine d’une crise politique en Arménie

Tout a commencé par un entretien donné à la presse par Serge Sarkissian, qui fut président de l’Arménie avant d’occuper brièvement les fonctions de Premier ministre.

Commentant la défaite militaire contre l’Azerbaïdjan, consentie en novembre 2020 à la faveur d’un cessez-le-feu négocié sous l’égide de la Russie, ce dernier s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles les forces arméniennes n’avaient pas utilisé leurs missiles balistiques Iskander-E, de facture russe, durant les premiers jours de l’offensive des troupes azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh.

La réponse a été donnée le 23 février par son successeur, Nikol Pachinian, sous pression depuis le revers militaire subi par l’Arménie. Ainsi selon lui, la raison serait le manque de fiabilité des Iskander-E, ces engins n’ayant « explosé que dans 10% des cas. » Et de suggérer qu’ils étaient « obsolètes », alors qu’ils avaient été acquis par Erevan en 2015/16.

C’est alors que le chef d’état-major adjoint des forces arméniennes, le général Tigran Khatchatrian, s’est moqué des propos du Premier ministre, en les qualifiant de « ridicules ». Et d’estimer qu’ils pouvaient même froisser la Russie… Voyant son autorité constestée, M. Pachninian l’a immédiatement limogé.

Sauf que, dans la foulée, l’état-major arménien a réclamé à son tour la démission du Premier ministre, en faisant valoir qu’il n’était « plus en mesure de prendre les décisions qui s’imposent » et en l’accusant de chercher à « discréditer les forces armées. » Et l’opposition s’est engouffrée dans la brêche.

Face à cette situation, M. Parchinian a alors dénoncé une tentative de coup d’État militaire et appelé ses partisans à manifester. Et il a limogé, par la même occasion, le général Onik Gasparian, le chef d’état-major des forces arméniennes. « L’armée […] doit obéir au peuple et aux autorités élues. […] Ce sont mes ordres et personne ne peut y désobéir », lancera-t-il à 20.000 sympathisants rassemblés sur la place de la République, à Erevan, le 25 février.

Cela étant, l’opposition ne désarme pas, avec des manifestations ayant réuni entre 10.000 et 13.000 personnes les 25 et 26 février. « Le peuple doit descendre dans la rue et exprimer sa volonté pour qu’on évite un bain de sang et la crise », a fait valoir Vazguen Manoukian, un ancien Premier ministre qui se verrait bien à la place de Nikol Parchinian.

Les États-Unis, qui font partie, avec la France et la Russie, du groupe de Minsk, créé par Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE] pour trouver une issue diplomatique au conflit du Haut-Karabakh, ont dit suivre la « situation de près ». « Nous exhortons toutes les parties à faire preuve de retenue et à s’abstenir de tout acte de violence ou qui favoriserait une escalade », a déclaré Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine.

« La France souhaite que le dialogue puisse s’instaurer dans ce pays en s’appuyant sur la légitimité du président [Armen Sarkissian] et du Premier ministre […]. Les éléments de la démocratie arménienne doivent tenir le coup », a réagi Jean-Yves le Drian, le ministre français des Affaires étrangères. « Nous sommes très attachés à la démocratie arménienne, à la stabilité de ce pays qui a des ressorts démocratiques profonds », a-t-il ajouté.

À Moscou, où on ne serait pas mécontent d’un éventuel départ de M. Parchinian, en raison de ses critiques à l’égard de la Russie, le Kremlin s’est dit « préoccupé » et également appelé au « calme ». Cependant, les remise en cause des missiles Iskander-E n’est pas passée…

Ainsi, le ministère russe de la Défense a tenu à faire une mise au point, disant avoir « pris connaissance, avec étonnement et surprise, de la déclaration du Premier ministre Nikol Pachinian selon laquelle les missiles Iskander utilisés au Haut-Karabakh par les forces arméniennes ‘n’ont pas explosé ou n’ont explosé que dans 10% des cas' ».

« D’après les informations objectives et fiables dont nous disposons, confirmées par le système de contrôle objectif, aucun des systèmes de missiles de ce type n’a été utilisé pendant le conflit du Haut-Karabakh » et « toute les missiles se trouvent dans les entrepôts des Forces armées de la République d’Arménie », a poursuivi le ministère russe de la Défense, estimant que le chef du gouvernement amérnien a été « induit en erreur, ce qui a fait qu’il utilisé des informations inexactes. »

Seulement, cette affirmation contredit les déclarations des forces arméniennes, comme celles du général Movses Hakobyan, alors chef du service de contrôle militaire. « Le missile à courte portée Iskander a été utilisé pendant la guerre mais je ne dirai pas où », a-t-il en effet affirmé à la presse, le 19 novembre, après avoir démissionné de son poste. En outre, au moins un tir du missile russe par les forces arméniennes a été documenté via les renseignements obtenus en source ouverte.

Par ailleurs, le ministère russe de la Défense a ensuite souligné que le « missile 9K720-E [Iskander-E] a été testé et utilisé avec succès à de nombreuses reprises dans des conditions de combat en République arabe syrienne contre des groupes terroristes internationaux. » Ce qui est une révélation : jusqu’à présent, on ignorait que les forces russes étaient dotées d’engins de cette version, développées pour l’exportation [d’où le suffixe E].

En effet, conformément aux régles établies dans le cadre du Régime de contrôle de la technologie des missiles [RCTM], la portée de l’Iskander-E est de 280 km alors que les modèles en dotation au sein des forces russes peuvent parcourir 500 km.

Quoi qu’il en soit, cela suggère que la Syrie a servi de terrain d’essais pour les missiles Iskander E, ce qui suppose que des exemplaires y ont été déployés par les forces russes. D’où la question : ont-ils tous été utilisés? Et, si ce n’est pas le cas, que sont devenus ceux qui ne l’ont pas été?

Photo : Jonj7490 CC BY-SA 4.0

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