Vente d’armes : Les décisions de Berlin mettent en péril les projets franco-allemands, prévient la diplomatie française

Si un industriel de l’armement utilise un composant fabriqué en Allemagne, alors il devra attendre le feu vert de Berlin pour exporter les matériels qui lui ont été commandés. Quand il s’agit de livrer les forces armées d’un pays membre de l’Union européenne et/ou de l’Otan, cela ne pose pas trop de problèmes. En revanche, si le client n’est pas en odeur de sainteté outre-Rhin, alors les difficultés commencent… Dans le meilleur des cas, il aura à s’acquitter de pénalités si les livraisons ne sont pas faites dans les délais fixés contractuellement. Dans le pire, il s’expose au risque de faillite, comme Nicolas Industrie, le spécialiste de la fabrication de remorques et plateformes lourdes.

La situation est devenue encore plus problèmatique depuis l’affaire Khashoggi [du nom d’un journaliste saoudien assassiné à Istanbul en octobre dernier] et la décision de la chancelière allemande, Angela Merkel, d’imposer un embargo sur les livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite. Ce qui n’est pas sans conséquence pour les industriels britanniques et français. Ainsi, les premiers ne peuvent pas honorer une commande portant sur 48 avions Eurofighter Typhoon et des missiles Meteor destinés à la Royal Saudi Air Force [RSAF].

Pourtant, à l’occasion du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, en janvier, on aurait pu penser que les choses allaient évoluer dans la mesure où Mme Merkel avait souligné la nécessité d’une « approche commune » pour mener à bien les programme d’armement communs à la France et à l’Allemagne. Et l’hebdomadaire allemand Der Spiegel avait même évoqué un « accord secret » pour en régler les détails. Accord qui n’était a priori qu’un projet.

Seulement, les questions relatives aux exportations d’armes ne font pas consensus outre-Rhin. Et elles donnent lieu à des divergences profondes entre les chrétiens-démocrates de la CDU et les sociaux-démocrates du SPD, alors que les uns et les autres appartiennent au même gouvernement. Et c’est ce qu’a déploré Anne-Marie Descôtes, l’ambassadrice de France en Allemagne, via une tribune publiée par l’Institut fédéral des hautes études de sécurité [Bundesakademie für Sicherheitspolitik der Bundeswehr – BAKS].

« La question des exportations d’armes est souvent traitée comme une affaire intérieure en Allemagne, ce qui a de graves conséquences pour notre coopération bilatérale en matière de défense et pour le renforcement de la souveraineté de l’Europe », a attaqué la diplomate française.

« Nous ne pouvons donc pas avoir simultanément une industrie européenne de la défense compétitive et technologiquement avancée, capable de produire le matériel dont nous avons besoin, avec des budgets de défense limités, et de mettre en place des contrôles à l’exportation unilatéraux empêchant l’exportation de biens produits conjointement. Seuls deux de ces trois objectifs peuvent être mis en œuvre simultanément, pas les trois », a ensuite enchaîné Mme Descôtes.

Or, a-t-elle poursuivi, rappelant que les restrictions imposées par l’Allemagne ne concernent pas seulement les pays engagés militairement au Yémen mais aussi l’Inde, le Sénagal ou encore le Niger, Mme Descôtes estime que cela « renforce l’impression » que le système allemand de contrôle des exportations n’est pas seulement restrictif mais aussi « imprévisible » car « principalement axé sur la politique intérieure allemande actuelle et pas seulement sur l’application stricte des critères européens et des obligations internationales. »

Pour contourner ce problème, des industriels européen, comme Arquus, qui se procure déjà des moteurs aux États-Unis, ou Airbus envisagent de se passer de composants produits en Allemagne. Seulement, pour Mme Descôtes, « si cette tendance se confirmait, cela aurait des conséquences graves et durables sur notre capacité à rapprocher les entreprises et à mettre en œuvre des programmes communs » et « à court terme, l’autonomie de l’Europe et ses moyens de lutter contre les menaces et de défendre sa sécurité et ses intérêts peuvent être menacés. » Et d’aller encore plus loin : « Les relations franco-allemandes sont en jeu », écrit-elle.

En effet, avec le succès des programmes franco-allemands, comme le Système de combat aérien futur [SCAF] et le char de combat de prochaine génération [MGCS], voire le drone MALE RPAS, repose sur des possibilités d’exportation « réalistes » afin de réduire les coûts de production.

D’où l’avertissement lancé par la diplomate française : « Si les exportations hors de l’UE sont bloquées par principe ou placées dans l’arbitraire des débats nationaux en cours dans l’un des pays partenaires, cela remet en question la viabilité à long terme de ces programmes. »

Battant en brèche l’idée selon laquelle la politique française en matière d’exportation de matériels militaires serait plus permissive que celle appliquée par l’Allemagne [à la différence qu’elle « repose sur des procédures d’approbation claires et prévisibles »], Mme Descôtes estime nécessaire la signature d’un accord bilatéral « et juridiquement contraignant », dont les lignes directrices auraient été avancées à l’occasion du traité d’Aix-la-Chapelle.

Sur ce point, la diplomate a mis la classe politique allemande face à ses responsabilités : soit, au risque de sacrifier l’Europe de la défense, elle met l’accent sur des « objectifs de politique intérieure » pour des raisons électorales, soit elle saisit « l’importance historique du moment » afin de « créer les conditions d’une véritable souveraineté européenne. »

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