Pour retrouver une « liberté d’action totale », la Marine nationale doit rester à la « pointe de l’innovation »

Sortie en novembre, la bande dessinée « Cyberfatale, Si on sort, on est morts » décrit la réalité des opérations « cyber » au sein du ministère des Armées. Ses auteurs (« Cépanou » et Clément Oubrerie) auraient été très bien renseignés par une source militaire très bien placée, qui, bien que tenant à garder l’anonymat, a pu être interrogée par la presse.

Cet officier a ainsi confirmé, auprès de RFI, des affaires évoquées par cette bande dessinée. Et l’on apprend donc que de « faux profils ont bien été utilisés pour infiltrer les réseaux jihadistes afin de neutraliser leurs efforts de propagande et de recrutement » et que des « piratages des Russes ont bien impacté des bâtiments de la Marine nationale. »

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale [le compte-rendu vient d’être rendu public], le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Prazuck, a brièvement évoqué le risque cyber pour les navires français.

« Nous investissons dans la cyberdéfense, dans laquelle 400 marins sont impliqués – dont deux tiers dans des organismes interarmées et un tiers dans la marine elle-même, qui a monté des centres de soutien cyberdéfense à Brest et à Toulon pour travailler avec les équipages, apprendre les bonnes pratiques et déceler d’éventuelles alertes », a rappelé l’amiral Prazuck aux députés.

Les futures frégates de taille intermédiaire [FTI] seront protégées contre le risque de cyberattaques dès leur conception. Mais il faut également « adapter les plus anciens bateaux qui ont été conçus à une époque où nous n’avions pas suffisamment conscience des risques de cyberdéfense », a expliqué le CEMM. « Il faut donc bâtir des firewalls, des protections, des barrières et des dispositifs de surveillance. C’est ce que nous sommes en train de faire », a-t-il ajouté.

Mais plus généralement, il importe que la Marine nationale soit à la pointe de l’innovation. Au regard du durcissement des opérations navales, c’est un impératif défini par le plan Mecator, lancé cet été.

« Au large de la Syrie et en Atlantique Nord, nous n’avons plus une liberté d’action totale comme nous avons pu l’avoir au cours des vingt dernières années, notamment parce que nous avons en face de nous des armes, des radars et des capacités de brouillage de dernière génération qui rivalisent avec nos propres moyens à la fois en quantité et en qualité », a relevé l’amiral Prazuck, pour qui la France toutefois la « chance d’avoir une base industrielle et technologique de défense de très grande qualité. »

Mais l’important, à ses yeux, est de « faire un effort technologique pour reprendre l’ascendant » et cela « impose d’intégrer plus vite que nos compétiteurs des technologies plus performantes. »

Les progrès technologiques accomplis par les forces navales susceptibles de rivaliser avec la Marine nationale ne sont pas les seuls en cause. Il s’agit également d’apporter une réponse aux capacités dites « nivelantes », mises en oeuvre par des acteurs non-étatiques.

« Aujourd’hui, par exemple, dans le détroit de Bab-el-Mandeb, des acteurs non-étatiques sans budget, ni commission de la Défense, sans direction générale de l’armement (DGA) ou sans base industrielle et technologique de défense (BITD), sont capables de concevoir et d’exécuter des attaques contre des bâtiments de haute mer – qui naviguent à grande vitesse loin des côtes – avec des drones de surface chargés d’explosifs et téléguidés », a observé le CEMM.

Aussi, a-t-il estimé, « nous devons être capables, nous aussi, d’intégrer plus rapidement les dernières avancées technologiques souvent issues du monde civil » et « de tester les matériels en boucle plus courte, faire grandir les innovations, accepter l’échec – car dans l’innovation, il y en aura toujours. » D’où la création, a annoncé l’amiral Prazuck, d’un « Navy Lab » qui permettra de « proposer de nouvelles applications que nous pourrons intégrer sur nos bateaux ». Le plan Mercator évoque l’intelligence artificielle, l’automatisation du traitement des données de masse, l’utilisation de capteurs interconnectés, l’établissement, à distance, d’une situation tactique (SITAC) à l’échelle mondiale, et la maîtrise de la technologie d’écoute Ultra Basse Fréquence (UBF).

« Ces innovations technologiques ne s’appliquent pas qu’au domaine opérationnel. Elles doivent aussi simplifier la vie du marin, au service notamment de la maintenance prédictive, pour laquelle il faut être capable d’enregistrer tous les paramètres d’un moteur pour savoir comment intervenir à l’avance, avant qu’il ne tombe en panne. Ces technologies doivent aussi nous permettre de mieux assurer l’administration des marins », a encore fait valoir le CEMM.

Par ailleurs, l’amiral Prazuck a eu un mot sur l’opération Hamilton, au cours de laquelle deux frégates multimissions ne furent pas en mesure de tirer leurs missiles de croisière navals [MdCN]. Pour rappel, menée dans la nuit du 13 au 14 avril dernier par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, cette dernière visa la programme chimique syrien, après une attaque attribué à Damas contre la localité de Douma, dans la Gouhta orientale.

Ainsi, sans entrer dans les détails, le CEMM a fait état d’éléments « techniques », sur lesquels il a été « demandé aux industriels d’investiguer ». Et d’indiquer que « les points précis ont été identifiés » et que « les mesures d’amélioration du système sont prises – et le seront pour l’ensemble des bateaux. » Mais pas seulement.

« Vous vous souvenez de toutes les déclarations qui ont précédé l’opération Hamilton, notamment sur les réactions qu’elle pourrait déclencher, l’interception des missiles voire l’engagement des tireurs de missiles. […] Même à 1.000 kilomètres des côtes, on n’est plus, en mer, à l’abri de toute réaction. Il faut prévoir des contre-attaques et une possible réaction d’adversaires. Dans le plan Mercator, c’est la marine de combat. Il faut être capable de tirer des missiles de croisière et, dans le même moment, d’employer une panoplie anti-missiles », a expliqué l’amiral Prazuck.

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