Malgré les appels de la France et de l’ONU, la Force conjointe du G5 Sahel n’a toujours pas les moyens d’être opérationnelle

Il y a peu plus d’un an, la Force conjointe du G5 Sahel [FC-G5S] terminait sa première opération – appelée « Haw Bi » – dans la région dite des trois frontières, située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Cela permit de mesurer les progrès qu’elle avait encore à accomplir pour être pleinement opérationnelle, et donc efficace. Ainsi, des lacunes – attendues, cela dit – dans les domaines de la logistique et des transmissions furent constatées.

Pour y remédier, ainsi que pour permettre à 5.000 soldats de cette FC-G5S de se déployer comme prévu selon trois fuseaux (ouest, centre, est), il fallait trouver les financements nécessaires. Soit environ 420 millions d’euros. D’où la tenue de deux conférences (l’une à la Celle-Saint-Cloud en décembre 2017, l’autre à Bruxelles, en février 2018) pour réunir des promesses de dons. Au cours de ces dernières, des pays s’engagèrent à financièrement. Seulement, les fonds tardent toujours à être débloqués, malgré plusieurs appels des pays concernés [Mali, Niger, Tchad, Mauritanie et Burkina Faso] et des Nations unies.

Ainsi, en mai dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a salué la « détermination continue des pays du G Sahel à unir leurs efforts pour lutter contre l’impact du terrorisme et de la criminalité transnationale organisée dans la région du Sahel », tout en appelant les bailleurs à honorer leurs promesses de dons en vue « d’accélérer l’opérationnalisation complète et effective de la Force sans plus tarder. » Un mois plus tard, le président Macron avait aussi pressé les donateurs à débloquer les fonds promis.

Depuis, et malgré les succès remportés sur le terrain par la force française Barkhane, le Burkina Faso risque d’être déstabilisé par les groupes terroristes, en particulier dans le nord et l’est. Ce qui laisse craindre une contagion à d’autres pays qui étaient jusque-là épargnés par le phénomène jihadiste. Le Niger connaît lui aussi des soucis, à la fois contre les organisations originaires du Mali et celles venues du Nigéria [Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest, ndlr]. Et les fonds promis n’ont toujours pas été totalement débloqués.

« Plus que jamais, la Force conjointe du G5 Sahel du soutien de la communauté internationale », a prévenu Jean-Pierre Lacroix, le chef des opérations de maintien de la paix des Nations unies, le 15 novembre. « Malgré des progrès remarquables dans le domaine de la génération de troupes, la force n’a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationnelle », a-t-il ajouté, avant d’exhorter les « donateurs à honorer leurs engagements et à fournir le soutien financier dont la force commune a tant besoin. »

Selon M. Lacroix, « les pénuries majeures d’équipements, l’insuffisance des infrastructures et le manque de bases opérationnelles sécurisées continuent de retarder la pleine opérationnalisation de la force ». Et, à ce jour, « près de 50% des contributions annoncées n’ont pas été réservées, et encore moins décaissées ». Et cela, a-t-il alerté, alors que « la situation sécuritaire au Sahel reste extrêmement préoccupante », avec des « tendances récentes inquiétantes », notamment au Niger et au Burkina.

La France, qui soutient la FC-G5S, a affirmé, par la voix de son ambassadeur aux Nations unies, François Delattre, qu’il est de la « responsabilité de la communauté internationale » d’apporter aux membres du G5 Sahel « un soutien efficace et à la hauteur des enjeux », ce qui passe « en premier lieu par la matérialisation sans délai des contributions annoncées. »

« Nombre d’entre elles ont déjà été engagées ou sont en cours de contractualisation, grâce au rôle central joué par l’Union européenne. Il est essentiel que les pays qui n’ont pas encore fléché leurs contributions le fassent urgemment. Il est également déterminant que des ressources additionnelles soient apportées pour financer l’accord technique qui permet à la MINUSMA [Mission des Nations unies au Mali, ndlr] d’apporter un soutien logistique et opérationnel sur le terrain, ce qui n’est pas le cas des contributions bilatérales », a ajouté M. Delattre.

Reste à voir pourquoi ces promesses de dons tardent à se concrétiser… Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer la réticence des pays donateurs.

Le concept de cette FC-G5S peut leur poser un problème, étant donné qu’il est inspiré de celui de la Force multinationale mixte (FMM), qui, mise en place dans la région du Lac Tchad pour contrer les factions issues du groupe nigérian Boko Haram, n’a pas su garder le bénéfice des gains qu’elle avait acquis, si l’on en juge par la recrudescence actuelles des attaques jihadistes.

En outre, il peut aussi y avoir des doutes sur les qualités opérationneles des troupes engagées par le G5 Sahel, surtout après l’attaque contre le quartier général de la FC-G5S, à Sévaré, en juin dernier. Ce qui a d’ailleurs motivé le changement de son chef, le général malien Didier Dacko s’étant effacé devant le général mauritanien Hanena Ould Sidi.

Enfin, sans doute qu’il y a aussi des craintes de voir cette manne financière de 420 millions d’euros alimenter la corruption.

« Rien ne dit que cet afflux d’argent ne sera pas un accélérateur de la corruption qui a miné les armées des pays du G5 au cours des années passées, exacerbé les divisions au sein de celles-ci et entre les pays de la région, et attisé les manipulations parmi des élites politiques intéressées par la captation d’une partie de cette manne soudaine », avaint ainsi estimé l’International Crisis Group, dans une étude diffusée en décembre 2017.

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