Les Français veulent-ils vraiment abandonner la dissuasion nucléaire?

Selon un sondage réalisé par l’IFOP à la demande du « Mouvement de la Paix » et publié, ce 5 juillet, par le quotidien La Croix, 67% des personnes interrogées (et elles ont été 1001 à l’avoir été, choisie dans un « échantillon représentatif ») se disent favorables à ce que la France s’engage dans la ratification du traité sur l’interdiction des armées nucléaires, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en juillet 2017.

Or, ratifier ce traité reviendrait de facto à renoncer à la dissuasion nucléaire, c’est à dire à « l’assurance-vie de la Nation ». C’est d’ailleurs pour cette raison que la France, mais aussi les autres puissances nucléaires, ainsi que l’ensemble des pays membres de l’Otan, ont jusqu’à présent refusé de signer ce traité.

Cependant, le résultat de ce sondage est surprenant. Ainsi, régulièrement, le ministère des Armées commande aussi des enquêtes d’opinion. Et, l’adhésion à la dissuasion nucléaire ne s’est jamais démentie. En octobre 2017, 61% des Français considéraient ainsi que « la possession de l’arme nucléaire » était « un point fort de nos armées » [ce sondage avait été aussi réalisé par l’IFOP, ndlr].

Les chiffres du « baromètre » les « Français et la Défense », publiés quelques semaines plus tôt, ne disaient pas autre chose. « En 2017, 72% des Français estiment que l’arme nucléaire française est crédible », s’était félicité le ministère des Armées. « Par ailleurs une large majorité de nos concitoyens [60%, ndlr] souhaite que nos capacités actuelles soient maintenues et modernisées pour en préserver la crédibilité », avait-il souligné.

Depuis que cet indicateur existe (1985), jamais la dissuasion nucléaire n’avait obtenu de si bonnes opinions parmi les personnes interrogées. Et la seule fois où il fut constaté une forte hausse des réponses favorabes à une réduction du format des forces stratégiques coïncida avec l’incident de la centrale de Fukushima (Japon), qui n’avait rien à voir avec le nucléaire militaire. En 2017, moins de 10% des sondés ont dit souhaiter une telle mesure.

Aussi, le sondage commandé par le « Mouvement de la Paix » prend le contrepied de ceux publiés par le ministère des Armées depuis bientôt 33 ans. Faut-il en déduire définitivement que « les Français sont contre le nucléaire militaire », comme l’a fait le quotidien La Croix? Pas si sûr…

Car cette étude présente un paradoxe : si 67% des sondés veulent que la France ratifie le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, 56% se disent hostiles à la modernisation et au renouvellement des forces stratégiques françaises. Or, ces deux variables auraient dû être logiquement égales.

Entre les pro et anti-nucléaires, « 23% attendent en même temps que la France s’engage dans la ratification du traité d’interdiction des armes nucléaires et qu’elle renouvelle et modernise les siennes », précise La Croix.

« En apparence incohérente, cette position ‘réaliste’ peut s’interpréter comme le souhait de l’interdiction du nucléaire militaire dans l’absolu, mais la volonté, en attendant que toutes les autres puissances nucléaires s’y engagent, que la France conserve à jour son propre arsenal », analyse le quotidien.

En tout cas, le « Mouvement de la Paix » entend s’appuyer sur les résultats de ce sondage pour organiser, à l’automne, une journée de mobilisation sur les « lieux du crime », c’est à dire « là où l’État français modernise et renouvelle l’arsenal atomique meurtrier. » Il est vrai qu’il est plus facile de protester en France (qui possède, au passage, 300 têtes nucléaires) que dans les rues de Pékin (280 têtes) ou de Moscou (7.000 têtes).

En attendant, il reste à connaître les résultats de la prochaine enquête d’opinion commandée par le ministère des Armées. Et il n’est pas certain qu’ils soient les mêmes que ceux du sondage réalisé à la demande du mouvement pacifiste.

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