Le retour du service national pourrait être un enjeu de la prochaine élection présidentielle

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En 1995, un jeune homme devant faire ses « trois jours » (qui duraient en realité qu’une demi-journée) trouvait le centre de sélection d’une ville de province où il était convoqué en chantier, avec l’installation d’un portail commandé à distance, la mise en place d’un sas de sécurité au poste de garde et la construction d’un bâtiment devant abriter des cabines dites « Espace » dans lesquelles ceux qui le suivraient dans les mois à venir passeraient leurs tests. Au des travaux, il pouvait alors raisonnablement penser que la fin de la conscription n’était pas pour demain.

Et cela d’autant plus que, un an plus tôt, le Livre blanc sur la Défense estimait que « la conscription, par le potentiel qu’elle recèle, est et sera en mesure de fournir les ressources humaines qui rendront possible le format des armées permettant de faire face, avec l’ensemble de ces moyens, aux risques du futur. » Qui plus est, le texte soulignait également son « rôle important pour la défense du territoire » et sa contribution « à la lutte contre les exclusions ».

D’ailleurs, le ministre de la Défense, qui était à l’époque François Léotard (UDF), avait enfoncé le clou. « Je crois que, dans un pays actuellement troublé dans son identité, doutant d’une certaine manière de son Histoire, de sa cohésion et de sa pérennité, supprimer ce qui, après l’école, reste un fondement d’intégration sociale et nationale, serait commettre une imprudence. L’armée de conscription c’est aussi un outil civique » avait-il déclaré, en qualifiant le service militaire « d’impôt sur le temps ».

En matière d’impôt, le programme de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle prévoyait d’alléger la fiscalité. Et il ne prévoyait pas la fin du Service national. Au plus était-il promis une « réflexion » sur son évolution et sa durée. Une fois à l’Élysée, l’ancien patron du RPR surprit tout le monde en annonçant son intention de suspendre la conscription ainsi qu’un « grand débat » sur ce sujet.

Ce grand débat promis n’eut pas lieu, ce que déplora le rapport d’information « La France et son service », dit « rapport Seguin ». Et tout le monde accepta la fin annoncée du Service national, dont beaucoup, à l’époque, estimaient qu’il était une « perte de temps ». Cela dit, la suspension de la conscription ne manquait pas d’arguments : l’URSS venait de disparaître et les engagements militaires allaient être davantage tournés vers l’extérieur. En clair, il fallait une armée professionnelle dans laquelle les appelés du contingent n’avaient plus leur place. Quant au « creuset républicain », il était mis à mal par les dispenses, les exemptions, voire même les formes de service civil.

Quoi qu’il en soit, la décision prise, les armées ont dû se restructurer. Des dizaines de régiment roulèrent leurs étendards et drapeaux tandis que les collectivités locales s’emparèrent des casernes devenues vides souvent pour le franc symbolique. La réduction du format des forces (doux euphémisme) continua par la suite, avec, en 2008, la dissolution de nombreuses unités et la disparition d’autant de garnisons.

Et puis, vinrent les attentats de 2015. Peu avant, certains responsables politiques, inquiets de la disparition de ce creuset républicain qu’était le service militaire, avaient parlé de rétablir la conscription, sans toutefois donner de suite. Mais désormais, ils sont désormais nombreux à vouloir, sous une forme ou une autre, à la remettre au goût du jour.

À droite, sur les 13 candidats déclarés de la primaire, seulement 3 (Bruno Le Maire, Alain Juppé, François Fillon) ont clairement fait connaître leur opposition au retour de la conscription. Pour les autres, du moins ceux qui ont exprimé leur point de vue sur ce sujet, il y a des variantes. Ainsi, Hervé Mariton a parlé d’un service civique obligatoire (excluant donc tout retour sous les drapeaux).

Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, très au fait des questions de défense, elle s’est dit favorable à un service militaire ou civique obligatoire. Même chose pour Jean-François Copé. Autre candidat, Jacques Myard n’est pas hostile, sur le fond, au retour de la conscription (cela « mérite un examen attentif », a-t-il dit) mais il préférerait une garde nationale constituée de volontaires de 18 à 40 ans pour des missions de surveillance.

Dernier candidat déclaré en date, Nicolas Sarkozy met en avant l’idée qui, présente dans le programme du parti qu’il dirigeait jusqu’à présent, consisterait à rendre obligatoire un service militaire adapté pour les 100.000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme.

Enfin, il y a les candidats qui sont franchement pour un retour de la conscription, comme Henri Guaino, Nadine Morano (du moins l’a-t-elle laissé entendre) ou encore Jean-Frédéric Poisson. « Ce service comportera une forte composante militaire, dans la seule limite des capacités d’accueil des armées. Il aura également pour mérite de restaurer les conditions d’un brassage social, si nécessaire dans un pays divisé, de constituer un rite de passage et un moyen d’accès à l’autonomie, et enfin d’apprentissage de la discipline », a toutefois précisé ce dernier.

À gauche, parmi les candidats déclarés, Arnaud Montebourg a fait parler de lui, le week-end dernier, en proposant le rétablissement d’un « service national, civil, et militaire, égalitaire et universel (…) obligatoire pour une durée de six mois ». Même chose pour Marie-Noëlle Lienemann, qui a signé en ce sens une pétition en ce sens lancée il y a quelques mois par une députée proche de Jean-Pierre Chevènement.

Quant à Jean-Luc Mélenchon, il ne parle pas de service national obligatoire mais souhaite que « tous les jeunes Français, et toutes les jeunes Françaises soient appelés à participer à ce qu’on appelera soit une garde nationale, soit une garde républicaine ». Ce qui revient un peu au même.

Au Front national, le retour de la conscription est aussi à l’ordre du jour. Sa présidente (et candidate en 2017), a en effet proposé l’instauration d’un « service à la nation militaire et obligatoire » de trois mois, susceptible de conditionner l’obtention de prestations sociales.

Tout cela est bien joli et flatte l’électorat qui, à une large majorité (plus de 80%) se dit favorable au retour une conscription qui n’avait pas forcément bonne presse au moment de sa suspension. Seulement, aucun des candidats qui disent vouloir restaurer le service national ne précise comment il s’y prendrait.

Une telle mesure a évidemment un coût – environ 5 milliards d’euros par an pour l’estimation la plus haute – et les structures qui existaient du temps de la conscription ont disparu. Il faudrait donc recréer une chaîne du service national, ce qui n’est pas le plus difficile, remettre en place des centres de sélection, équiper les conscrits (il est question d’accueillir 800.000 jeunes par an) et disposer de l’encadrement nécessaire en puisant nécessairement dans les unités opérationnelles qui ont besoin de leurs officiers et sous-officiers les plus expérimentés. Et les armées n’ont plus les casernes et les bases indispensables pour mettre en oeuvre un tel projet (à moins de les racheter aux collectivités auxquelles elles ont été vendues?).

Bref, si séduisant soit-il, le retour de la conscription ne paraît pas très réaliste au regard des conditions actuelles : il fallait y penser avant sa suspension, car maintenant, il est trop tard. À moins que des réponses soient apportées lors des débats de la prochaine campagne électorale.

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