Général de Villiers : « La débrouillardise à la française a atteint ses limites »

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Dans le numéro 11 de la revue « Fantassins », publié au printemps 2002 par l’École d’application de l’Infanterie (devenue depuis « École de l’Infanterie), des stagiaires du cours des capitaines exprimèrent leur exaspération après s’être vus répondre un « démerdez-vous! » de la part d’un général qu’ils eurent la délicatesse de ne pas nommer.

« Allez asséner votre ‘démerdez-vous’ à un pilote sans engin, à un tireur de Milan (antichar) sans missile, à un chef de groupe sans groupe, à un grenadier-voltigeur qui enchaîne tant de Statère [ndlr, plan militaire de protection des euros lors de la mise en place de la monnaie unique européenne], de Polmar, de Vigipirate qu’il n’a pas tiré une cartouche depuis un an! », s’étaient-ils insurgés.

Et ces capitaines d’ajouter : « Nous sommes privés de tout, ou presque, pour remplir nos missions. (…) Il est maintenant devenu insupportable d’assister, impuissants, à l’ironie des politiques et des journalistes, sans qu’à ce jour un chef militaire ait pris la parole pour clamer haut et fort l’indignation de l’institution militaire, quitte à laisser ses étoiles sur le bureau. »

Mettre ses étoiles sur le bureau ne changerait pas grand chose : il y aura toujours un successeur à l’échine plus souple et moins enclin à faire un coup d’éclat… En revanche, faire preuve de franchise quand l’occasion se présente paraît la voie la plus efficace pour faire passer des messages.

Plus de 13 ans plus tard, suite aux attentats de Paris, le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), a fait passer un message identique – mais avec la forme – à celui exprimé par ces capitaines alors qu’il était entendu (et même applaudi) par la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, pour aborder les opérations en cours contre Daesh (EI ou État islamique).

Ainsi, pour le CEMA, dans cette lutte contre le terrorisme qui vise plus particulièrement à détruire Daesh, il faut veiller à 4 points : avoir une approche globale car « gagner la guerre ne suffit pas, il faut gagner la paix », respecter le droit et l’éthique afin de se « garder de tomber dans un mimétisme où nous perdrions notre légitimité », en sachant qu’une « victime innocente crée mécaniquement plusieurs nouveaux combattants avec la rage au ventre », entretenir et développer l’esprit de défense, une « valeur collective », et, enfin, faire en sorte qu’il y ait une « adéquation entre les moyens qui sont donnés aux armées et les missions qui leur sont confiées. »

« D’abord, le temps court, qui est celui du projet de loi de finances (PLF) 2016, qui devra intégrer les dernières décisions du chef de l’État. L’adéquation missions-moyens, qui a présidé à l’actualisation de la LPM, doit continuer à guider ce nouveau PLF, en intégrant notamment les dépenses supplémentaires liées à cette guerre. Les discussions sont en cours et l’arbitrage est imminent au sommet de l’État », a fait valoir le général de Villiers.

S’agissant du « temps long », ce dernier a rappelé l’objectif, confirmé lors du somment de l’Otan de Newport, en septembre 2014, des « 2 % du PIB consacrés à notre défense à horizon de 2025, contre 1,7 % aujourd’hui ».

Et le général de Villiers de souligner que « les Français dépensent plus de 45 milliards d’euros chaque année pour leurs assurances – ce qui est presque 50 % de plus que le budget de la Défense, qui est pourtant la meilleure assurance de la Nation. » En clair, on râle toujours quand il faut payer ses assurances mais on est content de l’avoir fait quand on en a besoin…

Interrogé sur les équipements utilisés par les forces armées, le général de Villiers a une nouvelle fois répété que « nos ravitailleurs ont plus de cinquante ans, nos véhicules de l’avant blindés (VAB) trente ans en moyenne et certains de nos bateaux vingt-cinq à trente ans. » Aussi, il est « temps de les renouveler » et « c’est tout l’enjeu de la LPM [ndlr, Loi de programmation militaire] et de son actualisation », a-t-il dit, après avoir insisté sur le fait qu’il fallait « rester vigilants sur les moyens donnés à nos armées. »

« Je souhaiterais bien sûr que cela aille plus vite, surtout compte tenu de la dureté de nos engagements », a dit le CEMA, même si, a-t-il admis, les « dernières décisions budgétaires » votées par le Parlement « constituent un effort important ».

Mais ce qui importe le plus au général de Villiers, ce n’est pas d’avoir « un débat stérile sur la demande de moyens supplémentaires » mais de disposer des « moyens permettant d’accomplir les missions qui (lui) sont confiées. »

Aussi, a-t-il conclu sur cette question, « la débrouillardise à la française a en effet atteint ses limites. Si on me donne une mission supplémentaire, je demande les moyens correspondants ou bien j’en annule une autre. »

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