Quand l’amiral Guillaud était opposé à la vente de deux BPC « Mistral » à la Russie

Être entre le marteau et l’enclume n’est jamais une position confortable. Pourtant, la France s’y est mise avec la vente à la Russie de deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral pour 1,2 milliard d’euros. Et afin d’arracher ce contrat, le premier que Moscou était susceptible à un pays appartenant à l’Otan, toujours vu comme une menace dans sa doctrine militaire, Paris a même consenti des transferts de technologies important, notamment au niveau des équipements électroniques (système de combat Senit).

Seulement, depuis, il y a eu les événements en Ukraine, avec l’annexion de la Crimée, en mars dernier. Or, la France a des alliés, que ce soit au sein de l’Alliance atlantique (qu’elle n’a jamais quittée, hormis le commandement militaire intégré qu’elle a retrouvé en 2009) ou de l’Union européenne. Et ces derniers sont quasiment tous opposés à la livraison des deux navires à la marine russe. Y compris l’Allemagne, qui a pourtant d’importants intérêts économiques avec la Russie.

Pour autant, la France a obtenu que les contrats d’armements déjà signés avec Moscou ne soient pas concernés par les dernières sanctions décidées par l’Union européenne à l’égard de le Russie. Mais la pression sur Paris n’en est plus que forte.

Pour le moment, il n’est pas question, pour les autorités françaises, de remettre en cause la livraison du premier BPC, le Vladivostok, qui doit avoir lieu en octobre prochain. Et cela pour une raison simple : une telle décision donnerait un mauvais signal pour d’autres contrats d’armements. En effet, quelle valeur aurait la signature de la France aux yeux de clients potentiels? Et l’on pense à la vente de 126 avions Rafale à l’Inde.

« Soit on livre les Mistral et on nous accusera de complicités avec Poutine. Soit on ne livre pas et on dira que la France a plié devant les ordres des Américains », a résumé un haut responsable français dans les colonnes du Nouvel Observateur, qui publie, dans son dernier numéro, une enquête de Vincent Jauvert sur les coulisses de cette vente.

Ainsi, l’on y apprend que certains responsables militaires français y étaient opposés, comme le vice-amiral Païtard, alors directeur du cabinet militaire d’Hervé Morin, le ministre de la Défense à l’époque des négociations. Ou encore comme l’amiral Guillaud, qui était alors chef d’état-major particulier du président de la République avant de devenir, en février 2010, le chef d’état-major des armées (CEMA).

Quand la Russie a marqué leur intérêts pour les BPC français, elle venait, un an plus tôt, d’intervenir militairement contre la Géorgie, pays qui perdit alors le contrôle définitif de deux régions séparatistes autonomes, à savoir l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. En outre, Moscou avait donné quelques signaux peu encourageants, comme la décision de suspendre le traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE). Sans oublier les tensions avec l’Estonie, en 2007, et les cyberattaques dont cet État balte fut la cible.

Pourtant, le président Sarkozy a considéré qu’il fallait se rapprocher avec la Russie, estimant que, compte-tenu son évolution démographique, ce n’était « pas un pays qui est spontanément à une agressivité militaire avec ses voisins ». D’où son accord pour la vente des deux BPC. Une position partagée, lors d’un Conseil de défense tenu en septembre 2009 sur ce sujet,  par Hervé Morin, pour qui il fallait tourner la page de la Guerre froide et faire tourner les chantiers navals STX de Saint-Nazaire. Toujours selon ce dernier, cette vente n’allait de toute façon pas bouleverser l’équilibre stratégique. Même chose pour le Premier ministre, François Fillon…

Sauf que l’amiral Édouard Guillaud a émis quelques réserves, lors de Conseil de défense. « Oui, le destin de l’Europe se joue en partie par la Russie. Mais que sait-on de l’avenir de ce pays? Comment aura-t-il évolué dans quatre ans, quand on devra livrer ce ‘bijou’ de Ia technologie militaire française? N’est-ce pas irresponsable de prendre un tel risque pour une nation comme la notre, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU? », a-t-il fait valoir, selon le Nouvel Observateur.

Et toujours l’amiral Guillaud d’ajouter : « Quel signal lancerions-nous a nos amis est-européens avec lesquels nous voulons construire une vraie Europe de la défense et qui considèrent toujours la Russie comme leur ennemi principal? Enfin, oui, le chantier STX est en grande difficulté, mais pourquoi ne pas lui passer commande d’un Mistral pour la marine française plus tôt que prévu dans la loi de programmation militaire? ». Sur ce dernier point, le troisième BPC de la Marine nationale (le Dixmude) venait d’être commandé dans le cadre du plan gouvernemental de relance de l’économie… Pas question, donc, pour François Fillon de débloquer des crédits pour un quatrième : trop cher pour les caisses de l’État…

Maintenant, il n’y a pas de bonne solution. L’enjeu est de trouver la moins mauvaise, sachant que, en cas de non livraison des deux BPC, il faudrait rembourser 800 millions d’euros à la Russie. Et c’est sans compter, rappelle le Nouvel Obersateur, sur les pénalités, qui s’éleveraient à 251 millions d’euros.

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