Danger(s) sur l’Irak

L’Irak n’a jamais vendu autant de pétrole depuis 30 ans. En août dernier, les exportations irakiennes d’or noir ont atteint 2,565 millions de barils par jour (mbj), ce qui a rapporté  plus de 8,4 milliards de dollars dans les caisses du pays, qui dispose de réserves d’hydrocarbures parmi les plus élevées du monde. Peut-on dire que tout va donc pour le mieux? Pas vraiment…

1- Affilié à al-Qaïda, l’Etat islamique d’Irak (ISI) reste plus actif que jamais

Depuis le départ des troupes américaines, en décembre 2011, l’Etat islamique d’Irak a intensifié ses actions en menant plusieurs attaques simultanées particulièrement meurtrières.

Pendant le dernier ramadan (21 juillet-18 août), l’organisation a revendiqué pas moins de 131 attaques ayant visé les forces de sécurité irakiennes et les milices anti-al-Qaïda des Sahwa (Le réveil). Au moins 400 personnes y ont laissé la vie. Pour l’ISI, ces attentats ont été perpétrés dans le cadre de son opération « Abattre les murs ».

« La priorité est de libérer les prisonniers musulmans où qu’ils se trouvent, puis de traquer et éliminer les juges, les procureurs et ceux qui les protègent » a ainsi expliqué son chef, dans un message relayé par un site jihadiste en juillet, lequel a été le plus meurtrier que le pays a connu en deux ans.

L’ISI a également revendiqué la vague d’attentats qui ensanglanté l’Irak, le 9 septembre, en faisant 115 tués et 500 blessés. L’une des attaques a d’ailleurs visé le consulat de France à Nassiriya. Dans son message, l’organisation a fait valoir qu’il s’agissait d’une « réponse à la campagne de liquidation et de torture des prisonniers sunnites incarcérés dans les prisons (chiites). »

2- Un climat politique détestable

Coïncidence ou pas, toujours est-il que cette dernière série d’attentats a pratiquement eu lieu au même moment où la justice irakienne condamnait à mort l’ancien vice-président (2005-2011) Tarek al-Hachémi pour avoir commandité les meurtres d’une avocate et du général Talib Belassim.

Pour les autorités de Bagdad, les attentats commis le 9 septembre seraient le fait de groupes proches de cet ancien vice-président. C’est ce qu’a indiqué, en tout cas, lee gouverneur de la province de Zi Qar, Taleb al-Hassan. « Nous avons arrêté 18 personnes qui ont préparé les attentats à la bombe à Nassiriya. Elles appartiennent au mouvement Tajdid (Le renouveau) dirigé par Tarek al-Hachémi » a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse, tenue avec le Denys Gauer, l’ambassadeur de France en Irak

Un « haut responsable » des services de sécurité irakiens interrogé par l’AFP va même encore plus loin : les attentats perpétrés à Bagdad et même dans tout l’Irak sont le fait de « groupes affiliés à Tarek al-Hachémi. » Exit l’Etat islamique d’Irak?

Les ennuis de cet ancien vice-président, qui est l’un des principaux responsables politiques sunnites irakiens, ont probablement leur origine dans l’opposition qu’il a affichée à l’égard de l’actuel Premier ministre, le chiite Nouri al-Maliki, accusé par ses détracteurs de dérives dictatoriales. Et pour ne rien arranger, Tarek al-Hachémi est aussi membre d’Iraqiya, un groupe parlementaire qui mena la fronde contre le chef du gouvernement.

En attendant, Tarek al-Hachémi a trouvé refuge en Turquie. Et il n’est pas question pour Ankara d’envisager de le livrer à la justice irakienne. « M. Hachémi a perdu plusieurs membres de sa famille (dans le conflit en Irak), il n’aurait jamais pu orchestrer de tels crime » a ainsi affirmé Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc.

Cette affaire risque donc de compliquer davantage les relations entre les deux pays , déjà rendue difficiles au sujet du Kurdistan et pourrait, selon le président irakien Jalal Talabani, « s’avérer être un facteur susceptible de déstabiliser les efforts fournis pour parvenir à la réconciliation nationale. »

3- La cas du Kurdistan irakien

Aux prises avec une intensification des actions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la Turquie bombarde régulièrement les bases arrières que ce mouvement autonomiste kurde a établies dans le Kurdistan irakien. Seulement, l’affaire concernant Tarek al-Hachémi, auquel Ankara a offert asile et protection, a amené Bagdad à durcir le ton contre ces frappes de l’aviation turque.

« Nous mettons en garde la Turquie contre toute violation de l’espace aérien ou du territoire irakiens » avait ainsi indiqué, en juillet, le porte-parole du gouvernement irakien, lequel « a demandé au ministre des Affaires étrangères de porter plainte devant le Conseil de sécurité. Quoi qu’il en soit, cette mise en garde n’a pas perturbé l’armée turque : du 5 au 9 septembre, elle a réalisé 14 opérations aériennes au Kurdistan irakien…

Par ailleurs, autre sujet de contentieux, Bagdad avait également sommé, à la même époque, Ankara de refuser les exportations de pétrole en provenance du Kurdistan irakien, jugées illégales, la question des royalties tirées de la vente d’hydrocarbures étant un autre sujet épineux pour l’Irak.

Bien qu’étant une région autonome, le Kurdistan irakien, président par Massoud Barzani, dépend économiquement du gouvernement irakien, lequel lui verse 17% du budget national.

Pour amoindrir cette dépendance, le Kurdistan irakien a décidé de développer son secteur pétrolier, en confiant des contrats d’exploitation à des compagnies étrangères, sans l’aval de Bagdad. En jeu : une éventuelle indépendance de la région, perspective que refuse le Premier ministre irakien.

Ce dernier n’a d’ailleurs pas mâché ses mots, en juin dernier, à propos d’un contrat passé entre ExxonMobil et le Kurdistan irakien, en affirmant, selon son porte-parole, que cette « initiative très dangereuse pourrait provoquer une guerre et mettre fin à l’unité de l’Irak. » Ce genre de propos expliquent la raison pour laquelle Massoud Barzani voit d’un très mauvais oeil l’acquisition par Bagdad auprès des Etats-Unis d’avions F-16 IQ. Ce dernier craint en effet qu’ils puissent être utilisés contre la région qu’il préside.

4- Le conflit syrien

La crise syrienne ne manque pas d’avoir des conséquences en Irak. En premier lieu, les jihadistes qui passaient par la Syrie pour mener leur « guerre sainte » en territoire irakien prennent désormais le chemin inverse.

« Aujourd’hui, l’Irak a peur des débordements du conflit. Nous redoutons qu’avec le chaos qui s’installe, la Syrie devienne une nouvelle base pour al-Qaida », expliquait en juillet dernier, au Figaro, le ministre des Affaires étrangères irakien, Hoshyar Zebari.

Qui plus est, la situation se complique davantage quand l’on prend en compte les luttes d’influence entre les chiites (Iran, alaouites syriens, Irak) et les sunnites (Etats du Golfe). Pour Bagdad, il n’est pas question qu’un pouvoir sunnite – dominé par les Frères musulmans – s’installe à Damas. « Il ne faut pas s’illusionner: en Syrie, l’alternative se fera autour des Frères musulmans. Nous nous sentons parfois encerclés, surtout quand nous voyons les pays qui les soutiennent: le Qatar et l’Arabie saoudite, qui ne sont pas des modèles de démocratie » expliquait encore Hoshyar Zebari au même quotidien.

5- La chute de Saddam Hussein a renforcé la proximité avec l’Iran

Bien que la population irakienne est majoritairement chiite, les experts américains ont sous-estimé (par naïveté ou mauvais calcul?) un éventuel rapprochement entre Bagdad et Téhéran. Cette proximité se retrouve sur le dossier syrien.

L’Iran a étendu son influence en Irak, grâce notamment aux milices chiites armées et entraînées par les gardiens de la Révolution iraniens au cours de ces dernières années. Est-ce pour autant que Bagdad est désormais un satellite de Téhéran? Le chef d’état-major interarmées américain, le général Martin Dempsey, a écarté cette idée, lors d’une rencontre avec le Premier ministre irakien, en août dernier.

Seulement, certains pensent, aux Etats-Unis, que l’Irak aide son voisin à contourner les sanctions internationales prises à l’égard de ce dernier pour ses activités nucléaires. En juillet, l’administration Obama avait pointé la banque irakienne Elaf Ismaic Bank en affirmant qu’elle avait effectué des opérations douteuses avec ses homologues iraniennes.

Et selon des responsables américains qui se sont confiés au New York Times, si certains dirigeants irakiens ferment les yeux sur ces trafics, d’autres en revanche en tirent profit, à commencer par… Nouri al-Maliki. Les échanges commerciaux entre l’Irak et l’Iran ont s’élèvent à 11 milliards de dollars en 2011, d’où les soupçons que Bagdad offre à Téhéran un accès au système financier international. Toutefois, ces accusations ont été réfutées par le gouvernement irakien.

Comme l’ont été celles formulées par trois sénateurs américains (John McCain, Lindsey Graham et Joe Lieberman) selon lesquelles l’Irak servirait de point de transit pour des armes iraniennes à destination de la Syrie. Ce à quoi le ministère irakien des Affaires étrangères a répondu que, « selon Téhéran », ces vols ne servent qu’à transporter « du matériel humanitaire. »

Aussi, dans le cas où Israël lancerait unilatéralement une opération militaire contre les sites nucléaires iraniens, l’Irak serait, dans une certaine mesure, également concerné. Quelle attitude adopteront ses dirigeants (chiites) à l’égard des Etats-Unis, qui fournisse à leurs forces armées de l’armement? Comment réagiront les autres communautés? Le Kurdistan irakien fera-t-il sécession?

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