La Turquie envoie Israël se faire voir chez les… Grecs

En raison de sa situation géographique, la Turquie doit faire face à plusieurs défis sécuritaires. Ainsi, les détroits du Bosphore et des Dardanelles constituent les principaux débouchés des hydrocarbures produits en Asie centrale, ce qui en fait des zones stratégiques. Cela était d’autant plus vrai pendant la guerre Froide où ils étaient un point de passage pour les navires de guerre soviétiques. Et c’est ce qui explique en partie l’adhésion du pays à l’Otan, dès 1952.

A cela s’ajoute sa proximité avec le Caucase, région instable depuis la chute de l’URSS. Et sans oublier le conflit kurde, qui déborde en Irak, ses différends territoriaux avec la Syrie (région du Sandjak d’Alexandrette), ainsi que ses désaccords au sujet du débit de l’Euphrate, ses mauvaises relations avec l’Arménie et la Grèce. Qui plus est, la Turquie partage une frontière avec l’Iran, accusée de mener un programme nucléaire à visée militaire.

Alliée des Etats-Unis, la Turquie a entretenu, jusqu’à ces derniers temps, d’excellentes relations avec Israël. Chose rare pour un pays musulman, qui a été l’un des tous premiers au monde à accorder le droit de vote aux femmes (1934). En 1996, des accords turco-israélien en matière de défense ont été conclu. De même que sur le plan économique, avec des échanges commerciaux passés de 50 millions de dollars en 1980 à 3,5 milliards en l’espace de 30 ans.

Seulement, la Turquie change. Avec l’arrivée au pouvoir, en 2002, de l’AKP de tendance « islamo-conservatrice », le kémalisme, qui, basé sur les principes d’Atatürk, tend à promouvoir la laïcité et un rapprochement vers l’Occident, bat de l’aile. Et son dernier bastion qu’était l’armée est en train de céder (un général turc sur dix dort en prison…).

Tout cela a des conséquences sur la politique extérieure d’Ankara. Et en premier lieu sur sa relation avec l’Etat hébreu. Depuis décembre 2008, et l’opération Plomb durci menée par Tsahal contre le Hamas dans la bande de Gaza, le pouvoir turc avait déjà commencé à prendre ses distances. Et l’assaut donné en mai 2010 contre le Mavi Marmara, navire amiral d’une flottille dite humanitaire envoyée pour apporter de l’aide à la population gazaouie (9 tués), a servi de prétexte à la Turquie pour remettre en cause sa relation avec Israël, qui refuse de s’excuser pour l’arraisonnement du navire.

Ainsi, le 2 septembre dernier, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, annoncé l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël à Ankara ainsi que la suspension des accords bilatéraux de défense entre les deux pays. Et depuis, il ne cesse de faire monter la pression.

Le 6 septembre, le même Erdogan a confirmé la suspension des échanges militaires avec Israël tout en annonçant l’intensification de patrouilles navales en Méditerranée orientale, là même où opèrent les navires de guerre israélien.

« La Méditerranée orientale n’est pas pour nous une zone étrangère. Aksaz et Alexandrette, ces lieux ont les moyens (…) de fournir des escortes », a-t-il déclaré, en faisant référence à deux ports de la marine turque. « Bien entendu, nos navires seront beaucoup plus souvent visibles dans ces eaux », a-t-il encore ajouté. Il s’agit de montrer l’opposition d’Ankara aux contrats gaziers passés entre Israël et Chypre, pays divisé en deux depuis l’invasion du nord par la Turquie.

Le lendemain, Recep Tayyip Erdogan, encore, a accusé Israël de manquer de « loyauté en ce qui concerne les accords bilatéraux en matière d’industrie de défense ». En cause, selon lui, le non renvoi en Turquie de drones envoyés en Israël pour leur maintenance.

Il s’agit d’une dizaine de drones Heron TP livrés à Ankara l’an passé et qui ont fait l’objet d’un retour chez leur fabriquant pour des problèmes techniques. « On leur a envoyé des drones, ils ne nous les ont pas restitués, prétextant des problèmes de notre côté. Est-ce que cela est éthique ? », a demandé le Premier ministre turc. Ces appareils sont notamment utilisés pour surveiller les mouvements des rebelles kurdes à la frontière avec l’Irak.

« Il peut y avoir des différends entre pays, des problèmes (…) Mais vous êtes obligés de respecter l’éthique commerciale internationale », a fait valoir M. Erdogan. « Nous ne laisserons jamais piétiner notre honneur et notre fierté, cela n’a pas de prix », a-t-il ajouté. Les autorités turques entendent également saisir la Cour internationale de justice au sujet de la modernisation de ses F-4 Phantom et F-16 block 40/50, laquelle devait être menée conjointement par le groupe israélien Elbit et le turc Aselsan pour 167 millions de dollars.

Enfin, dernière déclaration en date, Recep Tayyip Erdogan a annoncé, le 8 septembre, que la marine turque escortera tout bateau turc transportant de l’aide humanitaire à destination de Gaza. « Désormais, nous ne permettrons pas que ces navires soient attaqués par Israël, comme cela s’est produit avec la flottille de la liberté », a-t-il précisé. Et comme la bande de Gaza est soumise à un blocus naval par Israël, le risque d’un accrochage est devenu probable, même si, compte tenu de son appartenance à l’Otan, la Turquie évitera d’aller au-delà d’une certaine limite, sous peine de voir un nouveau conflit dans la région, qui n’en a pas besoin.

De son côté, le gouvernement israélien, même s’il se dit attaché à la relation avec Ankara, a pris acte de l’attitude des dirigeants turcs. Ainsi, Israël a entamé un rapprochement avec la Grèce, adversaire historique de la Turquie. Des juin 2008, les deux pays ont mené conjointement d’importantes manoeuvres aériennes. Et cette collaboration est appelée à s’intensifier prochainement, notamment après la première visite en Israël, cette semaine, d’un ministre grec de la Défense, en l’occurrence, Panos Beglitis. Ainsi, ce dernier a signé, avec son homologue israélien, Ehud Barak, un mémorandum de coopération en matière de sécurité.

« Nous voyons avec satisfaction l’approfondissement et l’élargissement des relations entre nous et les Grecs dans tous les domaines, y compris dans le domaine de la sécurité, et nous souhaitons voir l’approfondissement et l’élargissement de cette coopération entre les gouvernements, entre les ministères de la Défense et entre nos peuples », a alors déclaré Ehud Barak.

Signe supplémentaire que le divorce israélo-turc est sur la voie d’être consommé : au printemps dernier, la Knesset a abordé, pour la première fois, la question du génocide arménien de 1915. Jusqu’à présent, et compte tenu des bonnes relations entre les deux pays, cette affaire avait été soigneusement évitée.

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